"Aujourd'hui je porte la blouse d'une mère, pas d'une infirmière. Je ne peux mener qu'un combat..."

Une jeune infirmière ajaccienne est confinée à Marseille avec son nouveau-né, grand prématuré. Loin des siens, et face au coronavirus


 

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Le 7 mars dernier Laurie, jeune infirmière ajaccienne, a accouché prématurément de son deuxième fils, Andria.
Et a dû partir en urgence à Marseille pour le retrouver, au service des grands prématurés de l'hôpital Nord.

Depuis, elle est bloquée là-bas.
Et elle lutte, au quotidien, pour être une mère dans un monde où l'épidémie de coronavirus a tout chamboulé. 

 
 

Andria, grand prématuré

"C'est horrible, je ne vois plus Pablo. Il fait ses premiers pas, et je suis obligée de vivre ça de loin".
Pablo, c'est son premier fils. Il a 13 mois. Il est à Ajaccio, avec son père. 
"Je suis partie en catastrophe. C'est dur, mais on essaie de donner le change, on ne veut pas le déboussoler. Il s'est levé un matin, et il n'y avait plus sa maman. Je n'ai même pas pu lui dire au revoir." 

La voix de Laurie se brise, et on croit deviner un sanglot étouffé de l'autre côté du combiné. 
La jeune maman laisse échapper un rire timide. 
On la sent gênée de laisser affleurer ses émotions. 
 

Le fait de ne pas être avec mes collègues pour aider les malades, c'est très dur


Laurie est infirmière, à Castelluccio. 
Et elle l'a appris au fil des années des expériences et des coups durs. 
Dans son métier, il ne faut pas se laisser déborder par l'émotion. 
Il faut la canaliser, n'en rien laisser paraître. 

Mais là Laurie est avant tout une maman. 

Une maman désemparée, qui tient bon, et se bat. 
Mais infirmière, on n'arrête jamais totalement de l'être...

"Le fait de ne pas mettre ma blouse, de ne pas être là-bas, avec mes collègues, pour aider les malades, c'est très dur. Quand je vois, à travers Facebook, à quel point elles galèrent, c'est horrible. C'est un sentiment qui m'accompagne toute la journée, mais je ne peux mener qu'un combat. Aujourd'hui, j'ai la blouse d'une mère, pas d'une infirmière". 
 
 

Partir, sans pouvoir revenir

Ce combat, il a débuté un peu plus de trois semaines. 
Le deuxième enfant de Laurie et Sébastien, Andria, naît prématurément. A 28 semaines au lieu de 41. 
Il quitte la Corse pour Marseille, avec le nouvel hélicoptère du SAMU. 

Trois jours plus tard, le mardi 10 mars, Laurie part à son tour, en avion, avec assistance médicale, pour retrouver son fils. 
Elle peut à peine marcher. 

Sébastien la rejoint le vendredi suivant, en bateau. 
Il arrive à trouver une place, difficilement, alors que les avions sont tous complets. 
 

Le coronavirus, qui n'était qu'un sujet de discussion de fin de repas et de plaisanterie quelques jours plus tôt, est en train de s'abattre sur l'Europe. 
L'inquiétude grandit, les rumeurs de confinement enflent.

Le dimanche soir, Sébastien rentre en Corse pour s'occuper de Pablo, leur aîné. 
En pensant qu'il reviendra très vite voir Laurie et leur dernier-né. 
 

Soudain, tout bascule

Le lendemain, Emmanuel Macron annonce des mesures de confinement. 
Et les conséquences sont innombrables. 

Pour Laurie, la première d'entre elles, c'est que son compagnon ne pourra pas leur rendre visite de sitôt. 
On lui fait comprendre, très vite, au service de Reaneonat, qu'il serait mieux qu'il en soit ainsi. 

"On ne m'a pas dit qu'il ne devait pas venir, on m'a juste posé la question "Votre mari, il ne compte pas revenir ?", ce que j'ai interprété comme une manière de me dire qu'il n'était pas le bienvenu parce qu'il venait d'un Cluster. Et je suis infirmière, je suis au courant de la réalité du métier de soignants, donc je peux comprendre. Mais c'est dur à vivre". 
 

Votre mari, il ne compte pas revenir ?


Très vite, on prévient la jeune maman. 
Il faut qu'elle se prépare à rester à Marseille, à l'hôpital Nord, au moins jusqu'au 7 juin. 
Et Laurie se rend compte que cela ne va pas être facile. 

Le monde médical français fait face à une crise sans précédent, et malgré tous les efforts et les sacrifices du personnel, cette crise a des conséquences chaque jour plus évidentes sur le quotidien de l'hôpital, de ceux qui y travaillent et de ceux qui y sont hospitalisés. 
 
