Cela devait être une croisière d’exception en Patagonie. Mais depuis la mi-mars au large de l’Argentine, elle s’est transformée en cauchemar. Cette interminable errance vient de prendre fin pour Nicole et Jean-Marie, deux passagers français confinés à bord du Zaandam.
Fin du cauchemar pour les passagers français du paquebot néerlandais Zaandam en errance depuis plus de 15 jours au large de l’Amérique latine. Le navire qui est arrivé hier au large de la Floride a finalement obtenu l’autorisation d’accoster à Port Everglades, à proximité de Miami. Même chose pour le paquebot, le Rotterdam sur lequel a été transféré une partie des passagers.
Nicole et Jean-Marie vont pouvoir rentrer en France
Parmi les 105 français qui étaient à bord, Nicole et Jean-Marie, deux nantais dont nous avons recueilli le témoignage, vont pouvoir rentrer en France.Ils vont bien, et après avoir passé, aujourd’hui, une visite médicale et remplit un questionnaire de santé, ils ont l’autorisation de débarquer. Leur valise est prête mais ils attendent le feu vert des autorités pour prendre le premier avion pour Paris.
A bord des deux navires, plusieurs croisiéristes sont malades et certains, en urgence vitale ont été transférés vers des hôpitaux américains et pris en charge depuis hier soir. Un passager français serait plongé dans le coma, dans un état critique aujourd’hui.
Les familles restées en France continuent de se mobiliser pour organiser le rapatriement immédiat de leurs proches. Ils savent que près de 80 passagers de différentes nationalités resteront sur le sol américain en quarantaine ou pour y être soignés. Parmi eux se trouvent des français.
Récit d’un voyage au bord de l’abîme...
Comme les 1 200 autres passagers et membres d’équipage, ce couple de nantais a vécu plusieurs jours reclu, à l’isolement dans sa cabine. Touchés par la pandémie du coronavirus, les pays où ils devaient faire escale, ont fermé les uns derrière les autres leurs ports et leurs frontières.Du lit au fauteuil puis du fauteuil au lit : à bord du Zaandam, voilà à quoi se résument les déplacements de Nicole et Jean-Marie depuis 15 jours. Ils tiennent le coup, font bonne figure et conservent le moral malgré tout ! Nous les contactons au quatorzième jour d’errance sur l’océan, et quelques jours avant l'issue heureuse de leur débarquement. Au milieu de nulle part, il y a toujours un peu de réseau : le téléphone et internet fonctionnent. Nicole, 66 ans, décroche :
Nicole met en route la vidéo sur son téléphone pour notre appel... Sur l'image, parfois brouillée par une connexion erratique, elle apparaît souriante. Elle s’est glissée dans leur lit, sous ses draps et couvertures. Mais Nicole va bien.Le commandant a décidé de nous fournir internet gratuitement, mais ça va coûter cher à la compagnie, fait remarquer Jean-Marie, car nous aurions dû payer 300 euros par jour pour avoir internet en temps normal.
Ce que nous faisons de nos journées ? Et bien, nous dormons, nous lisons, nous mangeons et nous attendons chaque jour, chaque heure, des nouvelles. Le temps se fait-il long ? Oui madame, on ne va pas vous dire le contraire, mais ce qu’on aimerait savoir surtout c’est quand tout cela va s’arrêter...
"Nous avons ce petit hublot, donc un peu de lumière mais nous ne pouvons pas l’ouvrir"
Elle s'estime chanceuse d'avoir cette petite fenêtre sur le monde. Certains sont confinés dans des cabines totalement aveugles. Elle regarde à travers le hublot juste derrière elle et montre l’océan mais Nicole n’est pas capable de dire où se trouve le navire.
Seuls dans leur cabine, devenue leur cellule, Nicole et Jean-Marie ne se plaignent pas. Ils déplorent une seule chose : le manque d’informations. Depuis quinze jours, les communications se font rares à bord du Zaandam.Je ne peux vous dire où nous sommes exactement. Nous avons franchi le canal de Panama et sommes aujourd’hui dans l’océan Atlantique, peut-être au large du Costa Rica.
D’ordinaire la vie des croisiéristes est cadencée par les annonces qui résonnent par haut-parleur, dans les chambres, dans les couloirs. D'habitude les incitations à sortir de leur cabine se succèdent : petit-déjeuner, déjeuner, dîner, buffet, sorties, concerts, ouverture de boutiques, cours de sport, ou séance de massage.
