Le constitutionnaliste Benjamin Morel a participé à un débat sur l’autonomie de la Corse organisé, jeudi 14 mars, à l’Université d’Assas à Paris. Opposé à l’idée, il a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella.
“La Corse doit-elle être autonome ?", était le thème d’un débat organisé, jeudi 14 mars, à Paris par les étudiants insulaires de l'Université d'Assas.
Jean-Christophe Angelini, président du groupe Avanzemu à l’Assemblée de Corse, et Romain Colonna, conseiller territorial Fà populu inseme, y ont participé, tout comme le député Aurélien Pradié et le constitutionnaliste opposé à l'idée d'autonomie Benjamin Morel.
Reportage sur le débat :
À l’issue de ce débat, le politologue a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella
On vous voit beaucoup dans les médias, on vous lit souvent... Vous menez une croisade contre l’autonomie ?
Croisade, je n’irai pas jusque-là. Mais l’autonomie pose de vrais problèmes juridiques. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas une réalité culturelle corse, il ne s’agit même pas de dire qu’il n’y a pas de peuple corse. Je suis assez ouvert, il a une réalité anthropologique, culturelle. En revanche, juridiquement, introduire la notion de peuple corse, de communauté culturelle linguistique corse crée un effet en cascade sur la République.
Il faut bien comprendre que ce faisant, sans nier, qu’il existe cette réalité anthropologique, on remet en cause les principes fondamentaux de l’universalisme. À ce moment-là, c’est l’ADN de la République qui est remis en cause. Ce faisant, il y a effectivement un danger profond à la fois dans cette notion de communauté culturelle et dans une autonomie législative.
Les États, les Républiques, les monarchies, où une autonomie fondée sur des différences existe, sont-ils communautaristes ?
Les notions peuvent être communautaristes. Après, on a des histoires qui sont fondamentalement différentes. L’universalisme républicain repose sur le fait que quelle que soit votre culture, langue, religion, vous ne soyez qu’un citoyen aux yeux de l’État. Ça ne signifie pas qu’ensuite vous ne pouvez pas développer des cultures et que l’État ne pourra pas avoir un devoir positif de transmettre ces cultures et ces langues. C’est un autre sujet.
Néanmoins, juridiquement, si jamais je reconnais ça, ça veut dire que je ne peux pas dire non à d’autres revendications. Comment dire non aux Bretons, aux Alsaciens, mais également à des communautés halogènes, des personnes issues de l’immigration qui demanderaient que leur communauté soit reconnue au nom du principe d’égalité. Je ne peux pas dire non, ou alors je hiérarchise et ça devient très problématique.
On a aujourd’hui, une question qui est une question de principe. Souvent, on évoque en Corse la question des îles. Ce qui est intéressant par rapport aux îles, c’est d’abord que toutes les îles de la Méditerranée ne sont pas toutes autonomes, les îles grecques notamment.
Si vous regardez ensuite la Sardaigne, la Sicile et les Baléares, leur statut n’est pas lié au fait qu’elles sont des îles. C’est un statut incident, les Catalans et les Basques voulaient une autonomie, et incidemment l’Andalousie et les Baléares l’ont eue parce que la revendication venait du continent. Idem en Italie ou la revendication vient plus du nord.
Souvent, ce sont les régions riches qui revendiquent et in fine, quelques années plus tard, la rupture des solidarités liées aux autonomies, on le voit aujourd’hui y compris en Île-de-France, fait que ce sont souvent les territoires les plus pauvres qui payent. C’est le cas de mon Auvergne natale, ce sera probablement le cas de la Corse. Paradoxalement, je crois que celui qui gagne à la fin soit pareil.
Il n’en demeure pas moins que la France est un pays riche avec une économie diversifiée, la Corse est un territoire pauvre fondé sur le tourisme. Est-ce que le fait d’avoir une fiscalité différente est attentatoire à l’unité de la Nation ?
On peut avoir une réflexion sur l’autonomie fiscale. Elle peut valoir pour la Corse, mais elle peut également valoir pour toutes les collectivités. Parce que le fondement de la démocratie, la démocratisation via la décentralisation, c’est le fait que j’ai un levier fiscal et j’ai un levier normatif. C’est vrai pour la Corse, mais c’est vrai pour tout le monde en réalité. Le problème de l’autonomie fiscale, c’est qu’in fine, là aussi, ce sont les plus riches qui gagnent.
Si vous prenez le rapport de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques ndlr.) de 2016 et du FMI (Fonds monétaire international ndlr.) de 2014, l’autonomie fiscale crée nécessairement des inégalités en faveur des plus riches sauf si vous avez un rôle important de l’État en termes de péréquation et de redistribution d’aménagement du territoire. Ce que l’on a manqué en Corse, notamment, c’est l’aménagement du territoire. On s’est contenté de dire, on va mettre l’île sous perfusion, on n’a jamais voulu développer l’île. C’est, à mon avis, le cheval de bataille qui devrait être enfourché par l’État et par les Corses.
Votre livre s’intitule “La France en miettes - Régionalisme, l’autre séparatisme”, vous disiez que votre éditeur parle des régionalismes, finalement, c’est vendeur ...
Non le régionalisme, en tant que tel, n’est malheureusement pas très vendeur. C’est-à-dire que l’on considère que la France est un vieux pays jacobin qui n’est pas décentralisé. En fait, il est décentralisé depuis les années 1980, plus ou moins que d’autres États, mais on considère là-dessus que c’est une affaire qui est l’affaire des autres. Par exemple que quand la situation arrive en Corse, c’est une affaire corse. Vous voyez le président de la région Bretagne, celui de la région Alsace, qui ont demandé la même chose que les Corses ces derniers jours.
On voit que c’est quelque chose qui fait boîte de Pandore, là est le danger. Il faut voir que lorsqu’on s’engouffre dans l’idée qu’il y aurait des identités singulières et que ça signifierait des statuts singuliers, avoir un statut de moindre autonomie pour certains, c’est forcément être méprisé, mis de côté. Donc c’est un effet de boîte de Pandore qui se structure, c’est ça le vrai danger.
Est-ce que ça va vraiment faire tache d’huile ? Il y a des histoires différentes, en Corse, il y a eu des attentats, il y a eu une situation très particulière, est-ce que les autres régions, à travers de simples courriers, représentent la même situation ?
Si on fait un petit peu de politique comparée, si on regarde ce qu’il s’est passé partout en Europe, et il n’y a pas vraiment d’exception, dès le moment où je lis : “identité culturelle et statut”, j’ai un effet boîte de Pandore. Prenez, par exemple, ce qu’il s’est passé en Grande-Bretagne, les Gallois avaient un statut de moindre autonomie par rapport aux Écossais. Ils voulaient à peine de ce statut, mais très rapidement, ils se sont sentis méprisés et se sont demandé pourquoi ils n’avaient pas le même statut que les Écossais.
Le fait que la Corse soit une île ne signifie pas que l’entité insulaire serait moins forte que l’identité bretonne ou même, à terme, que l’identité auvergnate. Tout ça reste subjectif quand on reconnaît des droits sur une base identitaire. C’est là qu’est le danger.
Donner beaucoup de décentralisation, pourquoi pas, de manière symétrique pour tout le monde. C’est le cas pour l’Allemagne qui est un modèle stable dans lequel vous avez beaucoup de décentralisation. Mais que je sois Bavarois ou Saxon, et bien, c’est le même statut.