Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : chroniques du marché

Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Ce dimanche, il est question du marché et d'une vie ajaccienne qui reprend timidement.

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►Retrouvez le chapitre 45 :  

  • Chapitre 46 : chroniques du marché


Régis est arrivé commander un café. Je ne connaissais pas Régis, mais, tandis qu’il attendait que François, le patron du bar, ressorte avec son expresso, j’ai pointé du doigt l’objet qu’il tenait à la main en lui demandant s’il s’en séparait de temps en temps.

Il a dit, adoptant une posture théâtrale façon Lucky Luke, « les cow-boys portent leur calibre au colt, moi, j’ai le mien ». Et il a positionné le pistolet de produit désinfectant au niveau de sa hanche gauche. J’ai osé demander, « je peux prendre la photo ? ». Chance pour moi, il n’a pas posé de question et pris la pose. Je tenais le début de mon papier (et le fil de ma journée).
 


Lucky Luke 2020


Quelques minutes plus tard, à force de trop gesticuler de toute sa hauteur en parlant (une énergie digne de ma voisine sous cortisone), Régis voyait déborder le produit sur sa chemise qu’il tombait dans la foulée, dévoilant un tee-shirt au visage de femme.

Un homme raffiné qui se trouvait là a dit, « c’est shiva ? ». Régis a répondu, « shiva, shiva pas…je n’sais pas ! » (dans un balancement qui signifiait l’hésitation). Non, personne n’a eu l’air désespéré, que des gens « bon public » à proximité (et de bonne humeur). Régis a fini par y aller (un peu moins hésitant cette fois): il avait un stand à tenir au marché (d’où le pistolet désinfectant).

Le ton de la matinée était donné et la suite ne se faisait d’ailleurs pas attendre. Je discutais avec François en extérieur depuis cinq minutes, lorsqu’est arrivé un monsieur appuyé sur une canne. Il portait un masque en tissu, ce monsieur. François a lancé, « ça va Pierrot ? ». L’homme charpenté a rétorqué, feignant l’irritation, « et voilà, j’arrive avec mon masque et toi tu dis qui je suis ! ». En allant s’asseoir pour soulager son porté, il s’est mis à crier s’adressant au patron qui, amusé, était déjà retourné à l’intérieur du bar préparer la commande, « je t’offre aussi un café, mais ne m’agresse pas, hein !».

J’ai alors un peu maccagné le monsieur (que je ne connaissais pas), « comme vous y teniez absolument, il ne peut pas vous identifier et donc savoir qui a parlé! ». Il m’a regardée, casquette vissée sur la tête, a semblé réfléchir trois secondes comme pris à son propre piège, puis il a lancé, « à la voix, il peut, il la connait, il a le droit ». C’est à ce moment précis que le soleil est sorti, chaud après le vent du petit matin, alors je me suis permise, « en tout cas, vous amenez le soleil ! ». François passait la porte de son établissement avec le café, il a commenté, « tu veux vraiment le contrarier, Pierrot déteste le soleil ! ». J’ai pensé, « décidemment, on a toujours tout faux avec Pierrot… ».
 


La place du marché, ses histoires et ses personnages, il y aurait de quoi écrire une chronique chaque dimanche. Je me suis demandée si la tendresse que l’on mettait à s’y retrouver tenait dans le fait qu’on y avait tous des souvenirs. J’ai raconté à François comment, enfant, au-delà des matinées en week-end, je venais passer des soirées en famille à la terrasse du bar qui est aujourd’hui le sien.

On commandait des sandwiches aux merguez et aux brochettes au camion à côté puis on venait s’installer au bar pour manger. Mes parents commandaient des bières et mon frère et moi des sodas. Le principe était entendu entre les deux commerçants. François m’a dit, « oui, il s’appelait Marcel, l’homme qui tenait le camion. Sa femme et ses filles y travaillaient aussi ».

