Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : Juliette la tourterelle

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce mercredi, elle nous fait découvrir Rose, Bree et ... Juliette. 

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Pour retrouver les chapitre 6 : 

  • Chapitre 7 : Ce que Juliette dit de nos peurs ...

Juliette. Mon amie l’a appelée Juliette la tourterelle qui vient nicher sur son volet tous les matins. Une belle esseulée qui réclame désespérément son Roméo.

C’est en tout cas la vie que Rose lui a inventé. Juliette, elle n’a remarqué sa présence que depuis que les bruits de la ville se sont faits plus discrets. Depuis le confinement. Jusqu’à ces derniers jours, Rose se réveillait en même temps que Juliette, à 7h du matin, pour aller travailler. Mais, depuis le début de semaine, priorité à sa famille, mon amie a rejoint le rang des confinés. Pas sans culpabiliser.

 


Ce tiraillement entre vouloir continuer à exercer son métier et craindre de ramener le virus à ses proches, je l’ai entendu plus d’une fois ces derniers temps. Travailler en ce moment, c’est aussi s’exposer. Et pourtant… Et pourtant, il faut bien assurer la collecte des ordures, il faut bien transporter des denrées, il faut bien faire fonctionner les magasins d’alimentation, il faut bien informer, il faut bien soigner. Les sorties nécessaires a dit notre président… Je n’aimerais pas être président de la République en ce moment (ou alors uniquement, celui chanté par Lenorman !)

  

La vie dans un texto…


Vous savez ce qu’est la vie d’une personne qui travaille et veut préserver les siens de ses propres angoisses légitimes ? Pour vous en donner une idée, je vais reproduire ici le texto que j’ai reçu hier d’une de celles (ceux) qu’on devrait tous applaudir même si elle n’est pas (s’ils ne sont pas) soignante(s):

« Après une journée bien remplie, suivie de la désinfection quotidienne en rentrant - me déshabiller sur le palier, aller jusqu’à la machine à laver sans rien toucher parce que j’ai appris à vivre sans mes mains, courir à poil sous la douche (moi : est-ce que je censure ?) et me réapproprier mes dix doigts pour passer la glacière à la javel (moi : donc, elle ne rentre plus entre midi et deux, histoire de ne pas sacrifier sa pause au même rituel ?) puis me savonner de la tête au pied - après tout ça, donc, j’ai appelé C., ça faisait longtemps (moi : oui, ça fait forcément du bien de parler).

 

Une fois raccroché, j’ai préparé des bugers pour tout le monde (moi: son côté Bree Van de Kamp, mariée, deux enfants), sans oublier, entre deux steaks hachés, de répondre à ma mère qui s’inquiète pour ses filles qui continuent à travailler pour la gloire (moi : pourquoi j’ai le cœur qui se pince en lisant ça ?). Ma mère qui m’a rappelée que c’était l’anniversaire de ma belle mère (moi : oh, la bourde !).
 

Rentrer les tortues


Le repas terminé, j’ai débarrassé la table avant de mettre ma tenue de travail au sèche linge pour demain (moi : tiens, elle s’est constituée une « tenue de travail » pour ne pas infecter ses autres vêtements ?). C’est pas fini, dans la foulée je suis partie, lampe torche à la main, dans le jardin. Mission : rentrer les tortues afin d’éviter qu’elle ne trépassent de froid. Elles sortent tout juste d’hibernation,  il faisait beau ces dernières semaines ! (moi : je vous parle de son côté « abbé Pierre de la cause animal ? »).

Ah, j’oubliais, il y a aussi la gestion des devoirs. J’ai dû renvoyer aux profs les exercices donnés aux enfants. Comme chacun des enseignants a sa propre manière de fonctionner, quand tu te trompes de procédure et que tu n’envoies pas la copie par le bon lien, tu te fais engueuler ! Je me suis pris en retour « faire un effort ! ». Je crois que c’est le point d’exclamation qui m’a le plus énervée ! Ils pourraient harmoniser le système ! (moi : je crois qu’elle est émotionnellement à bout).

Bref, après tout ce que je viens de te raconter, j’ai encore fait le point sur les nombreux textos reçus dans la journée, puis j’ai fini par lire ton papier. J’adore ! J’adore, parce qu’il font du bien tes papiers, même si je connaissais déjà la fin du début de celui d’hier (moi : bon, ne plus lui raconter les histoires de ma mère pour pas gâcher l’effet en lecture). Et puis je me sentie un peu privilégiée de connaître la fin du début avant les autres (moi : finalement, elle n’est pas trop déçue, ça va).

