Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce jeudi, elle a un message à faire passer à Delphine, souvenez-vous, l'infirmière.
► Pour retrouver les chapitre 15 :
Chapitre 16 : Non mais c’est quoi, tout ça ?
J’ai planté mes yeux dans ceux de mon chat et je lui ai demandé, « est-ce que tu penses que j’ai une tête à te désinfecter au gel hydro-alcoolique ? ». Monsieur m’a regardé interloqué avant de miauler. Non, parce que j’ai l’impression que le confinement rend fou !
« Confinement ». Je crois que j’avais dû utiliser ce mot une fois dans ma vie avant ce moment. Du coup, j’ai filé feuilleter le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey posé sur la cheminée, pour chercher s’il n’y avait pas un petit quelque chose dans l’étymologie du mot qui pouvait l’amener, cette folie. Mais rien, pas l’ombre d’un soupçon d’excuse qui viendrait de racines anciennes.
J’avais pourtant espoir que l’ouvrage m’en révèle la substance comme il m’avait révélé la notion de « prendre soin » dans le mot « curiosité ». Rien, donc.
Rien que l’écho du message affiché par la page Facebook du vétérinaire de mon quartier, il y a cinq jours, faisant état de l’augmentation de pathologies liées à l’utilisation de gel hydro-alcoolique sur le pelage des animaux (là où l’eau et le savon devaient suffire). D’accord, il était précisé dans le propos que la publication ne visait pas à susciter la critique ou la polémique face à « des comportements surréalistes ». Mais quand même...
Mots « doux »…
Cette vérité pose question, comme pose question l’histoire de ces petits mots accolés sur les portes de soignants par des voisins (pas ici, vous pensez bien !). Des voisins soucieux de les voir prendre leurs distances, le temps de la pandémie. J’ai d’abord pensé que c’était un fake, vraiment. Et puis non, c’était bien une réalité. Notre réalité.
Je vais vous raconter à quel moment cette réalité m’a le plus serré le cœur (il m’a fallu plus d’une semaine pour l’évoquer). Vous vous souvenez de Delphine, cette infirmière de réanimation qui portait le sourire dans ses yeux ? (NDRL, : voir « Journal de bord d’une confinée du mardi 24 mars).
Delphine, je l’avais découverte, comme vous, dans ce que Yann Benard, immergé dans son monde, avait été lui voler d’intimité. Je ne la connaissais pas, mais après mon papier, j’ai reçu une « demande d’ami » sur Facebook émanant d’une Delphine qui ne pouvait être qu’elle. J’ai accepté l’invitation.
Des « bisous dans le cou » dont Delphine parlait dans le reportage, je voyais, du coup, l’illustration au travers d’une photo affichée sur le réseau social (mais où elle ne dévoilait ni son visage, ni celui de son enfant). Bizarrement j’étais intriguée par l’arrière-plan du cliché pris sur une terrasse, car il me semblait reconnaitre la physionomie d’un immeuble.
Après notre premier contact via Messenger, je renvoyais donc un petit mot à la jeune infirmière. Vous vous souvenez que, dans le papier où je parlais de Delphine, j’évoquais également ma mère ? Je disais que, même s’il était beau ce sourire dans les yeux de Delphine, je n’aimerais pas que ma mère le croise (sous-entendu qu’elle atterrisse en « réa » à cause du coronavirus). Eh bien, figurez-vous que ma mère l’a déjà croisé ce sourire ! J’avais raison d’être intriguée par le fond de la photo. Parce que, non seulement Delphine habite le même quartier que ma mère, mais aussi le même immeuble et elle n’est autre que sa voisine du dessous ! Il n’y avait pas plus improbable comme situation et pourtant…
Et, justement, ce qui m’a serré le cœur vient après. Je pouvais en déduire raisonnablement que, si Delphine m’avait identifiée via mon nom, elle avait dû aussi faire le rapprochement avec ma mère (nous ne sommes pas cinquante à porter ce patronyme sur Ajaccio, et je sais de quoi je parle, pour être, depuis toujours, soit la fille du comptable, soit celle du « footballeur »). Et puis, Delphine ne pouvait certainement pas ignorer ce nom pour avoir eu un dégât des eaux avec sa voisine du dessus (ma mère, donc). Pourtant, elle ne m’en a d’abord rien dit.
Et lorsque nous avons ri de l’étrange coïncidence, son « votre maman a sûrement déjà vu mon sourire sans masque » était aussitôt ponctué d’un « promis, de loin ». Je ne sais pas si le « Je ne me fais pas de souci, ne vous inquiétez pas » a suffi à la rassurer sur ce que je pense alors je vais le lui redire ici et maintenant.
