Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : les mots bleus

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce vendredi, comme beaucoup, elle rêve de retrouver la mer.

Retrouvez le chapitre 30 : 

  • CHAPITRE 31 : Les mots bleus


Je lui ai dit, « vous n’voulez pas m’adopter ? ». Ma copine a répondu, adorable, « tu viendras une semaine quand tout ça sera fini ». Je vais vérifier qu’elle a bien dit « une semaine », peut-être que j’ai seulement rêvé. Il faut me voir devant les photos qu’elle poste, le regard fixé et l’esprit ailleurs.

Hier, des pancakes se sont affichés au petit déjeuner sur fond de mer bleue. J’ai dû baver un peu. Pas à cause de ce qu’il y avait dans l’assiette, mais à cause du décor. Cela m’a rappelé un slogan, « la Corse, la plus proche des îles lointaines ». Bizarrement, vue de mon salon, elle me semble loin la nature Corse !
 
 

Ceux qu’on dits avec les yeux…

J’ai demandé, « tu veux bien me refaire la photo à l’horizontale ? ». Marion l’a fait. Elle a mis l’espace qui manquait de chaque côté pour m’aider à respirer un peu. C’est bien l’entre-aide. 

Des fois, je me dis que je ne verrai pas la plage de plus près cette saison. Que dans un mois il y aura le petit rebond épidémique (il y en a toujours un m’ont expliqué les gens de la profession) et on restera un mois de plus à la maison.

Le 11 mai ne sera plus qu’un effet d’annonce et je dirai adieu à la Corse dans la période que j’aime le mieux (soupir). En écrivant cette dernière phrase, j’ai basculé dans les jours qui rallongent, dans ces « entre-midi-et-deux » au soleil, dans les premiers bains de mer.
 

"Ca sent les beaux jours"

L’autre soir, j’étais sur mon mètre carré de terrasse avec Nicolas quand une odeur de grillade est montée. Il faisait doux (j’ai même laissé mes fenêtres ouvertes jusqu’à tard dans la nuit), j’ai regardé le morceau de mer coincé entre deux immeubles et j’ai dit, « ça sent les beaux jours, l’entrecôte que l’on va manger dans une paillote ». Il a répondu, « l’odeur vient du Kebab au pied de la maison ». Finie la poésie…

Alors, pour compenser, face à tant de réalisme, je m’invite à la table de Marion. Lorsque je me contente  d’une assiette jetée sur l’îlot central de la cuisine avec vue sur la télé (souvent éteinte), chez elle, le couvert est dressé en panoramique sur la mer. Et l’on peut presque la toucher du doigt, la mer, même s’y tremper les pieds tellement elle est près !

J’ai une idée : si je m’installe devant la photo de la tablée « familiale » au moment où le kebab ouvre ses portes en bas de chez moi, peut-être aurai-je la chance de vivre une expérience unique, la « vie ailleurs » (et en paillote), sans besoin de substance illicites (image et odeur confondues). Toute hallucination du genre est bonne à prendre en ce moment.
 

Pour la science-fiction de mon quotidien, j’hésite clairement entre la téléportation et les trous de vers. Les voyages dans l’espace-temps me paraissent d’ailleurs plus réalisables que le déplacement instantané, surtout grâce à Facebook. Oui, la case quotidienne des « vous avez des souvenirs (avec) », me fait voyager depuis quelques jours de pique-niques en reportages (il y a un an, il y 7 ans…).

Avec pour dénominateur commun, la mer (mon retour aux sources de ce moment de l’année). Comme je fais comme Marion, et que je poste régulièrement des photos de mes extérieurs, l’effet boomerang, j’en mesure la portée durant ce confinement, me reprenant en pleine face (baveuse d’envie) les « exploits » du passé. J’ai eu une vie, avant…


Ceux qui rendent les gens heureux…

En prime, hier, Marion m’a envoyé la photo de son départ au travail (il y a des terrasses de bungalows à vernir) : un long chemin arboré. Je lui ai répondu, « fais-moi penser à t’envoyer le panoramique de mon couloir ». Et quand je vois le cadre de ses séances sportives, j’en deviendrais bien une, aussi, de sportive. Une qui réalise des exploits pour être à la hauteur de son environnement.

Je dis ça, mais je crois que je chercherais immédiatement le hamac (même si j’ai déjà eu des accidents de hamac avant). Je m’installerais avec un bon livre au soleil, préviendrais ma rédaction de ne plus compter sur mes papiers (c’est d’une platitude lassante le bonheur, non ?) et bullerais toute la journée (brunch-apéro-dodo).
 

Mer, bronzage et poissons

Je finirai en « baleine échouée sur une plage », mais en baleine heureuse, assurément ! Là, je vire plus modestement au cachalot d’appartement. J’ai peur que le côté frétillant du poisson ne puisse s’exprimer cette saison, chez moi, qu’astrologiquement parlant.

Je vais me permettre ici une digression : quand j’entends mon ami Victor s’enthousiasmer de ses futures plongées, de ces fonds marins qu’il envisage d’une richesse unique après cette période d’immobilisme de l’espèce humaine, pensez-vous que j’aurai le cœur à courir me jeter dans la mer en juillet (j’ose envisager juillet), bronzage blanc fluorescent et surcharge pondérale à faire déborder la Méditerranée, prenant le risque d’effrayer la faune locale ?

Je ne vais pas en plus gâcher la seule chose que le virus aura amené de bon! …Voilà, parenthèse fermée.


Je suis peut-être demodée…

Pour me faire croire que les beaux jours sont là et pas sans moi, j’ai sorti une partie de mes robes d’été (avec un épisode rattaché que je vous raconterai plus tard). J’en ai enfilé une pour descendre à l’épicerie du coin faire quelques achats pour ma mère. Une robe au-dessus de la cheville. L’erreur, ce sont les chaussures ouvertes en prime.

J’ai ébloui tout le monde. Au sens propre. A la caisse, Philippe m’a dit, « tu devrais penser à exposer les jambes quand tu bois le café sur ta terrasse ». Il comprend que je n’ai pas de quoi les étaler, mes jambes, sur mon mètre carré de terrasse, Philippe ? Et que je n’exposerai pas mes jambes au-delà du genou, sur ma terrasse, Philippe ?

​​​​​​​Que les voisins en panoramique sur ma séance bronzage, ce n’est pas mon truc, Philippe ? Que d’ordinaire, à cette époque, je commence à m’accorder des séances lecture sur la plage quand, cette année, je n’ai qu’un coin de toit pour ça ?
 

​​​​​​​Mais comme dirait quelqu’un que j’aime énormément, je n’ai que des problèmes de riche en vérité. Parce que oui, je bave devant les photos de Marion, je piaffe d’impatience, j’ai faim d’évasion. Mais d’autres ont faim, tout court.

J’ai vu la file d’attente devant le Secours Populaire la seule fois où j’ai sorti ma voiture jusqu’au drive. Certains enfants mangent équilibré lorsqu’il y a la cantine. Depuis quand l’école est arrêtée ? C’est pareil pour certains étudiants. Et le désarroi des parents là-dedans ?

L’indécence, ce n’est pas ma vie qui est presque celle d’une nantie pour le coup. L’indécence, c’est parfois de voir le verre à moitié vide quand, en fait, il est bien à moitié plein.
 
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