Corse : conflit entre le conseil exécutif et le Préfet autour d'une motion de soutien aux populations arméniennes

L'Assemblée de Corse a adopté, le 6 novembre dernier, une motion de soutien aux populations arméniennes du Haut-Karabakh et de reconnaissance de la république d'Artsakh. Une délibération qui n'est "pas justifiée d'un intérêt local" pour le Préfet de région, Pascal Lelarge.

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C’est une nouvelle passe d’arme entre le Préfet de Corse, Pascal Lelarge, et le président du conseil exécutif, Gilles Simeoni.

Au centre du conflit : une motion de soutien aux populations arméniennes adoptée le 6 novembre par l’Assemblée de Corse.

La délibération n° 20/179 dénonce ainsi "l’agression azerbaïdjanaise, soutenue par la Turquie, à l’égard de la population du Haut-Karabakh", "apporte son soutien indéfectible aux populations arméniennes dans leur recherche de paix et de liberté" et demande, enfin, "à l’ensemble des États de l’ONU et de l’Union européenne, de s’engager avec force dans la résolution de ce conflit et dans la recherche d’une paix durable".

Lire la délibération n°20/179 de l'Assemblée de Corse

Une délibération qui n'est "pas justifiée par un intérêt local"

Problème, pour le Préfet de Corse, cette délibération "n’est pas justifiée par un intérêt local". Dès lors, estime Pascal Lelarge dans une lettre adressée au président du conseil exécutif datée du 30 novembre, "la jurisprudence considère qu’une collectivité n’est pas compétente pour prendre des délibérations relevant de la politique extérieure de la France".

Et ce, quand bien même d’autres collectivités françaises – à l’instar de la métropole Aix-Marseille-Provence – ont déjà exprimé "des vœux de politique internationale sans justifier d’un intérêt local particulier".

Un motif justifiant aux yeux du Préfet sa demande de retrait de la délibération n° 20/179 "dans les meilleurs délais". Faute de quoi il se verrait "contraint de le soumettre à la censure du juge administratif".

Un courrier que le président du conseil exécutif a choisi de rendre public, en plus de sa réponse, ce mardi 15 décembre. "Écrire qu’il n’existe pas de lien direct entre la Corse et le peuple arménien témoigne, au mieux, d’une méconnaissance profonde de l’histoire de nos deux peuples", assène Gilles Simeoni.

La Corse et l’Arménie, rappelle-t-il, partagent "des liens qui trouvent leurs racines dans le passé ancien", citant le mamelouk de Napoléon, d’origine arménienne et la lettre d’abdication de l’Empereur conservée dans les archives du musée de la littérature et des arts à Erevan.

Ecrire qu’il n’existe pas de lien direct entre la Corse et le peuple arménien témoigne, au mieux, d’une méconnaissance profonde de l’histoire de nos deux peuples.

Gilles Simeoni, président du conseil exécutif

Plus généralement, une "amitié profonde et chaleureuse" relie les Corses et les Arméniens, "sans doute parce que nous avons eu à connaître les uns et les autres, sous des modalités différentes, les tourments de l’histoire et la blessure de l’exil."

La Corse, glisse également Gilles Simeoni, est devenue "une deuxième patrie pour de nombreux Arméniens qui ont choisi d’y vivre depuis des décennies."

Des valeurs corses "de liberté et de fratenité"

Le peuple corse, estime le président du conseil exécutif, a toujours exprimé son attachement "aux valeurs de liberté et de fraternité, et son refus du fascisme et du totalitarisme".

Des valeurs que l’île a démontré par le passé, en apportant son soutien à la population juive, cachée et protégée pendant la Seconde Guerre mondiale, argue Gilles Simeoni. Et qui prévalent de nouveau aujourd’hui, avec ce soutien au peuple arménien.

Faire droit à votre demande de retrait conduirait à renier une part essentielle de ce que nous sommes en tant que peuple

Gilles Simeoni, président du conseil exécutif

Accéder aux demandes du Préfet de Corse en retirant cette délibération serait donc un reniement "d’une part essentielle de ce que nous sommes en tant que peuple", tranche-t-il. Et l’impossibilité pour l’Assemblée "de faire entendre sa voix en faveur d’une Europe et d’un monde plus justes", quand la "guerre d’agression menée contre le Haut-Karabakh s’est faite dans le silence de la communauté internationale".

En conséquence, Gilles Simeoni l’assure : il n’entend pas procéder au retrait de la dite délibération. Plus encore, l’élu invite le Préfet de région "à retirer [sa] lettre de demande de retrait".

Une position du Préfet "pas de nature" à influer celle de l'Assemblée

Une position publiquement soutenue par plusieurs membres de l’Assemblée de Corse.

Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée, argue ainsi que "la position du Préfet, en la matière comme en d’autres, n’est pas de nature à influer sur la nôtre. Pas davantage au cas où le tribunal administratif serait saisi, et ce quelle que soit sa décision. La force politique de la délibération de l’Assemblée n’en serait pas alterée."

Fabienne Giovannini, élue Femu A Corsica, reproche de son côté une "critique scandaleuse du pouvoir préfectoral en Corse".

Décision "maladroite" ou "lobbying turco-azerbaïdjanais" ?

Le courrier du Préfet a ému au-delà de l'île. Ara Toranian, co-président du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) décrit ainsi d'une décision "regrettable" et "très malvenue". "On se demande de quel droit le Préfet peut juger de l'amitié entre la Corse, les corses et l'Assemblée de Corse et les Arméniens."

"À moins qu'il ne s'agisse de la résultante d'une action du lobbying turco-azerbaïdjanais, qui est assez puissant en France, et avait déjà obtenu il y a deux ans que le ministère de l'Intérieur intervienne contre les chartes d'amitié", s'interroge Ara Toranian.

Un conflit lourd de plusieurs milliers de morts

Pour rappel, de vives tensions règnent depuis des années entre les indépendantistes Arméniens et les forces armées d’Azerbaïdjan aux frontières du Haut-Karabakh, une région séparatiste de 150 000 habitants, située au sud-ouest de l’Azerbaïdjan.

Le territoire, majoritairement peuplé d'Arméniens appelant à leur droit d'autodétermination des peuples, avait été attribué à l'Azerbaïdjan en 1921, qui en revendique de fait sa possession.

Fin septembre 2020, un regain des violences a été enregistré. Après six semaines de violents affrontements, une cessation des hostilités a été négociée entre les deux parties. Celle-ci acte une déroute militaire arménienne et accorde d'importants gains territoriaux à Bakou.

Plusieurs milliers de morts, militaires et civils, ont été répertoriés dans les deux camps, faisant de ce combat l'un des plus meurtrier depuis 1990. 

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