 

Vous sentez comme mon amie a inversé les rôles ? C’est moi, au contraire, qui suis privilégiée d’avoir une amie comme elle. Fière de connaître une femme courageuse, une mère de famille qui, dans ces moments troublés, n’a pas peur d’y aller. Ou plutôt si, elle a peur, mais surtout de ramener le virus à ceux qu’elle aime. Vous imaginez les nuits qu’elle doit passer dans sa tête ? (J’ai essayé d’y aller hier, dans sa tête, parce, d’habitude, c’est elle qui se balade dans la mienne… j’ai pas aimé).

Bien avant le confinement, il y a eu « Bree », il y a eu Rose pour m’apprendre à me servir de mes coudes pour ouvrir les portes. Les reprises de volée auxquelles j’ai eu droit quand je ne le faisais pas ! Je leur disais, « mais, vous vous êtes donné le mot ou quoi ? ». C’est pour ta santé me répondait systématiquement chacune d’elles. Elles avaient compris l’importance des gestes barrières bien avant qu’ils soient systématisés. Instinct de mère sûrement. Elles se sont prises pour la mienne aussi, « tu es certaine que ton traitement contre les allergies respiratoires est compatible avec le coronavirus ». Est-ce que j’ai une tête à me poser ce genre de questions ? C’est pas grave, une d’entre elles  y a pensé pour moi. Indirectement, c’est d’ailleurs pour ça que je suis confinée !
 

Signal de détresse…


Mon amie qui travaille encore, a-t-elle en ce moment même cette plaque rouge caractéristique qui apparaît sur son front chaque fois qu’elle est stressée ou énervée ? Je ne l’ai plus vue depuis le confinement, mais je pari que oui. Oui, parce que, ceux qui travaillent encore, le font en mode dégradé. Que le tiraillement est grand même si, à l’arrivée, elle n’a jamais fait valoir sa garde d’enfant. La reconnaissance du ventre, c’est un papa militaire qui la lui a inculquée.

« Bree », tu te rends comptes que, aujourd’hui, tu as écrit pour moi la moitié de ce  papier, en plus de tout ce que tu auras accompli dans ta journée? (sourire).

 

J’ai des amies solides, je vous assure. Mais la situation est aussi ce qu’elle est. L’une d’entre elles, en formation de reconversion, s’est trouvée parachutée dans un service hospitalier en pleine médecine de guerre. Je l’ai eue en larmes au téléphone, il y a deux jours. Elle vit avec un homme médicalement fragilisé. Ses enfants – dont cet homme n’est pas le père même s’il les aime assurément – n’ont que leur mère comme référent. Alors elle a peur. Alors elle s’en veut. Quelque soit l’issu de cet imbroglio dans sa tête, elle sait qu’elle s’en voudra. D’infecter les siens si cela devait arriver d’un côté. D’abandonner son poste de l’autre. Ce n’est pas pour rien qu’un psy assure l’accueil des personnels soignants qui auraient besoin de parler, au sein des établissements.

On ne mesure pas encore l’onde de choc psychologique que crée la situation. Bien évidemment, comme échappatoire, il y a l’humour, cette politesse du désespoir. Mais quand la décompensation va arriver chez ceux qui le pratiquent?  Je vous ai parlé de l’association Hors Normes, cette association qui, depuis le confinement, a élargi son champ d’action en assurant le portage des courses à domicile pour les personnes fragilisées. Aujourd’hui, comme acteurs de terrain, les bénévoles de l’association répondent autant à des demandes de services qu’à des besoins d’écoute. La détresse psychologique ils peuvent en témoigner. Oui, c’est cette détresse là aussi la réalité du coronavirus. Est-ce qu’elle amènera les bonnes questions plus tard?  Celles d’une société mise face à elle même?
 

Ne m’en voulez pas, il y a des jours où l’on manque cruellement de légèreté, mais elle va revenir. Demain. Parce qu’elle est nécessaire. Au début de ce papier, je vous parlais de Rose et de Juliette. Lundi matin, au réveil, Juliette n’était pas devant la fenêtre. Alors Rose, désormais habituée à sa visite, s’est inquiétée.

 

La tourterelle, s’était-elle faite croquer par un chat ? Avait-elle décidé de la bouder ? Rose a balancé ses angoisses de la nuit sur Juliette (bizarrement, en ce moment, Rose n’est pas la seule à faire des cauchemars). Elle a dû transférer ses peurs les plus profondes sur l’absence de Juliette qui, pourtant, est bien venue réclamer son Roméo sur le volet, ce matin là. A 7h.

L’épilogue de l’histoire, le voilà : Rose s’était juste réveillée un peu plus tôt que d’ordinaire après une nuit agitée… le lendemain du jour où elle a arrêté de travailler.

#StateInCasa

 
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