"Scénario catastrophe", "dépossession", "appétits spéculatifs": depuis la suppression des arrêtés Miot prononcée samedi par le Conseil constitutionnel, l'indignation gagne toutes les sphères de l'île.
Élus insulaires et société civile n'en finissent plus de condamner la suppression des arrêtés Miot qui met fin à l'exonération sur la transmission des biens immobiliers dans l'île. Ils craignent que cette décision n'entraine plus encore les Corses vers une dépossession de leurs biens, faute de pouvoir s'acquitter des droits de successions.
"Aujourd'hui, qui a les moyens de payer ?"
"De nombreux Corses vont être obligés de revendre leurs biens pour s'acquitter de droits successoraux faramineux. D'ores et déjà, on peut craindre que les appétits spéculatifs se déchaînent, accélérant de fait la folle spirale de la dépossession", a déclaré le maire d'Ajaccio Simon Renucci (DVG).
"La Corse connaît une hausse des prix du foncier et de l'immobilier sans précédent. Et aujourd'hui, qui a les moyens de payer ? Des personnes venant de l'extérieur", a indiqué Me Alain Spadoni, président du conseil régional des notaires de Corse, en précisant que "d'ici 30-50 ans la terre n'appartiendra plus aux Corses".
De son côté, le groupe Corse Social Démocrate fustige une décision qui compliquera "de manière substantielle le processus de sortie d'indivision en Corse" (..) et risque "d'amplifier, de surcroît, la spéculation immobilière déjà présente dans notre île".
Seules voix discordantes dans cette levée de boucliers, les communistes et des syndicats comme la CGT qui souhaitent ne pas voir "les riches et même les très riches" être exemptés, en proposant de reverser cette taxation à l'Assemblée de Corse "afin de financer une politique active pour le logement".
Une décision qui risque de relancer la violence armée
"La décision choque d'autant plus que ce système fiscal représente peu pour l'État français (24 millions d'euros en 2011 d'après Les Echos), tandis qu'il est vital pour la Corse", insiste Me Spadoni en rappelant que "cette suppression tombe au moment où les clandestins du FLNC (Front de libération nationale de la Corse) tendent la main au gouvernement français pour un désarmement".
Le député UMP Camille de Rocca Serra s'est aussi insurgé de cette décision qui frappera "surtout les patrimoines petits et moyens et les personnes les moins aisées", à un moment où la hausse des prix de l'immobilier tous biens confondus (anciens et neufs) en 2011 a atteint 12% pour la Corse-du-Sud et 25% en Haute-Corse selon les Notaires de France.
Le syndicat agricole Via Campagnola et les membres de la démarche Produce per campà en Haute-Corse réagissent également vivement dans un communiqué. "Au moment où l'ensemble des acteurs cherchaient à freiner la dérive spéculative des biens fonciers en Corse, cette mesure va l'accentuer !" s'inquiètent le syndicat affilié à la Confédération Paysanne.
"Il deviendra encore plus difficile de réaliser des reprises familiales d'exploitation et des installations, le patrimoine foncier ne sera plus transmis de génération en génération mais livré au plus offrant. Il est urgent que l'ensemble des Corses se mobilisent contre ce genre de mesure".
Appel à une grande manifestation unitaire
Les indépendantistes de Corsica Libera et les autonomistes de Femu A Corsica ont fustigé une décision qui intervient alors que l'Assemblée de Corse planche sur une réforme institutionnelle voulant donner plus d'autonomie à l'île notamment en matière fiscale et foncière - qui nécessiterait logiquement une modification de la Constitution française.Déjà, ils ont appelé à "une grande manifestation populaire dans les semaines à venir", tandis que Femu A Corsica a mis en ligne une pétition pour le maintien des arrêtés Miot ayant a recueilli mercredi 2 décembre près de 3.000 signataires.
La fin des arrêtés Miot frappe au portefeuille
Pour l'heure, la Corse doit donc se faire à l'idée de devoir s'acquitter des droits de succession. Jusqu'au 1er janvier 2017, les ayants droit pourront toutefois bénéficier d'une exonération partielle de 50% sur les taux pleins qui oscillent de 20% à 55% de la valeur des biens selon le degré de parenté.Si la succession n'a pas été réalisée sur plusieurs générations - comme c'est souvent le cas en Corse, notamment en raison du problème de l'indivision -, les personnes devraient alors payer une taxation dépassant la valeur des biens transmis.
Pour illustrer la complexité de la situation, alors qu'il subsiste moins de 1.000 biens non délimités par département au niveau national, il y en aurait plus de 27.000 en Corse-du-Sud et 47.000 en Haute-Corse, dans une île où "l'indivision est 40 fois plus importante que la moyenne des régions françaises", selon le Conseil régional des notaires de Corse.