Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : le grand conseil dit "stop"

Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Ce mardi, il est question de confinés avec des idées sympas, dangeureuses, mais sympas. 

► Retrouvez le chapitre 40 : 

  • Chapitre 41 : le Grand Conseil dit « stop »


J’ai vu s’afficher la liste des épreuves sur mon téléphone. Pas seulement la liste, le fichier basique point par point tapé à la va-vite sur une page Word, non, la vraie fiche descriptive, photo à l’appui, à l’effigie du Koh-Lanta « maison ». En fait, à la base, il s’agissait d’inciter le petitou de la famille à faire du sport indoor (dans l’appartement, j’entends, pas en gymnase).

Sauf que les adultes se sont pris au jeu, oubliant qu’en ce moment (et surtout Madame), ils manquaient cruellement d’entrainement (sorti, évidemment, du lever de coude, un verre de rouge à la main).

 
 

« Sale cou »


Malgré cette objection, la saison 1 de l’événement était lancée, dans le trois-pièces de confinement, à grand renfort de sautillements (pour l’échauffement, entre les portes et le mur, on ne pouvait pas faire mieux). Dans l’ordre des défis avant le Grand Conseil: quatre pompes, course sur place, roulade avant et roulade arrière…

C’est précisément sur la roulade arrière que mon amie a lâché le morceau. Son cou de presque quadra n’a pas du tout aimé lorsqu’elle s’est jetée sur le lit parental, s’imaginant aussi souple que son fils de cinq ans. L’énergie (du désespoir ?) n’y a pas suffi. Pourtant, ce n’est pas faute de l’entretenir (cette énergie) à grand renfort de beignets aux courgettes sauce maison et gâteaux du fréro (j’ai oublié de vous dire que l’option « recherche de nourriture entre les plinthes et le parquet » n’a pas était retenue dans cette version du jeu).  

Pas de bol donc, le corps a dit « non ». Il l’a peut-être même crié très fort. D’un « craack » qui a rappelé la raison. Tout ça, à deux doigts du dinosaure du fiston placé au bout du couloir, dont le grognement – elle fait ça, la bête préhistorique, quand on lui appuie sur la tête – vient valider chaque épreuve (vous croyez, vous, qu’on n’a pas donné dans le détail !). Trois jours pour se remettre de la roulade. Trois jours. La déception, vous n’imaginez même pas, alors que le Totem (maison), trônait, là, dans le salon !
 

Alors, du coup, mon amie est passée au Sudoku. L’autre jour, elle se présente donc chez son buraliste pour acheter sa revue (de jeux). Arrivée à la caisse, le commerçant lui fait gentiment remarquer qu’elle a pris (certainement par erreur) plusieurs fois le même exemplaire. Elle lui répond, « non, c’est normal, c’est pour un concours ».

Oui, parce qu’ensuite, un regroupement familial est organisée en ligne, un « top départ » lancé et celui qui termine la (même) grille de Sudoku en premier a gagné (à défaut de cou, il reste de l’idée). Avouez qu’à J+42, la ressource est toujours là. Et sans doute qu’il faudra en avoir, encore, pour tenir le temps du déconfinement progressif (et du reconfinement dans la foulée ?). En tout cas, entre Koh-Lanta et le Sudoku, on peut parler de « grand écart », la souplesse du corps (et de l’esprit) est peut-être là. 

 


Je peux peut-être conseiller une activité moins dangereuse que « courir à cloche pied autour de la table du salon et de la terrasse » (épreuve 7) ou « ramper dans le couloir comme un soldat / 2 aller-retours » (épreuve 8).

La « Grande Librairie » lance une lecture participative de « La Peste » de Camus. Évidemment, on peut toujours se faire un peu mal au cou sur une mauvaise position en lisant, mais l’idée est sympa, non ? On envoie un mail à l’adresse indiquée, un petit extrait du livre est attribué en retour, on s’enregistre la vidéo, envoi de la production et le tour est joué. Ceci, pour constituer le livre « audio-vidéo » de ceux qui n’ont pas le temps de lire en ce moment parce qu’ils sauvent des vies. Notez que l’idéal consiste à retrouver un ton serein avant d’enregistrer sa lecture. D’éviter le « down » des mauvais jours de nos émotions en montagne russes.
 

Pas de pétrole, mais des idées…

Des montagnes russes à boire comme des polonais ! Hier, mon amie diététicienne (il faudra que je pense à consulter d’ailleurs) avait mis sa plus belle robe pour les 50 ans de son mari (une autre occasion de boire un peu), mais elle avait gardé ses Crocks aux pieds, mon petit doigt me l’a raconté. Il me raconte plein de choses en ce moment mon petit doigt.

En connivence directe, il ne me reste plus que lui et Nicolas pour me raconter des histoires. Mais bientôt, c’est fini. Bientôt on déconfine et on se retrouve tous. J’ai peur de nos mines déconfites à l’arrivée (à l’heure où j’écris notre premier ministre n’a pas encore parlé). Vu qu’on a un recul sur la situation sanitaire grand comme mon petit doigt (qui-dit-tout, qui-dit-rien), j’ai peur qu’on déchante un peu à l’arrivée. Un peu comme mon amie avec son cou : qu’on déchante de trop d’enthousiasme. Parce que, d’ici le 11 mais, vous croyez qu’on va faire quoi si le virus repart ? Il va falloir trouver d’autres épreuves au Koh-Lanta d’appartement. Et un peu moins dangereuses que la roulade pour éviter d’encombrer les urgences.

On devient pathétique, non ? Dans cette « guerre », les héros sont identifiés, les collabos de sortie (non autorisée)… il reste quoi aux confinés ? Leurs larmes pour pleurer ? Non, il leur reste l’inventivité. La créativité est partout sur les réseaux sociaux. Chaque jour, une factrice de ma connaissance se met en scène dans des playbacks de films, de spectacles, de chansons… C’est drôle ! Je la connais depuis le lycée, je ne savais pas qu’elle avait ce talent ! Hier, elle jouait de la harpe sur les lattes de sa terrasse, la veille elle campait les standardistes un peu retord, il y a quelques jours un enfant jouant à la Playstation.

Je l’imagine apprenant ses textes par cœur pour enregistrer ensuite ses vidéos. C’est chouette, vraiment, j’aime beaucoup ! (il faudra que je lui dise d’ailleurs !).  Je ne peux pas vous montrer les vidéos, elles ne sont pas publiques. Je sais, c’est frustrant, je vous ai mis l’eau à la bouche. Mais la frustration, il va falloir apprendre à la gérer, parce qu’on n’en a pas fini avec elle dans la vie d’après. D’après déconfinement. Et d’ailleurs, je n’y croirai vraiment que lorsqu’on y sera au déconfinement. Parce qu’il y a toujours des «mais » après un « oui ». C’est comme la petite astérisque à côté de l’offre spéciale. On parie ?

La, c’est vous qui rêvez de me tordre le cou ? Ça tombe bien, je voulais m’éviter la roulade ! Il manquerait plus que je me mette au sport avec ce que je mange ! C’est l’entorse assurée ! Le sport, c’est juste quand je coche la case sur le papier. Et pas tous les jours, s’il vous plaît. 
 


(Soupir suivi d’une longue inspiration avant de conclure). Quand on enchaîne ainsi les points d’exclamation (sur trois phrases + 1), cela dénote, généralement, un certain emballement (énervement ?). Alors, aujourd’hui, je ne vais pas le cacher (et même le dire !) : j’en ai marre! Marre de m’inventer une vie tous les jours. CQFD.


 
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