Ce mardi 7 février, Jean-Jacques Urvoas était auditionné par la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les circonstances de la mort d’Yvan Colonna. L’ancien garde des Sceaux l’assure, Yvan Colonna n’a pas fait l’objet "d’une sévérité particulière" dans son parcours pénitentiaire.
"Non, Yvan Colonna n’a pas bénéficié d’un statut particulier." Les premiers mots de l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas devant la commission d'enquête parlementaire sont clairs.
Au détour d'une question sinueuse, posée quelques minutes plus tôt par le député de Haute-Corse Jean-Félix Acquaviva, la commission cherchait à déterminer si Yvan Colonna avait, oui ou non, fait l’objet "d’une sévérité très importante, notamment dans l’interprétation des textes, pour ne pas le rapprocher ou pour ne pas sembler faiblir en accédant au rapprochement".
"Je n’ai connu qu’un statut particulier en détention, c’était Salah Abdeslam", précise l’ancien ministre. Le détenu, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour son rôle dans les attentats du 13 novembre 2015, a été à l’origine de la création d’un "statut sui generis", puisqu'il était, notamment, surveillé "24 heures sur 24". En revanche, l’ancien garde des Sceaux n’a "pas d’éléments pour dire qu’Yvan Colonna n’a pas eu un statut classique en détention".
Concernant plus spécifiquement le statut de DPS, Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice de 2016 à 2017, dans les gouvernements de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve, fait appel à ses souvenirs.
"Je ne crois pas avoir été saisi d’une demande d’Yvan Colonna du retrait du répertoire des DPS", indique-t-il. "Depuis 2011 jusqu’en 2022, il n’a cessé de faire des demandes de levée de ce statut", lui répondra plus tard Jean-Félix Acquaviva.
Interrogé ensuite sur le rapprochement d’Yvan Colonna en Corse, l’ancien ministre précise que deux éléments l’interdisaient : la période de sureté, levée en juillet 2021, et l'absence de maison centrale en Corse.
Quartiers d'évaluation de la radicalisation
Puisque l'affaire "met en miroir deux trajectoires", comme le rappelle le président de la commission Jean-Félix Acquaviva, c'est sur celle de Franck Elong Abé que les députés se penchent ensuite. Et notamment, sur sa non-affectation en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER).
Un sujet revenu à maintes reprises dans les différentes auditions, et que l’ancien ministre connait bien, puisqu’il a créé ces QER - "une révolution copernicienne conduite à l’administration pénitentiaire", commentera t-il d'ailleurs.
Qu’aurait donc pu apporter le placement de Franck Elong Abé en QER ? C’est la question posée par le président du groupe Horizons et rapporteur de la commission Laurent Marcangeli. Avec en creux, toujours cette autre : "aurait-on pu éviter le drame du 2 mars ?" Et la réponse, cette fois, n’est pas si simple pour l’ancien garde des Sceaux.
"À mes yeux, c'est un sujet qui concerne la gestion de la détention. Les QER sont dédiés à la détection. Or, il (Franck long Abé, ndlr) était radicalisé. Je n’ai pas demandé à ce que Salah Abdeslam passe devant un QER car il était évident qu’il était radicalisé. Ce qui était important, c’est la prise en charge spécifique de cet individu", argumente-t-il.
Concrètement, pour l'ancien ministre, Franck Elong Abé aurait dû faire l'objet d'"une mesure d’isolement", ou d'un placement dans "un quartier pour détenus violents".
Dans une audition ouverte à la presse mais en comité restreint, réforme des retraites oblige, le tour de table se transforme alors rapidement en tête à tête entre Jean-Jacques Urvoas et Jean-Félix Acquaviva, toujours sur le même sujet.
"La ligne du rapport de l’Inspection générale de la justice, c’est que Franck Elong Abé aurait dû aller en QER depuis 2019, rappelle ce dernier. Soit depuis la CPU (commission pluridisciplinaire unique, ndlr) "dangerosité" de Condé-sur-Sarthe, où l’unanimité des acteurs parlait d’une nécessité de transfert en QER de manière urgente."
Et de rappeler alors les avis de la juge d’application des peines antiterroriste et du parquet national antiterroriste, respectivement "réservé" et "très réservé" au transfert d’Elong Abé en QER. Avis sur lesquels s’est basée la direction de l’administration pénitentiaire.
Ensuite, à Arles, quatre CPU dangerosité se sont tenues, précise Jean-Félix Acquaviva, "où cette fois-ci les mêmes demandes étaient réalisées, mais la directrice ne transfère pas les PV donc les dossiers ne sont pas instruits ou débattus". Comment expliquer de telles différences d'appréciation, voire de tels errements dans la gestion de la détention de Frank Elong Abé ?
Cas particulier
L’ancien garde des Sceaux n’apportera pas de réponse. "Vous m’interrogez sur un cas très précis dont je n’ai aucune connaissance. Entre maintenant et le moment où je suis parti de la chancellerie, le cadre réglementaire a évolué. Mon avis ne peut vous servir que pour comprendre la philosophie des QER, pas la mise en œuvre", balaie-t-il.
Alors que le président s’apprête à clore l’audition, Jean-Jacques Urvoas reprend la parole pour une conclusion qui sonnerait presque comme demande de clémence à l’endroit de l’administration pénitentiaire.
"C’est une administration qui est compliquée, qui est en perpétuel besoin en reconnaissance. Et donc, on ne peut pas l’aborder à travers les tensions qu’il peut exister. Il y a toujours une dimension ressources humaines […] Mais encore une fois, le sujet dans le cas d’espèce qui vous occupe, c’est la gestion de la détention".
Une gestion qui pose encore largement question.