Un problème de taille préoccupe Nicole : lorsque le commandant prend la parole pour faire ses annonces, il le fait en anglais et ils ne comprennent pas l’anglais. Il n’y a pas d’annonces en français. Alors ils appellent leurs amis, dans la cabine jouxtant la leur, pour être sûrs de tout comprendre. Nicole ajoute :Aujourd’hui, le silence est oppressant ! Juste le bruit du climatiseur de la cabine.
Nous les appelons au téléphone car eux non plus, nous ne les voyons plus depuis quinze jours. Ils sont derrière la cloison là juste derrière. Ils sont confinés comme nous. Nous avons ordre de rester dans nos cabines et interdiction d’en sortir.
La moyenne d’âge des croisiéristes du Zaandam dépasse les 70 ans
Cette décision de confinement a été ordonnée pour l’ensemble des passagers du navire lorsque un premier cas de coronavirus a été détecté, il y a dix jours maintenant.Mesure sanitaire que chacun respecte scrupuleusement. Officiellement aujourd’hui, à bord, deux personnes seraient infectées par le virus. Le décès de quatre autres personnes est aussi annoncé mais impossible d’en savoir plus sur ces quatre victimes : ont-elles succombées au virus ? Ni l’armateur, ni la compagnie de croisière, ni l’agence ne souhaite communiquer.
C’est le black-out à bord
Le couple s'inquiète du peu de communication à bord. Ils ont appris par hasard le décès de 4 personnes, le jour où leurs enfants ont commencé à les appeler pour prendre de leur nouvelles. Nicole déplore :Selon nos informations, aujourd'hui 183 autres personnes montreraient à bord du navire des signes inquiétants, des symptômes de grippe : 73 passagers et 116 membres d’équipage.Ils sont rongés par l’inquiétude. Là-bas, chez eux, ils savent des choses que nous ignorons et c’est par eux, chaque jour que nous apprenons ce qu’il se passe ici à bord. Ils nous relaient les informations. Peut-être pas tout, mais l’essentiel. Sans eux nous ne saurions rien.
Une semaine avant le confinement, ce sont près de 1 200 personnes qui ont vécu ensemble à bord.
Passagers et membres d’équipage se sont croisés, serrés la main, se sont embrassés, sans se soucier de rien.
Les contacts étaient permanents et dans les espaces clos des navires comme le Zaandam, restaurants, coursives, ascenseurs, les risques de contamination sont majeurs. Mais de cela personne n'en parle à bord. Comme si l’on préférait ne pas y penser : inutile d’ajouter l’angoisse, à l’inquiétude. Nicole et Jean-Marie n’ont pas peur. « Il y a des gens plus malheureux que nous aujourd’hui nous le savons. La pandémie fait de gros dégâts, des morts partout. Nous ne devons pas nous plaindre » se rassure Jean-Marie, 66 ans comme son épouse. Il va bien, mais il espère quand même que ce voyage ne s’éternise pas trop : diabétique, Jean-Marie, pourrait rapidement manquer de médicaments !La dramatique odyssée des passagers du Zaandam a commencé dans le port de Buenos Aires, en Argentine
C'est dans ce port d'Amérique latine que le 8 mars dernier, Nicole, Jean-Marie et quelques amis se sont retrouvés pour partager ensemble un voyage d’exception : la découverte du grand sud, un périple de deux semaines aux confins de l’Amérique Latine avec passage par le mythique Cap-Horn.
Un voyage extraordinaire mais une croisière sans prétention vous savez, maintenant, ces voyages sont abordables pour des retraités comme nous.
Vendu sur papier glacé, dans le catalogue de l’agence de voyage, le parcours de la future croisière fait rêver : Argentine, Cap-Horn, Ushuaïa, les fjords chiliens puis retour à Santiago du Chili. Des destinations qui ont le parfum de l’aventure.
À bord, les premières journées sont délicieuses et les paysages à couper le souffle. Les photos qu’ils envoient à leurs enfants restés en France en témoignent. Nicole et Jean-Marie sont loin d’imaginer que leur escapade au bout du monde est en sursis.
