Depuis le 21 mars, la saison hippique insulaire a repris à huis clos. Même si la situation impacte l’organisation des courses, les professionnels de la filière peuvent continuer à courir. Ce qui reste, pour eux, le plus important.
Hippodrome d’Ajaccio. Jeudi 29 avril, 10 heures. Malgré la pluie, les chevaux s’entraînent sur le champ de courses de Vignetta. Au bord de la piste, quelques entraîneurs et propriétaires les suivent du regard, puis débriefent avec les jockeys. Une matinée normale, en somme, qui ferait presque oublier que les réunions hippiques se déroulent partout en France à huis clos.
À l’instar des autres manifestations sportives, les courses se disputent devant des tribunes vides depuis le 29 octobre dernier, date du début du deuxième confinement. Une situation qui n’est pas sans incidence sur le fonctionnement des sociétés chargées d’organiser les réunions hippiques. « L’impact est financier car nous n’avons plus d’entrées payantes et plus de revenus qui découlent des courses », indique Gilles Leca, président de la société des courses d’Ajaccio qui organisé sa première réunion de l’année le 28 mars. « L’an passé, en mai, situe notre interlocuteur, on courait déjà sans la présence du public. Tout avait déjà été mis en place pour appliquer les règles sanitaires et recevoir les professionnels dans les meilleures conditions. »
Si les sociétés hippiques sont essentiellement composées de bénévoles, elles font également appel à des personnes qu’il faut rémunérer. « Pour l’organisation d’une réunion, on a aussi besoin de vétérinaires, de médecins et de techniciens, poursuit le président ajaccien. Toutes ces personnes ont un coût. Nous n’avions plus les rentrées pour les payer comme il se doit et tout le monde a fait des efforts. Heureusement, France Galop (instance nationale organisatrice des courses, ndlr) nous a donné une petite rallonge pour subvenir aux dépenses qui, elles, existent toujours. » Cette subvention est d’environ 2.000 euros par réunion pour les quatre hippodromes de l’île où l’on court de mars à fin octobre.
En dehors de cette aide, les sociétés sont contraintes de fonctionner sur leurs fonds propres. « On a des difficultés, admet Gilles Leca, car on n’a plus les entrées payantes, la buvette et tout ce qui peut se vendre sur un hippodrome un jour de courses. Sans oublier le PMH (Paris mutuel hippodrome, ndlr). » Comprendre les guichets de prise de paris, actuellement fermés en raison du huis clos. Un manque à gagner supplémentaire pour les sociétés des courses. En France, ce sont les enjeux (PMU et PMH) qui financent l’ensemble de la filière hippique.
Les courses depuis la voie ferrée
Malgré cette situation qui dure depuis six mois, les professionnels corses gardent le moral. Rappelons que l’an passé à pareille époque, les courses avaient été suspendues sur tout le territoire national jusqu’au 11 mai. « On a quand même la chance de pouvoir courir, souligne Jacques Simongiovanni, propriétaire de galopeurs bien connus sur l’île. Même s’il n’y a pas de public, France Galop a fait le nécessaire pour que les professionnels puissent se retrouver. En tant que propriétaires, nous ne sommes pas trop impactés car les allocations sont maintenues, mais le public reste quand même sur sa faim. Ce n’est pas évident, surtout en Corse où nous avons beaucoup de gens friands de courses et qui jouent beaucoup. » « C’est bien triste de courir devant des tribunes vides, regrette Paulette Mammia, entraîneur dans la région ajaccienne. On a beaucoup de supporters et ils rongent leur frein. Certains montent même sur la voie ferrée au-dessus de l’hippodrome pour voir une course. Ils attendent la réouverture avec impatience. »
En vue du déconfinement progressif qui débutera le 3 mai, Emmanuel Macron détaillera ce vendredi 30 avril dans la presse régionale les perspectives de sortie des mesures de restrictions. « D’ici mi-mai, on pourrait peut-être accueillir un peu de public, espère Jacques Simongiovanni. Ce serait bénéfique pour les chevaux, les entraîneurs, les jockeys et aussi pour les enjeux. » D’après nos informations, les enceintes sportives en plein air pourraient rouvrir - avec une jauge maximale de 1.000 personnes - le 19 mai.
Pour la quarantaine d’entraîneurs répartie Corse, courir reste le nerf de la guerre. À Ajaccio, l’hippodrome est d’ailleurs ouvert tous les jours afin que les pur-sang puissent galoper sur la piste d’entraînement. « Les chevaux sont des sportifs et ont besoin de se dégourdir les jambes et de sortir », explique Gilles Leca. « On n’a pas trop à se plaindre, prolonge Paulette Mammia. Je trouve qu’on s’en sort bien car, malgré tout, les chevaux arrivent à s’entraîner pour courir le dimanche. C’est l’essentiel. Une écurie où vous ne pouvez plus courir, c’est une catastrophe. En plus, on a eu depuis l’ouverture de la saison (le 21 mars, ndlr) certaines épreuves avec 14 et 15 partants. Ça faisait des années qu’on n’en avait pas eu autant ! On regarde vers l’avenir. »
En attendant Zonza
Partagé par les acteurs de la filière rencontrés ce jeudi matin à l’hippodrome de Vignetta, cet optimisme semble être aussi le fruit d’une bonne entente entre les professionnels. « Bien sûr qu’il ne faudrait pas que cette situation s’éternise trop longtemps, avoue Gilles Leca. Mais, pour l’instant, on tient le choc et on se débrouille comme on peut. Nous sommes aidés par des amis qui nous donnent des coups de mains par-ci par-là. On essaie de faire vivre l’institution. » « Il y a une très bonne ambiance entre les propriétaires, confirme Jacques Simongiovanni. Ici, tout le monde se connaît, on est amis avant tout. Vous savez, ça reste des chevaux. On fait ça uniquement pour le plaisir, pas pour gagner de l’argent. »
À deux mois de l’ouverture du meeting estival de Zonza (4 juillet), temps fort de la saison insulaire, les acteurs de la filière corse espèrent désormais pouvoir courir cet été devant des tribunes pleines. Comme c’est souvent le cas sur l’hippodrome de Viseo. « Il peut y avoir jusqu’à 3.000 ou 4.000 personnes par réunion », glisse Jacques Simongiovanni. « Ce serait triste de voir Zonza vide », reconnaît Paulette Mammia, qui reste néanmoins positive : « Tant qu’on peut continuer à courir, on sauve les meubles.»