Baisse dans le secteur du BTP en Corse : "Je ne la ressens pas sur les chantiers mais sur les commandes"

Principal pilier de l'économie insulaire avec le tourisme, le secteur du bâtiment connaît une baisse d'activité dans l'île depuis plusieurs mois. Face à cette situation, comment s'organisent les entreprises et les différentes corporations ? Reportage avec un électricien installé à Sollacaro, dans le Taravu.

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"C'est catastrophique".

Début septembre, sur les ondes de RCFM, Corinne Bernardini tirait la sonnette d’alarme sur la situation dans le secteur du bâtiment dans l’île.

Entre la baisse de près de 30% des permis de construire et la diminution des chantiers issus de la commande publique, la présidente de la Fédération du BTP de Corse-du-Sud faisait part de son inquiétude, évoquant des "entreprises asphyxiées".

"C'est sûr que c'est préoccupant", commente Jérôme Istria, en relisant les propos de la présidente Bernardini.

Installé sur la commune de Sollacaro, à soixante kilomètres au sud d’Ajaccio, cet électricien a pris la suite de son père en 2010, faisant évoluer progressivement la petite société dans laquelle il emploie désormais sept personnes.

"On a réduit un petit peu, précise l'artisan originaire du village qui surplombe la vallée du Taravu. J’ai une secrétaire à plein temps et nous sommes redescendus à trois équipes de deux personnes, composées à chaque fois d'un électricien et d'un apprenti. À une époque, nous sommes allés jusqu’à cinq binômes sur le terrain. Avant l’été, j’ai aussi dû me séparer de mon conducteur de travaux car je n’assumais plus son poste. On a donc fait une rupture conventionnelle. Je ne pouvais plus le payer." 

Son activité, le chef d’entreprise de 36 ans la concentre essentiellement sur la microrégion, entre communes de l’intérieur et du littoral. Notamment Olmeto et Serra-di-Ferro.

"Actuellement, nous travaillons beaucoup sur des résidences secondaires en construction, sur celles qui sont en rénovation, sur des bâtisses anciennes. Ensuite, on a aussi des clients professionnels qui nous font travailler toute l’année, notamment un domaine viticole. On intervient également pour de la mise en sécurité."

"Environ 30 % de devis en moins"

Inflation, hausse des taux d’intérêt pour les emprunts bancaires, capacité d’endettement qui diminue… Autant de facteurs annonciateurs d'une crise qui couve depuis quelques mois dans le secteur du bâtiment.

"À l'instant "T", je ne la ressens pas sur les chantiers mais sur les commandes, explique Jérôme Istria. Depuis un an et demi, j’ai en effet observé une diminution des demandes de devis d’environ 30%. Malheureusement, je pense que ça va s’accentuer…"

Dans ce contexte économique tendu, il s’adapte : "la décision de me séparer de mon conducteur de travaux est également due aux charges salariales qui sont énormes. Confrontés eux aussi à cette diminution de l'activité, les fournisseurs sont de moins en moins souples. Je me suis donc un peu séparé d’une partie de mon stock, entre 20 000 et 30 000 euros. J’ai aussi rendu mon bureau que je louais dans un bâtiment communal pour le rapatrier dans mon dépôt qui m’appartient. Cela fait un loyer en moins ainsi que toutes les charges qui vont avec. La raison est financière et également logistique. J’ai aussi réduit mon quota d’employés car il y avait une baisse d’activité et parce que je ne trouvais pas d’électriciens compétents. Vu la conjoncture, je me dis aujourd’hui que c’était peut-être un mal pour un bien."

À cela s’ajoutent des charges supplémentaires et un PGE (Prêt garantie par l'État) de 70 000 euros qu’il a dû rembourser à la sortie de la période Covid.

"À mon installation en février 2010, j’ai bénéficié d’une exonération fiscale due à mon activité en zone de revitalisation rurale pendant dix ans. Concernant le PGE, je n’aurais pas dû le rembourser d’un coup, j’aurais dû faire un prêt comme me l’avait conseillé ma banque, regrette-t-il. À la suite de la période Covid, j'ai accumulé un retard de facturation et je cours un après la trésorerie. Quelque part, aujourd'hui, ça constitue un peu ma roue de secours parce que je sais que c'est de l'argent qui va rentrer."