Il m’a raconté que son père avait continué de travailler avec Marcel quand il a racheté le bar. Il lui faisait même faire des roulés à la saucisse qu’il découpait ensuite pour les proposer en apéro aux clients. C’est l’époque où François a commencé à faire les saisons au bar de son paternel. Nous étions dans cette discussion quand un vieux monsieur est passé juste à côté. Il portait un masque d’un bleu profond étrangement proéminant au niveau du nez, dans une forme pointue digne de la commedia dell’arte. Nous nous sommes regardés avec François, prêts à éclater de rire. Il a dit, « on découvre de nouveaux modèles tous les jours ».
 

Personnages en cascade…

Juste après, Lulu est passée sans voir François. Je ne connais pas Lulu, mais tandis qu’elle pénétrait dans le bar, qui fait débit de tabac, en nous tournant le dos, mon ami a lancé à mon attention, « tu veux l’énerver, regarde ». Un « j’en peux plus des vieux » sortait aussitôt de sa bouche sans réaction de la part de la dame aux cheveux courts.

Elle n’avait pas entendu la remarque de François qui lui emboitait aussitôt le pas se fendant d’un, « oh, Lulu, je ne t’avais pas vue, arrivée à sa hauteur ». Stragna, Lulu lui lançait en retour, «c’est pas grave, je me sers et je m’en vais », d’un air de dire, « tu t’assoiras sur le paiement ». Chacun vient là avec son caractère, au point que si l’un de ces clients changeait, le monde ne serait plus pareil ! Le marché, plus que d’ordinaire, amène un moment de normalité par les habitués que l’on croise. La vie ajaccienne est là, préservée même si le quotidien se trouve perturbé.
 

Je suis venue mille fois au café chez François, pourtant, jamais je n’avais remarqué cette plaque sur laquelle est inscrite une réplique d’Audiard. Il m’a dit, suivant mon regard, « j’adore Audiard, je renouvelle régulièrement la phrase, mais là, j’avoue que je ne l’ai pas fait ».

Précisément, à cet instant, un voisin de ma mère s’est approché masqué pour me dire qu’il n’avait pas fait une chose lui non plus : glisser un petit mot dans la boite aux lettres de ma chère maman. Une chose qu’il avait prévue de faire avant la fin du confinement mais qu’il ne fera pas puisque, à l’arrivée, le propos de ce petit mot qui, en fait, m’était adressé, il m’en a fait part directement : il a beaucoup aimé les passages de ce journal concernant le confinement des mamans (de la mienne essentiellement). Je me suis dit, « tant mieux, si mes écrits parlent un peu aux gens ».
 

Je suis restée encore un peu « en terrasse » du bar de François avant de repartir avec, dans une assiette – cadeau du patron - des délices sucrés (mon régime ressemble à ce refrain de chanson qui dit « on se dit, c’est ce matin et c’est toujours, toujours, pour demain »). J’ai rejoint les étales du marché dont je m’étais tenue éloignée la semaine dernière.

Je me suis rendue jusqu’au stand de Régis qui m’avait bien fait rire en début de matinée. J’ai acheté de la pâte à tartiner aux noisettes pour Nicolas et des légumes marinés pour l’apéro. La mise au vert (enfin officielle), arrivait juste après : j’achetais des blettes sous la surveillance d’un vieux monsieur masqué dont les yeux souriaient. Je lui ai souri en retour.
Il m’a dit, « vous allez bien ? ». J’ai répondu, « oui, et vous ? ». Il a acquiescé.

Je ne sais pas s’il était simplement poli ou s’il me connaissait vraiment, je ne l’ai pas reconnu. J’avais juste envie de lancer, « vous trichez un peu, je n’ai pas de masque, moi, c’est beaucoup trop facile ! ». Peut-être faudra-t-il que je songe à sortir mon masque « chaussette » la prochaine fois… (Oui/non/Peut-être ?)
 
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