Je veux que Delphine sache qu’à aucun moment - le rapprochement fait de cette proximité avec ma mère - je n’ai osé penser lui laisser un petit mot dans la boîte aux lettres, pour lui demander d’éviter de toucher la rambarde en grimpant les escaliers, de bien veiller à ouvrir les portes communes sans ses mains ou de déménager pour un temps, toutes ces choses approchantes que j’ai pu lire dans un petit mot « d’amitié » publié dans la presse (oui, celui dont je parle est bien conclu par le mot « amitiés »).
Je voulais lui dire que, oui, j’avais bien appelé ma chère maman suite à notre échange, mais pour rire de l’incroyable coïncidence, pas pour lui demander, affolée, d’éviter sa voisine du dessous. Et vous savez pourquoi, Delphine ? Parce que, tous ces gestes « barrière » que nous apprenons depuis le début de l’épidémie, toutes ces mesures dont nous nous gargarisons aujourd’hui dans notre quotidien, sont le vôtre (de quotidien) depuis longtemps.
Et que vous savez forcément mieux faire que nous et notre petit niveau de pratiquants débutants pour vous protéger et protéger les autres. De ces gestes, vous avez déjà les réflexes. Alors de quoi faut-il nous inquiéter, à part de nous-mêmes et de l’imbécilité qui vient nous saisir rattrapés par nos peurs ?
« De près », promis !
Ce « promis, de loin » que j’ai lu dans les lignes de Delphine m’a serré le cœur, je vous assure. Peut-être l’a-t-elle juste précisé en souriant (et véritablement pas fait le rapprochement concernant le patronyme), mais j’ai repensé au discours de son copain le médecin qui insistait en la regardant sur les câlins dont avaient besoin les soignants en rentrant chez eux. Sur ce que devait comprendre leurs proches de ce besoin d’amour malgré les peurs - peurs légitimes - quand on n’est pas de la profession. Les peurs aussi, quand on en est (de ces professions de soignants), de ramener quelque chose à la maison ? Je vous laisse imaginer le tiraillement. Et la finalité ultime de la situation : déménager pour un temps, justement.
Alors, la prochaine fois que je monterai chez ma mère, j’irai taper à la porte de Delphine. Comme pour ma mère, je reculerai ensuite de quelques pas pour ne rien lui transmettre de ce fichu virus. Car, qui sait ? Je suis peut-être porteur sain et mon risque de la contaminer devient aussi grand que la réciproque possible ! Ce sera l’occasion de voir le sourire de Delphine en vrai (la photo sur le balcon était de dos et, de ma mère, je connais la plupart des voisins mais, du dessous, je n’ai croisé que les précédents).
Je ferai sans doute ce que j’ai envie de faire depuis un moment : préparer des gâteaux au chocolat pour les personnels de la « réa ». Vous savez ce que je me dis ? «Oui, mais, imagine, si tu contamines les gâteaux, si tu laisses tes traces de doigts sur le paquet, si… et si…. et si… ». Vous savez quoi ? Je vais les préparer ces gâteaux et Delphine verra ce qu’elle en fera ! Elle est meilleur juge que moi. Au pire, elle m’aura permis de passer mes nerfs de confinée en cuisinant.
D’ailleurs, la meilleure conclusion, c’est peut-être Georges qui nous l’amène. Georges, c’est le monsieur qui est sorti du service de réanimation du centre hospitalier d’Ajaccio après avoir développé une forme grave du coronavirus. Georges remercie les infirmières et les aides-soignantes plus d’une fois sur les images que j’ai vues. Il est drôle, Georges, parce qu’il reste focalisé sur l’attention de ces personnels plus que sur le travail des médecins. Il m’a fait sourire tendrement pour ça. Et vous savez ce qu’il dit, Georges, de l’épilogue de ce vécu ? Que plus tard, quand toute cette histoire sera passée, il ira manger au restaurant avec les gens du service.
Je ne connais pas encore Delphine, mais je crois que je l’inviterai au restaurant plus tard aussi. Et, je ne doute pas que, si pour Georges elles sont déjà venues, les larmes de Delphine viendront après, une fois la pression retombée…
Mais, en attendant, je vais essayer de faire rire Delphine et Georges en leur parlant de la réalité, hors « réa ». Cette réalité, c’est que, quand les gens de ne désinfectent pas leur chat au gel hydro-alcoolique, ils leur parlent. Ils parlent à leur chat. J’avoue, c’est mon cas !
Ce confinement rend fou ! Complètement fou, voilà !
#StateInCasa