L’OMS alerte déjà sur le risque de pandémie mondiale du covid-19. Le 16 mars, la France sonne le branle-bas. Pendant que l'Europe prend des mesures exceptionnelles et historiques pour tenter de faire barrage à l’épidémie, Nicole et Jean-Marie, eux, s’approchent d’Ushuaïa.
En quelques jours, les croisiéristes passent du rêve au cauchemar
Jean-Marie nous raconte les premières mauvaises nouvelles qui tombent : « En arrivant à l’escale, le 15 mars dernier, le commandant nous annonce que c’est la fin de la croisière, de celle qui était prévue et que nous ne pouvons pas débarquer à Ushuaïa. L’Argentine vient de fermer ses frontières. Nous devons alors remonter vers le Chili. Trois jours plus tard, il nous explique qu’il y a un cas de covid-19 à bord et que nous devons désormais rester dans nos cabines jusqu’à nouvel ordre.»Depuis, chaque jour passé à bord charrie son lot d’inquiétudes et d’incertitudes. Pas vraiment d’itinéraire pour le navire mais plutôt une quête éperdue : celui d’un port de débarquement. Après de longues et difficiles négociations pour emprunter le canal de Panama, le Zaandam fait aujourd’hui route vers la Floride, le port de Fort Lauderdale.Un second navire de croisière de la compagnie hollandaise, le Rotterdam, les a rejoint et plusieurs centaines de passagers ont été transférés à son bord. Nicole toujours enfouie, bien au chaud sous ses draps, nous explique :
Nous savons juste qu’ils voulaient transférer tous les passagers ne montrant pas de signes grippaux, ou ceux qui étaient reclus dans des cabines sans hublot, sur le Rotterdam. On ne sait pas très bien en réalité. Le transfert a duré une trentaine d’heures mais nous, nous sommes restés à bord du Zaandam et pourtant nous ne sommes pas malades.
Vous voulez savoir si je repartirais en croisière ? Oui bien sûr, nous repartirons...
Elle passe le téléphone à Jean-Marie, son époux qui s’inquiète un peu « Nous avons bientôt terminé de lire tous nos livres. Et comme nous sommes sur un navire étranger, nous ne pourrons pas lire ceux qui sont à bord, ils sont tous en anglais. Mais j’ai bon espoir, d’après nos informations, nous faisons route vers les Etats-Unis. Bien-sûr nous repartirons en croisère. »Par pudeur, ou tout simplement, par courage, Nicole et Jean Marie ne manifestent pas leur détresse. Ils tentent de faire front, malgré les hauts et les bas. Une annonce du commandant vient interrompre la discussion. Nicole et Jean-Marie s’excusent et raccrochent.C’est un événement exceptionnel qui n’a rien à a voir avec les plaisirs de ce genre de voyages.
Leurs journées sont désormais suspendues aux rares annonces communiquées par le commandant de bord, aux nouvelles rassurantes données chaque jour par les familles restées en France et qui se mobilisent ensemble, pour faire revenir au plus vite leurs parents, leurs grands-parents, leurs proches.
Gurvan, fils d’un autre couple de croisiéristes breton, scrute chaque jour la carte de Vessel Finder (un site internet qui permet repérer par satellite les navires en mer) : il observe les mouvements des deux paquebots de croisière.Le Zaandam et le Rotterdam sont aujourd’hui au large des îles Caïmans et font route, à 18 nœuds, vers la Floride. Les parents de Gurvan qui vivent à Plérin en Bretagne, sont à bord du Rotterdam et, lui, se démène, jour et nuit pour tenter de trouver une issue à cette funeste croisière. Il craint que la situation se complique de nouveau. Il l’avoue à demi-mot : mes parents ne sont pas prêts de rentrer.
« Le maire de Fort Lauderdale, a déjà annoncé qu’il refusait l’accostage des navires pour lesquels les conditions sanitaires ne sont pas requises. C’est le cas du Zaandam et du Rotterdam. Le débarquement de mes parents et de tous les autres passagers n’est pas acquis, loin de là. On ne sait pas ce qu’il va se passer. Des négociations sont en cours.
C’est un enfer et si cela doit durer, certains ne s’en remettront pas » redoute Gurvan.
La croisère n'est pas terminée. Aux dernières nouvelles, le navire est attendu jeudi matin en Floride il va enfin toucher terre...
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