 

Apprendre à fonctionner dans un système de santé qui prend l'eau de toutes parts

"La première semaine, avant le confinement, les mamans pouvaient prendre leur enfant dans les bras presqu'en permanence, comme il est d'usage habituellement, quoi.
Et puis ça a changé. Pendant quelque temps, on n'a pu le faire qu'une fois par jour. Le week-end dernier, la décision est tombée. Ca n'était plus autorisé."


La raison est simple.
Comme partout ailleurs, les patients atteints du Covid-19 affluent de plus en plus, et le matériel manque cruellement.
Il n'y a pas de protections disponibles, et par mesures de sécurité, on ne peut plus s'approcher du personnel soignant, ni entrer dans les boxs. 

Pour Laurie, c'est inenvisageable. 
"Il est absolument primordial pour un enfant grand prématuré d'être pris au bras par sa mère. C'est ce que l'on appelle le soin peau à peau, c'est un véritable soin, qui permet de réguler la température, de diminuer leur anxiété, de mieux créer et stimuler les fonctions neuronales."
 


L'infirmière ajaccienne attend le lundi matin, et demande à parler à une cadre du service Réaneonat, qui semble démunie.
Elle lui apprend qu'elle ne gère pas les stocks et n'a pas la responsabilité de ce genre de décision. 
Laurie demande à voir la direction, qui la reçoit. 

La direction entend les demandes de la jeune maman et demande aux médecins du service où se trouve Andria d'autoriser les mamans à revoir et à toucher leur enfant. Pour cela, elle accepte de distribuer un peu du matériel qu'elle garde précieusement, en prévision du pire.
 

Il est absolument primordial pour un enfant grand prématuré d'être pris au bras par sa mère. Et on n'avait plus le droit


"J'ai vu des tonnes et des tonnes de cartons, ils en avaient, du matériel. Mais ce n'est pas qu'ils ne voulaient pas le donner, ils doivent juste être prudents. Et patients. Ils ne savent pas du tout comment tout cela va évoluer". 
A l'hôpital Nord, comme ailleurs, on est contraint, cruelle réalité d'une situation qui devient chaque jour plus critique, de hiérarchiser les priorités. 

"Je m'en veux, parfois, d'être allée me plaindre. On est dans l'un des meilleurs hôpitaux de France, dans un service où ils tentent d'être aux petits soins, et je sais que c'est difficile. Notre fils est entre de bonnes mains.
Et ils ont des moyens, malgré tout... Quand je compare l'état des hôpitaux chez nous... Enfin, ils nous les ont donné ces putain de masques !"

 
 

D'autres combats à mener

Le séjour au service réaneonat, c'est un parcours du combattant. 
Les premiers jours, avant l'explosion de l'épidémie, elle a pu dormir dans le box de son fils. Sans pouvoir se déplacer, après la césarienne, pour chercher de qoi manger ou son traitement. 
Ensuite, elle a pu prendre un hôtel près de l'hôpital. 

Et puis elle a réussi, in extremis, à obtenir un des logements parentaux qui sont à la disposition des parents, à l'intérieur de l'enceinte de l'hôpital. 
"J'ai déposé le dossier le vendredi soir, et le dimanche soir, ils ont fermé l'accès aux logements, ils n'acceptaient plus personne, en raison du confinement". 
 

Il y a des boxs où ils sont quatre, avec quatre mamans, et tout le monde est collé...


Le problème, c'est que nombre de mères qui circulent dans le service, elles, ne sont pas isolées comme Laurie. 
Elles sortent, rencontrent des gens, font les courses, rentrent chez elles chaque soir...
"Moi, j'ai la chance qu'Andria ait un box pour lui, mais il y a des boxs où ils sont quatre, avec les quatre mamans, et tout le monde est collé. Masque ou pas masque". 

Alors Laurie n'en démord pas. 
Il faut tester les mères. 

"Ca demanderait moins de matériel, et ça en dégagerait pour le personnel, si on savait qui est malade et qui ne l'est pas. Et il faut les faire ici, aux Urgences. J'ai pas envie d'aller à la Timone, je suis sûr de ne pas être malade pour l'heure, et je ne veux pas me mélanger..."
 

Un combat de plus à mener pour Laurie, qui n'est pas prête de déposer les armes. 
Et qui puise la force nécessaire auprès d'Andria, son fils. 

Quand elle donne de ses nouvelles, une dernière fois, avant de raccrocher, c'est cette fois une détermination et une fierté immense qui transparaissent dans la voix de la maman. 

"Andria va bien, et il grandit ! Il est en pleine forme..."
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