Tous les petits bourgs de France sont touchés par la fermeture des commerces... Tous ? Non ! Un village normand tenu par son super édile, Benoît Hennart, tient tête aux centres commerciaux. Bienvenue à Quittebeuf, dans l'Eure. Troisième escale de mes Carnets de village
Petit, mince, débrouillard. Et cette moustache à la gauloise... C'est tentant de faire la comparaison avec Astérix, le héros de René Goscinny. Benoît Hennart tient tête à l'envahisseur. Qui ça ? Les centre-commerciaux bien-sûr ! C'est eux qui détroussent les villages, les uns après les autres. Voilà contre qui ce maire résiste, indirectement, pour sauver son fief normand. Quittebeuf.
Un emprunt personnel de 200 000 €
L'édile a laissé des plumes dans la bataille. Enfin, des sous plutôt. Une dette personnelle de 200 000 euros, contractée sur 20 ans, pour sauver ses commerces. Car en 2011, les 640 habitants de la commune se sont retrouvés sans boutiquier, ou presque. Un bourg fantôme, à 15 minutes de voiture du centre commercial du Neubourg et à une quarantaine de minutes de celui, plus grand, de Bernay. Ce sont eux les Romains, ces ensembles commerciaux construits en abondance dans les années 1970-80, vidant les vitrines des petites et moyennes villes.Quittebeuf, elle, résiste encore et toujours. Grâce à son maire. Il a investi de sa personne pour racheter certains locaux et réaliser des travaux de réhabilitation. "Je suis un ancien gars du bâtiment, explique-t-il. Si je n'étais pas du métier, je n'aurais pas pu faire tout cela." Sa famille et des habitants lui donnent un coup de main. "C'est sûr que ça n'était pas mon projet d'investir dans cet emprunt, avoue-t-il. Mais comme ça me tenait à coeur de faire revivre mon village..."
Depuis, Quittebeuf renaît. Un panneau affiche la présence d'une boulangerie, épicerie, boucherie, coiffeur, café, cabinet de médecin, d'infirmières etc. Une liste à faire pâlir d'envie bon nombre de petites communes. Et leurs élus en personne ! "La venue de la télévision a fait des jaloux dans la Communauté de communes", lâche avec sourire Benoît Hennart, montré en exemple par de nombreux médias. Mais il se veut rationnel : "On ne peut pas faire comme dans le temps, avoir des bars dans chaque commune."
Alors oui, il y a toujours ceux qui regardent dans le rétroviseur et rappelent le glorieux passé marchand de Quittebeuf avec ses quatre bars, sa mercerie, son tabac, sa charcuterie, son garage ou encore sa discothèque ! Et non, Quittebeuf n'y échappe pas complètement... À l'échelle du pays, le constat est préocuppant puisque le taux moyen de vacance commercial en centre-ville est passé de 7,2 % en 2012 à 9,5 % en 2015 et 11,9 % en 2018, selon Procos, la fédération du commerce spécialisé.
La fermeture des commerces symbolise la mort d'un village. Car si les commerces ferment, personne ne viendra habiter ici et si on n'accueille pas de nouveaux habitants, on n'aura plus d'enfant, ce qui signifiera la fermeture des écoles, et donc, le déclin du village.
Au p'tit canon, le troquet de la place, au bord de la Départemental 39 qui fend Quittebeuf en son coeur, fait la fierté du maire. Le dernier bar avait fermé en 2014. La commune avait alors racheté la licence IV, sésame pour vendre de l'alcool fort. Ça n'est qu'en 2017 qu'un couple reprend l'affaire. En attendant, chaque année, le maire ouvrait un débit de boisson éphémère, essentiel pour la validité de la licence. En France, 26 000 communes n'ont pas de café, selon l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie.
Fermeture des commerces, à qui la faute ?
"Il y a ceux qui disent que les marchands ne sont pas aimables, soi-disant, mais ce qui a fait beaucoup de tort aux petits commerces, ce sont les grands supermarchés construits dans les grandes villes", estime Benoît Hennart. Un constat défendu par le journaliste Olivier Razemon, auteur de l'ouvrage Comment la France a tué ses villes. Il compare le centre commercial à un "rouleau compresseur" et recommande de "mettre fin à sa prolifération, en suspendant la construction de nouvelles zones et l'extension des grandes surfaces existantes". Il serait un facteur de dévitalisation des centre-villes bien plus influant que le e-commerce, la désindustrialisation, les propriétaires avares ou le développement des métropoles.Si les vitrines se vident, ce n'est pas seulement parce que les boutiquiers de la grande-rue oublient parfois de sourire. (...) Mais cela résulte au moins autant d'une société avide, celle où le "toujours plus" constitue l'unique horizon. Une société dans laquelle la vitesse, l'immédiateté et le droit de consommer sont des ambitions humaines respectables et encouragés, voire des valeurs absolues. (Olivier Razemon, dans "Comment la France à tué ses villes")
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L'attractivité innatendue de Quittebeuf a un coût : la vie privée de son maire. "Tout le monde a mon numéro de portable, raconte ce dernier. Il y a des gens qui m'appelent pour n'importe quoi parfois. Si une personne perd son dentier derrière son meuble, elle m'appelle." Benoît Hennart ne compte pas ses heures de bénévolat. "Il n'y en a pas beaucoup comme lui, confie la secrétaire de mairie, également employée de l'agence postale communale. Mais il en fait trop, c'est clair."Aujourd'hui, plusieurs signaux de la commune sont au vert. L'école primaire d'abord, où le nombre d'élèves passera de 96 à 105 en septembre prochain. Côté population, Quittebeuf a gagné plus d'une cinquantaine de nouveaux habitants depuis 2012. Une satisfaction qui laisse place à l'inquiétude quant au recul des services publics. En effet, la perception du Neubourg serait menacée de fermeture, selon le maire, obligeant les habitants à se déplacer trois fois plus loin, à Bernay.
La survie de ce village normand est un combat de tous les jours. "Un commerce peut fermer aussi vite qu'il a ouvert", assure Benoît Hennart. Et de préciser que les habitants ont à rôle crucial à jouer, celui de consommer localement pour entretenir les commerces.L'homme à la moustache continue de défendre sa bourgade, coûte que coûte. D'ailleurs, il a une annonce à faire passer : "Un local vacant est disponible pour un kinésithérapeute". Alea jacta est.
Carnets de village : Mon voyage au coeur de la France oubliée
Après une première étape en Sarthe, auprès d'ouvriers touchés par une fermeture d'usine, puis un crochet en Mayenne avec un médecin de campagne, j'ai retrouvé ce maire qui a sauvé sa commune de la déprise commerciale. Prochaine destination, le Mogador, à Rouen, à la rencontre du chef d'un kebab. Mon itinéraire ci-dessous.À chaque reportage, sa playlist collaborative
Cet été, tous mes reportages seront suivis d'une playlist musicale en lien avec le sujet. Pour y participer, rendez-vous dans les stories du compte Instagram Carnets_de_villageCarnets de village, c'est quoi ?
Cet été, dans mes Carnets de village, je vous fais partager mon voyage au coeur de la France oubliée, à la rencontre de ceux dont on ne parle pas.Retrouvez les coulisses du reportage sur le compte Instagram @Carnets_de_village
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