Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : à la gloire de ma mère et de Delphine

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce mardi, elle rend hommage à sa mère et à Delphine. 

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► Pour retrouver les chapitre 6 : 

  • Chapitre 7 : juste un sourire…


Alléluia, ma mère applique mes consignes à la lettre ! Hier, elle m’a même envoyé sa liste de courses par texto.

L’histoire de ce confinement ne retiendra certainement pas ses envies de patates douces, de kiwis ou de cannelle en poudre, par contre, mon frère et moi garderons en mémoire le « moment de gloire » que je m’en vais vous conter de ce pas.

Ma chère maman a donc renoncé à toutes ses sorties, sauf pour le tri (cf : Journal d’une confinée « Maman je t’aime »). Cent mètres (x2) à se mettre dans les jambes tous les cinq jours, elle qui, d’ordinaire, crapahute quotidiennement (ou presque) de quartier en quartier, façon Forest Gump. Ces cent mètres (x2), elle a désormais jugé bon de les effectuer en soirée, satisfaisant ainsi mon insistance : « tu t’approches de personne, hein ! ».

  

La Gloire de ma mère…


C’est donc forte de cette nouvelle résolution que, munie de son sac de recyclables, elle a tracé sa route dans ses alentours très peu passants, même hors confinement. J’imagine le bonheur qu’elle a dû ressentir en se dégourdissant les jambes, les joues fouettées par l’air frais, à la nuit tombée.  Il y a des petits plaisirs de rien du tout qui ressemblent à des guimauves en ce moment ! Ma mère a donc vidé ses paquetages et autres bouteilles dans les hauts modules disgracieux prévus à cet effet, avant de sentir une agitation inhabituelle autour d’elle.

Non, je vous rassure, il ne s’agissait pas de l’irruption désormais complètement banale d’un sanglier dans cet environnement urbain, mais de quelque chose de plus distant, plus diffus. Le temps de replier son sac, sa mission accomplie, elle a donc levé la tête en direction des immeubles voisins pour voir des porte-fenêtres s’ouvrir de tout côté : ma mère avait choisi de sortir à 20h, en pleine ovation au balcon ! Imaginez  ce moment de gloire (involontaire), lorsque, réalisant d’un coup son « raté », elle parcourait le chemin qui la ramenait à la maison sous les applaudissements. « J’ai applaudi aussi », m’a dit celle qui, à ce moment-là, a dû se rêver petite souri !

 

Très discrète, sans effusion jamais malgré son caractère – droite, solide, têtue, quoi qu’elle en dise - elle n’aurait rien envie de raconter de sa vie ou de la vie des autres, ma mère. Non, généreusement, elle m’a légué cette mission in utero, « tiens, vas-y, c’est cadeau ! ». Alors je m’y colle même si, comme la dernière fois, je risque de me faire gronder.

 
 

Notre "Reine mère"

Qu’est-ce qu’on a ri avec mon frère des aventures de notre « reine mère »! Il n’empêche, maman est exemplaire dans son respect du confinement et, franchement, c’est drôlement rassurant pour ses enfants.

Hier, donc, elle m’a confié sa liste de courses. Et d’elle même s’il vous plaît ! J’avais prévu de faire un drive mais, problème : très peu de produits frais en rayons (virtuels) à l’heure où je m’y penchais, vraisemblablement pas dans le bon timing en terme de réapprovisionnement. J’ai donc décidé d’attendre la mi-journée - moment de désertification réelle de ma rue – pour me frotter à la vie et descendre jusqu’à l’épicerie de quartier.

Je constatais que, depuis ma dernière visite, des vitres de protection avaient été installées en caisse, sortes de barrages transparents entre le commerçant et ses clients. Signe des temps, Antoine, le patron, portait désormais un masque en tissus et des gants en latex. Il n’y avait à ce moment-là qu’une seule cliente dans le magasin : ma copi(iii)ne Chystelle, aussi détendue que d’ordinaire, genre, je te fais des sorties en rafale pour faire rire. Mais à deux mètres de distance et en plus bref, cette fois.
 


