C'est l'une des grandes dates de l'histoire nationaliste, et l'un de ses épisodes les plus violents. Retour sur l'affaire "Bastelica-Fesch", qui débuta sur la route du village de Bastelica, le 6 janvier 1980. Et se solda par trois morts à Ajaccio. A (re)voir dans le magazine Ghjustizia.
Début janvier 1980, quatre ans après Aleria, une fièvre s’empare du village de Bastelica et du centre-ville d’Ajaccio. Le mouvement nationaliste dévoile au grand jour l’existence et les actions violentes de polices parallèles. 5 ans après Aleria, la Corse replonge dans le drame.
La neige tombe sur le village de Bastelica ce 6 janvier 1980. Une voiture suspecte est repérée. Un commando de nationalistes, autour de Marcel Lorenzoni, éleveur militant séparatiste très en vue, l’attend.
Ils savent par le biais, d’un "infiltré", que Francia, groupuscule clandestin anti-nationaliste projette de venir à Bastelica pour enlever Marcel Lorenzoni.
A l’époque, la tension est à son comble. Aux attentats du FLNC, répondent les plasticages de ce groupe souterrain armé.
"Je tenais au bout de mon fusil le commandant Bertolini, ce plaisir est inégalable", se souvient Dumè Bianchi qui a intercepté la voiture.
Le deuxième Alain Olliel, un armurier d’Ajaccio, porte sur lui, dans une de ses poches, la carte du SAC, le service d’action civique, un service de sécurité et police parallèle, mis en place autour du Général De Gaulle en 1959. (Francia est une branche régionale du SAC, ndlr).
Le troisième s’appelle Yannick Leonelli. C’est lui qui a averti les rebelles de Bastelica.
Les nationalistes n’ont plus qu’une idée en tête. "Remettre ces barbouzes à la justice et donner à cette affaire la plus grande ampleur médiatique".
Dans la nuit, c’est le drame, trois morts
Hélicoptères, auto-mitrailleuses, gendarmes mobiles, Bastelica est pris d’assaut par les forces de l’ordre.Certains militants sont arrêtés, d’autres autour de Marcel Lorenzoni, quittent le village pour aller à Ajaccio, à l’hôtel Fesch. Des clients sont pris en otage.
"La seule chose que l’on voulait, c’était une conférence de presse", raconte Christian Lorenzoni, qui faisait partie des occupants. Des dizaines de gardes mobiles quadrillent la ville.
Dans la nuit, c’est le drame. Un CRS, Hubert Massol est tué à bout portant par un manifestant. Michèle Lenck, une jeune psychologue qui rentrait chez elle en voiture, est abattue par un policier. Pierre Maringoni, un jockey de 23 ans est victime d’un tir sur un barrage de police. La Corse est tétanisée.
Le GIGN, groupe d’intervention de la gendarmerie nationale est envoyé à Ajaccio. Le commandant Prouteau parvient à approcher Marcel Lorenzoni qui acceptera de se rendre à l’issue d’un dialogue entre "parachutistes".
Une quarantaine de militants nationalistes sont incarcérés. A l’époque, c’est la cour de Sûreté de l’Etat, une juridiction très particulière, créée en 1963 après la guerre d’Algérie pour juger les opposants politiques, qui hérite du dossier.
Aucune enquête à l’encontre des gendarmes
Des milliers de personnes défilent à Ajaccio pour soutenir les prisonniers. Marcel Lorenzoni et Dumé Bianchi sont condamnés à quatre ans de prison. Christian Lorenzoni et Gilbert Casanova prendront deux ans ferme.Il n’y aura aucune enquête à l’encontre des gendarmes après la mort du jeune jockey. Les recherches concernant le manifestant soupçonné du meurtre du CRS seront abandonnées. Quant au policier, soupçonné d’avoir tué Michele Lenck, d'abord mis en examen pour meurtre, il ne sera finalement pas jugé.
Pour toute réponse de la justice, la famille Lenck recevra une amende pour procédure abusive après avoir tenté un recours devant la Cour de Cassation
En 1981, François Mitterrand est élu Président de la République. La Cour de Sûreté de l’Etat sera supprimée, et le SAC dissous en 1982. Et une décennie d’attentats s’ouvrait dans l’île.
(Re)voir le magazine Ghjustizia.