Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Hier, durant quelques minutes entre parenthèses, elle a presque regoûté à la vie d'avant.
J’ai bu mon café au marché ce dimanche.
La banalité d’un propos prend tout son sens en plein confinement.
Car je n’étais pas partie pour boire un café en terrasse mais pour marcher un peu jusqu’au bar de François dont la caisse reste ouverte pour assurer la vente des cigarettes.
Je ne fume pas.
J’avais juste besoin de me dégourdir les jambes et de tchatcher un peu pour encaisser la suite de manière monacale.
Un coin de rue où l’on cause…
Dans la rue Fesch, je croisais peu de monde mais toujours (le toujours d’avant le confinement) la même dame assise sur son banc, monument de résistance dans un monde changeant.Je trouvais sa présence rassurante comme une habitude qu’on ne peut pas abattre malgré les bouleversements.
Une intemporalité qui fait chaud au cœur.
J’ai rencontré ma voisine qui avait, elle aussi, poussé un peu plus loin que notre quartier avec son fils.
On s’est dit en se croisant, « on n’en peut plus, hein ? ».
On n’en peut plus mais on a souri de la bouffée d’oxygène qu’on allait chercher dans cette sortie.
Un peu d’air que l’on aurait préféré prendre en montagne ou dans une balade sur la plage.
Mais le marché reste quand même le lieu d’un dimanche matin, pour les ajacciens que nous sommes.
Pourtant, de la place qui l’accueille (ce marché), je me suis tenue éloignée.
Je n’ai plus croisé de monde depuis un mois, je n’en avais pas davantage envie pour cette sortie. Je voulais juste faire un coucou à François.
Je n’étais visiblement pas la seule.
Autour des tables et des chaises empilées de son bar fermé, se tenaient quelques personnes, toutes à distance les unes des autres, là où, d’ordinaire, s’enchaînent les accolades.Un moment d'échange à l'heure où on ne se croise plus
Je balayais l’assemblée du regard : des hommes pour l’essentiel, installés en station debout ou appuyés sur les voitures garées en biais devant l’établissement.
Le large trottoir paraissait immense en l’absence des terrasses qui accueillent d’ordinaire les clients.
Le lieu sonnait même faux sans la porte ouverte de la quincaillerie Costa (elle l’est toujours le dimanche matin) et les tablées pleines.
Je pensais d’abord que les personnes présentes attendaient leur tour pour acheter un paquet de cigarettes, mais rien de tout cela en vérité.
Juste un moment d’échange à l’heure où l’on ne se croise plus au quotidien.
A distance, les discutions allaient bon train, réappropriation certaine de vieilles habitudes à l’aune d’un nouveau temps.
Je voyais François sortir une première fois et lui faisais signe de loin.
C’est là que sont arrivées deux copines souriantes.
Celle qui met du rouge à lèvre pour sortir les poubelles, l’autre qui s’est faite cooptée par la communauté des joggers.Se réapproprier les petits rien du quoitidien
Cette dernière habite les beaux quartiers, elle a donc comme terrain de sport le bord de mer qui va de la place du Diamant au Trottel.
En comparaison, j’ai la portion de route entre la gare routière et la deux-fois-deux-voies de l’Amirauté, ce qui donne beaucoup moins envie d’aller trottiner (ben non, je ne me trouve pas d’excuses !).
Pourtant, lorsqu’elle nous a parlé des petits coucou que se faisaient en passant les sportifs sous les palmiers, on aurait presque eu envie de s’y essayer aussi.
Bon – c’est elle qui le raconte - elle bombe le torse à chaque sympathique rencontre (genre, « tout va bien », c’est super le sport) pour cracher ses poumons le beau gosse passé, il n’empêche....
Voilà le genre d’anecdote qui met en joie en ce moment !
Une situation à se réapproprier les petits riens du quotidien comme de grands moments d’allégresse.
Servi sur un plateau
Nous en étions à nous gausser de nos petites histoires (avec sans doute une bonne dose de tristesse derrière) quand François est arrivé avec des cafés servis sur un plateau (avec toutes les précautions d’usage et la liberté offerte de le refuser).Vous ne pouvez pas savoir comme il a fait chaud au cœur ce café.
Celui que nous avons bu en terrasse.
Une terrasse vidée de son mobilier et nous debout au milieu, mais une terrasse au marché quand même.
Un truc à vous dire que tout n’est pas perdu.
François a même poussé le bouchon jusqu’à accompagner le petit noir d’un moelleux au chocolat.
Je retrouvais le sourire en même temps que ce qui m’amène toujours à cet endroit : l’attention.
Quand je m’y rendais avec ma nièce, petite, elle repartait toujours avec des images ou des bonbons.
Quand j’y reviens toute seule, François se met systématiquement en quête du journal pour me l’apporter, puis, il prend le temps de s’assoir un peu pour discuter.
C’est ce qu’il a fait, hier encore, quand mes copines sont parties.
Lui, appuyé sur une table cette fois, et moi, debout juste en face, à distance, sur le trottoir.
On a parlé de l’impact psychologique qu’aurait cette période sur la suite.
Une suite dans laquelle on a du mal à se projeter vraiment.
Lui ne sait pas quand il pourra rouvrir son bar mais il n’a pas évoqué le sujet.
Je n’ai retenu que les sourires qui disaient qu’on était content de se voir.
En repartant de ce moment – il fût court, les fumeurs se sont vite réaccaparé François – je l’ai gardé aux lèvres, ce sourire.Le sourire aux lèvres
Sur le chemin du retour, j’ai même gloussé en repensant à une conversation que j’avais entendue, un homme disant à un de ses amis, « tu te rends compte, cent virgule huit… c’est le ‘virgule huit’ qui m’a tué ».
Il parlait de son poids, sur la balance, qui ne cessait de grimper.
De la langouste et la soupe de poisson qu’il avait mangé la veille.
J’ai éclaté de rire toute seule en pensant, « je mangerais bien de la soupe de poisson et de la langouste ».
J’ai éclaté de rire parce que, tellement bien dans ce moment, j’en aurais presque oublié que je n’aime pas la langouste !
Quand j’ai emprunté la ruelle qui remonte vers la rue Fesch, deux mamies se tenaient côté à côte à la fenêtre d’un même appartement.
Deux sœurs, deux amies, deux cousines ?
En tout cas, l’expression même de la vie de cette rue Fesch : des vieilles ajacciennes qui regardent passer les gens, toisant de leur hauteur cette vie d’en-bas à laquelle elles ne doivent plus top se mêler.
Une vie qui leur sera interdite plus longtemps qu’à nous.
Je me suis dit qu’elles avaient beaucoup de courage de vivre ce temps dans un temps où elles n’ont plus le temps d’en perdre (du temps).
Ou alors simplement à flâner.