Corse : "l'inflation, le prix des matières premières et de l'énergie, ont mis en exergue certaines difficultés de notre système économique"

Ce mercredi 17 janvier s'est tenue la rentrée solennelle du tribunal de commerce d'Ajaccio. Un constat : 2023 a été marqué par une forte augmentation des procédures collectives, 324 contre 160 en 2022. Les prévisions pour l'année qui débute ne semblent pas présager de belles améliorations. Frédéric Benetti, président de la juridiction répond aux questions de France 3 Corse ViaStella.

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"L'année 2024 sera charnière dans le tracé d'une nouvelle ère économique", prévient le président du tribunal de commerce d'Ajaccio, Frédéric Benetti, ce mercredi 17 janvier, lors de la rentrée solennelle de la juridiction.

Les statistiques de l'année qui vient de se terminer, sont parfois qualifiés "d'accablants", notamment en matière d'emplois menacés, plus de 370. De plus, 324 ouvertures de procédures collectives, contre 160 en 2022. Une augmentation qui s'observe également pour les procédures de liquidation judicaire, 101 en 2023 contre 68 l'année précédente. Les redressement judiciaires ont concerné 95 entreprises l'année dernière, 31 en 2022. 

Si les indicateurs pour l'année 2025 semblent annoncer un avenir meilleur, 2024 appelle le président du tribunal de commerce au "pessimisme". "On voit des carrences dans les trésoreries des entreprises, et une inertie dans les carnets de commandes", souligne Frédéric Benetti dans son discours. 

Le président du tribunal de commerce d'Ajaccio répond aux questions de France 3 Corse ViaStella.

Vous entamez votre 7e et dernière année à la présidence du tribunal de commerce d’Ajaccio, comment avez-vous vu évoluer la situation économique insulaire ? Que s’est-il passé ?

En 2017, quand je prends mes fonctions, le tribunal navigue dans la stabilité, dans un travail stable, à savoir : des liquidations, des redressements, mais c'est, c'est plutôt un rythme de croisière.

Ce rythme s'est accéléré non pas en 2018 ou en 2019. Il s'est accéléré en 2023, sept ans plus tard. Pourquoi ? Parce que la crise COVID était là, celle liée à la guerre en Ukraine avec l'augmentation des matières premières, des coûts de l'énergie, la crise bancaire où il y a une inflation que l’on subit et que la demande subit ...

Tout ça, sont des éléments qui en se combinant ont donné ce que nous allons vivre cette année et ce que nous avons vécu en 2023. En demi-teinte pour le moment. Je rappelle que y a eu 904 injonctions de payer. Ce sont des demandes de règlement pour des créances qui ne sont pas payées et ça, ça montre bien qu'il y a une carence dans la trésorerie des entreprises.

Ce qui a évolué ... Je ne peux rien dire d’autres que la conjoncture de 2020. Ce que nous avons vécu en 2020 était particulier, exceptionnel certainement et j’espère unique.

En 2023, il y a eu 324 ouvertures de procédures collectives, 160 en 2022, ça fait le double. Qu'est-ce qui explique ce surcroît de procédures ?

Ce qui explique ce surcroît, c'est bien évidemment la situation économique insulaire, en règle générale nationale, mais insulaire aussi. Plusieurs événements combinés pour favoriser ce contexte judiciaire de recrudescence de dossiers : la commande publique, les taux d'inflation qui ont augmenté, le prix des matières premières, le prix de l'énergie. C'est un tas d'événements qui, en se combinant, ont mis en exergue certaines difficultés dans notre système économique.

Tous les secteurs sont concernés de la même façon ou certains plus que d’autres ?

Pour le moment, il n'y a pas de secteur plus impacté que d'autres. Bien évidemment les secteurs du CHR (cafés-hôtels-restaurants ndlr.) ou du bâtiment, qui sont les deux secteurs principaux de l'économie corse, sont bien évidemment plus impactés.

Mais je pense que l'ensemble de l'économie sera impacté a posteriori parce que l'effet boule de neige fait que la demande est moins présente, que ce soit au niveau des particuliers, dont le pouvoir d'achat est réduit, comme des entreprises, ou éventuellement des promoteurs, pour l'exemple du bâtiment, qui ne construisent pas parce que les les permis de construire ne sont pas validés ou sont plus ou moins retenus. On a donc un tas de phénomènes qui permettent aujourd'hui d'être assez pessimiste quant à l'année 2024.

Vous avez évoqué 101 liquidations. Combien d'emplois sont concernés ? Combien de personnes se sont retrouvées au chômage du fait de liquidation ?

Il s'agit, à peu près, entre 75 et 95 emplois qui ont été menacés. Mais ce qui est important, c'est que ces entreprises qui sont en redressement aujourd'hui et dont les ouvertures ont été faites en 2023, qui concernent notamment 327 emplois. C'est-à-dire que ces emplois-là sont encore sauvables.

À l'entreprise de faire face et à nous de les accompagner au mieux pour que l’on puisse maintenir ce cap aussi de l'emploi.

Le PGE (Prêt Garanti par l'État) pose aussi problème dans le remboursement des entreprises. Pourtant, vous avez évoqué des perspectives d’amélioration avec, notamment, un adoucissement des étalements...

Ce qu'on constate aujourd'hui, c'est que le remboursement des PGE est difficile, très difficile. Bercy a annoncé un allégement en pouvant prolonger le PGE de trois années supplémentaires, ce qui pour moi, est assez salutaire.

À suivre pour ce qui concernera le mécanisme. Mais il n'y a pas que le PGE dans tout ça, il y a une difficulté réelle de trésorerie qui est due principalement à une carence dans la demande et quand on ne rembourse pas une dette, c'est qu'on n'a pas de rentrées. Donc il est évident qu'aujourd'hui, sans cette demande, la dette qu'elle soit PGE, ou emprunt classique, ne pourra pas être remboursée.

Pour 2024, vous dressez aussi un tableau plutôt sombre. Vous êtes pessimiste, mais vous dites aussi que vous serez là pour accompagner les entreprises en difficulté.

Nous serons là bien évidemment pour les accompagner. En revanche, nous ne pourrons pas sauver tout le monde de cette situation. Certaines entreprises qui auraient dû, à un moment donné, déposer que ce soit en 2020, 2021 ou 2022, ont réussi grâce à l'aide de l'État, à survivre et à passer un certain cap.

Aujourd'hui, les effets de la crise persistent, pourtant, nous sommes en 2024. Et ils continuent à évoluer malgré les nouvelles directives du gouvernement. Donc on ne pourra pas sauver tout le monde, on sera là pour les soutenir du mieux que l'on pourra, et avec les outils qui sont les nôtres.

Ces outils, nous ne pouvons pas les inventer. Si, pour autant, les entreprises peuvent anticiper de leur côté une éventuelle problématique économique ou financière, à ce moment-là, ça sera peut-être un peu plus salutaire pour eux.

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