Dans un rapport récent, l’Insee Corse indiquait qu'au premier trimestre 2024 "la baisse de la commande publique s’ajoutait à celle de la commande privée".

"Les chantiers publics représentent environ 15 % de mon chiffre d'affaires, confie l’électricien taravesu. Cela peut être du logement communal, des petites extensions d'éclairage public, de la rénovation de réseaux électriques dans les bâtiments communaux... Là aussi, j’ai dû me structurer car ça demande du temps au niveau administratif. J’ai donc depuis deux ans une secrétaire qui s’occupe de tout ça. C’est primordial car il faut être à jour de ses cotisations fiscales et sociales pour répondre aux marchés."

Désormais, des entreprises de la région ajaccienne sont prêtes à faire de la route pour venir travailler sur des petits marchés dans les communes du rural. Avant, cela n’arrivait jamais.

Cette récession actuelle, Jérôme Istria estime cependant qu’elle "se ressent peut-être un peu moins dans le rural". Et d’expliquer : "il y a moins de commandes et de marchés, et aussi moins de concurrence."

Sur ce dernier point, la situation pourrait cependant évoluer selon l'artisan électricien, également conseiller municipal de Sollacaro depuis 2020.

"Depuis un an, on voit pas mal d'entreprises de la région ajaccienne répondre aux petits marchés de rénovation dans le rural. C’est certainement lié à la conjoncture. Sur Sollacaro, récemment, on s’est retrouvé à devoir choisir entre quatre ou cinq entreprises par lot et par corps de métier sur un marché. Désormais, des entreprises sont prêtes à faire de la route pour venir travailler sur des petits marchés dans les communes du rural. Avant, cela n’arrivait jamais."

N'étant pas adjoint au maire mais uniquement conseiller municipal, Jérôme Istria a le droit de soumissionner aux appels d'offres dans la commune de Sollacaro. Néanmoins, il doit quitter la salle du conseil municipal lorsque le marché public en question est évoqué par l'assemblée délibérante.

27 hectares

Dans ce contexte économique tendu, le jeune entrepreneur, père de deux enfants, "ne considère pas que son entreprise est en danger mais reste vigilant" :

"Ce qui est inquiétant, c'est surtout quand on discute avec les premiers de la chaîne : les géomètres, les notaires, les promoteurs immobiliers, les entreprises de BTP qui sont les premiers à être consultés en nouveaux projets. Et là, ils ne le sont plus. Les projets de constructions neuves, on n’en voit plus."

Une situation qui s’explique, notamment, par la réduction des terrains constructibles entraînant de facto une baisse des permis de construire. "Sur la commune de Sollacaro, par exemple, on est passé de 90 à 27 hectares constructibles", souligne l’élu local avant d’ajouter :  

"De plus, cette situation économique fait que, désormais, les constructions de résidences secondaires représentent les trois quarts de notre clientèle. Les chantiers de résidences principales pour les locaux sont devenus minimes. À l’époque, quand je travaillais avec mon père, c'était l'inverse. On ne travaillait presque qu’avec des locaux. Aujourd’hui, leur pouvoir d’achat ne leur permet plus d’être propriétaire aussi facilement qu’avant."

Malgré la conjoncture défavorable, Jérôme Istria reste optimiste. Et martèle son leitmotiv : "se rendre disponible et être sur tous les fronts pour maintenir la barre et garder le cap."

S'il veut avant tout "rester concentré sur son travail au quotidien", cela ne l’empêche pas de regarder vers l’avenir et de penser à d’autres débouchés si la situation dans le BTP venait à s’aggraver : 

"L’électricien, c’est peut-être le corps de métier qui a le plus évolué. Il faut donc se former, notamment aux nouvelles technologies : les bornes de recharge pour les véhicules électriques, la domotique et éventuellement le photovoltaïque..."

Autant de perspectives qui pourraient peut-être permettre à une corporation - représentant dans l'île environ 10 % des emplois du secteur du bâtiment - de se donner un peu d’air afin d’éviter une potentielle asphyxie…

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