Le Sénat a adopté en première lecture, mardi 14 novembre, le projet de loi immigration. Dans cette version, l'aide médicale d'État (AME), couvrant les frais de santé des étrangers en situation irrégulière sur le sol français, a été supprimée et remplacée par une aide médicale d'urgence. Une décision décriée par des médecins en Corse comme sur le continent.
"La santé étant notre bien commun, cette suppression irait à l'encontre de nos valeurs humanitaires et éthiques". Dans une tribune transmise ce mercredi 15 novembre à la presse, plusieurs médecins insulaires s'opposent au projet de suppression de l'aide médicale d'Etat (AME).
"L'AME constitue une aide sociale et un dispositif garant du droit à la santé pour les plus précaires. Tout patient, quelle que soit sa situation administrative, doit avoir accès aux soins dont il a besoin", écrivent-ils.
Une suppression, estiment-ils, qui entraînerait de plus "une augmentation des contraintes sur l'hôpital à cause de retards diagnostics, de l’aggravation de certaines pathologies chroniques et du risque de dissémination de maladies infectieuses."
"Plus les inégalités d’accès aux soins se creusent, plus nous désorganiserons notre système de santé", avertissent-ils en conclusion.
[La tribune est rédigée par le docteur Laurent Carlini, responsable de la maison médicale CHA et vice-président CSMF et co-signée par :
- Michel Mozziconacci, radiologue et président du conseil régional de Corse de l’ordre des médecins ;
- Jean Canarelli, médecin biologiste et président du conseil départemental de l’ordre des médecins
- Bianca Fazi, médecin urgentiste CHA ;
- Paul-André Colombani, médecin et député de la 2ème circonscription de Corse-du-Sud ;
- Laurent Papazian, professeur et médecin réanimateur CHB ;
- Jean-François Cesari, médecin réanimateur et chef de service des Urgences CHA ;
- Laurent Serpin, médecin réanimateur CHA ;
- Karim Moubarak, neurochirurgien CHA ;
- Marie-Pierre Pancrazi, médecin coordinateur Centre Mémoire de Ressources et de Recherche CHB
- Jean-François Berdah, chef de service Oncologie CH Castelluccio ;
- Daniel Nicolas, chef de service Soins Palliatifs CHA ;
- Marc Bonavita, praticien hospitalier service gériatrie CHA ;
- Antoine Grisoni, président des URPS ML ;
- François Agostini, médecin et président FCCIS ;
- Marie-Christine Ciabrini, médecin généraliste ESP Gravona ;
- Dominique Simeoni, médecin coordinateur CPTS Balagne ;
- Gaston Leroux Lenzi, président de l’ordre national des infirmiers pour la région Corse.]
Appel à la "désobéissance"
Ces médecins corses ne sont pas seuls à s'indigner de cette perspective : samedi dernier, quelque 3500 médecins salariés et libéraux, opposés à la suppression de l'AME aux sans-papiers, se sont engagés à "désobéir" et à "continuer de soigner gratuitement" ces malades si le dispositif devait disparaître.
"Moi, médecin, déclare que je continuerai à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au Serment d'Hippocrate que j'ai prononcé", indique leur déclaration, qui promet de rester indifférent aux conditions sociales ou financières des malades, "ainsi qu'à leur langue et leur nationalité".
"La déontologie prescrit le juste soin pour chaque personne qui me consulte. La sagesse dénonce la faute éthique et en passant l'erreur épidémiologique", poursuivent les signataires de la tribune. Avant de conclure: "patients d'ici et d'ailleurs, ma porte vous est ouverte. Et le restera".
Une aide trop chère, pour ses détracteurs
Pour rappel, l'aide médical d'Etat est un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins. Elle est attribuée dès lors que ces derniers sont présents sur le sol français depuis au moins trois mois, et ne perçoivent pas des ressources dépassant un certain plafond (moins de 10.000 euros par an pour une personne seule en métropole).
Selon ses détracteurs, l'AME coûte aujourd'hui "trop cher", à raison d'1,2 milliard d'euros annuels pour 400.000 bénéficiaires (3.000 euros par an par bénéficiaire), et présente un risque de générer un "appel d'air" pour l'immigration clandestine.
Lors du récent examen du projet de loi sur l'immigration, le Sénat a adopté un amendement qui la supprime et la transforme en "aide médicale d'urgence". Un vote contre lequel s'est depuis exprimé, notamment, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau, qui considère que l'AME "doit rester un dispositif de santé publique".