La liste de courses envoyée par ma mère affichée sur mon smartphone, j’attaquais donc  le réapprovisionnement en y ajoutant tout le superflu nécessaire (bizarrement symbole de convivialité): un fromage « made in la bergerie d’ici » (il va lui faire le mois), un saucisson d’Arbori (qui attendra suspendu à son mur notre prochain passage) et une bouteille de bon vin, dont je savais déjà qu’elle m’en dirait,  « on la boira plus tard… » (je ne m’étais pas trompée). « Ô, temps, suspends ton vol »… on est en plein dedans ! Vous avez remarqué comme, en ce moment, on vit de souvenirs mais aussi de projets très basiques – « on fera un apéro et un bon repas ensemble » - pour notre vie d’après ?

 

Mission terminée, je revenais chercher les sacs de victuailles avec ma voiture pour éviter de les trimballer sur 300m en pliant sous le poids. J’ai oublié de vous dire : moi aussi je portais un masque. Le joli masque en tissus vichy rose qu’une dame aux doigts de fée m’avait confectionné quelques jours auparavant. Je descendais à peine de mon véhicule stationné sur l’aire de livraison du magasin quand j’ai croisé un autre client à qui j’ai juste eu le temps de sourire. L’homme m’a fixé du regard mais n’a pas souri en retour. J’ai réalisé qu’il n’avait pas pu voir le mien de sourire. A cause du masque. Je me suis dit, « zut, c’est la seule chose que l’on peut encore échanger de loin et on ne le voit pas ».
 

Bas les masques…


J’ai réalisé que je me trompais un peu plus tard, grâce à Delphine. Je ne connais pas Delphine. J’aurais même bien du mal à vous dire à quoi elle ressemble sans son bonnet et son masque bleu de soignant. Je sais juste qu’elle est infirmière dans le service réanimation dédié au COVID 19, à l’hôpital d’Ajaccio. Qu’elle a un mari et deux enfants de 12ans1/2 et 7ans qu’elle embrasse uniquement dans le cou depuis quelques temps (du bout des lèvres surement). Que dans sa vie de maintenant, il y a moins de câlins que dans celle d’avant.

 

Elle est forcément fatiguée, Delphine, du rythme de travail imposé par le virus, cet ennemi invisible auquel elle sacrifie sa vie de famille pour un temps. Forcément un peu en colère des moyens que l’hôpital n’a pas pour faire face à une pandémie. Déprimée par le nombre de patients qu’elle voit partir, et pas seulement dans un navire de guerre en direction du continent. Mais j’ai vu son sourire à Delphine. J’ai vu son sourire derrière son masque, parce qu’elle le portait aussi dans ses yeux.

Regardez le lien qui suit et vous le verrez aussi. Il est beau le sourire de Delphine. On aurait tort de ne pas vouloir s’y raccrocher à ce sourire. C’est d’ailleurs pour ça qu’on applaudit tous les soirs aux fenêtres.

 

Avant cette digression, je vous parlais donc d’hier et des courses que j’avais faites pour ma mère. Comme il y a une semaine, j’ai parcouru le trajet jusqu’à chez elle, croisant sur la route beaucoup moins de véhicules que la dernière fois. Comme lundi dernier, j’ai déposé les sacs devant sa porte et suis restée loin. Encore plus loin. Et vous savez pourquoi ? Je n’ai pas envie que ma mère fasse la connaissance de Delphine et de son copain le médecin (pas dans les circonstances qu’on imagine, du moins). Parce que, même s’il est joli, vraiment, le sourire dans les yeux de Delphine, il côtoie de trop près certains aléas du destin.

 

Et moi, c’est le sourire que j’ai vu, hier, sur le visage de ma mère qui me fait du bien.

#StateInCasa

 

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