Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce samedi, elle nous rappelle le pouvoir des mères, quel que soit leur âge et celui de leur(s) enfant(s).
Pour retrouver le chapitre 9 :CHAPITRE 10 : La promesse de l’aube…
Vous avez vu Jeannette ? C’était, hier soir, dans le Corsica Sera. Jeannette, avec son masque qui laisse dépasser un regard délavé par les années, c’est un peu l’antithèse des chiffres annoncés. Une vraie résistante, Jeannette. « Du matériel d’avant guerre », commente même son fils dans le reportage. La vieille dame, que l’on découvre assise dans son fauteuil, a 94 ans et son message adressé au coronavirus semble être « même pas peur » !
Touchée mais pas coulée
Parce qu’elle est bien touchée par l’ennemi du moment Jeannette. Et son fils aussi. Touchée cependant pas coulée.
Mais on comprend ce qui la tient aussi Jeannette. Elle a une fille, plus durement touchée qu’elle par le virus et plongée dans le coma. On comprend donc que le vieille dame tient une raison supplémentaire de résister : la vie de son enfant est menacée. Quand elle évoque d’ailleurs son enfant - de certainement plus de 70 ans - évacué sur Marseille, sa voix se fait moins assurée comme gagnée par l’émotion au point que le journaliste, qu’on sent touché, tente de la rassurer, « ça va aller, ça va aller… ».
Une maman ne voudrait (ne devrait) jamais voir partir son enfant avant elle. Je sais de quoi je parle, ma grand-mère ne s’est jamais remise de la mort de mon père. Alors, elle doit tenir bon, Jeannette, instinct de protection oblige.
Julie, 16 ans, décédée du Covid-19
Comme une onde de choc. Un instinct de mère mis en alerte hier, je l’ai bien senti, par la mort de Julie. Julie, 16 ans, qui comme Jeannette dans sa tranche d’âge, devient l’exception qui confirme la règle. Les jeunes ne meurent pas du coronavirus ? Hier, toutes les mamans que je connais vous aurez répondu en chœur, « ben tiens, la preuve ! ».Celle de Julie dit « on n’aura pas de réponse », avant de parler du « sens de la vie » et de l’obligation de continuer. Voilà ce que j’en ai lu en tout cas. Une dame qui n’est plus simplement la mère de Julie mais aussi celle de « la plus jeune victime du Covid-19 » en France pour l’heure. Elle se serait certainement passée de ce titre de gloire.
Julie sera conduite vers sa dernière demeure en petit comité, c’est la règle. Une personne que j’aime beaucoup a perdu dernièrement sa maman. De maladie, mais pas du coronavirus. Nous étions déjà en quarantaine, elle m’a dit, « c’est particulier ces cercueils dans des salles vides de monde ».
On sait ce que l’accompagnement du mort représente chez nous, on voit ce que le coronavirus en a fait. Et que dire du travail de deuil quand, fragilisé soi-même, on n’a pas toujours pu dire au-revoir à un proche ? Quand on ne peut pas toujours dire au revoir à son enfant.
Se blinder contre le "journal des mauvaises nouvelles"
C’est bizarre, depuis quelques jours, je parais me blinder. Me blinder contre le « journal des mauvaises nouvelles » que semble être notre réalité. Me blinder contre le coronavirus - du moins dans ses effets - comme si j’avais anticipé une potentielle « catastrophe de proximité » (entendez là, un proche touché). Je sens bien que cette protection par anticipation est factice mais elle évite à mon petit cœur des émotions en montagnes russes. Vous les sentez bien les montagnes russes de vos émotions en ce moment?En début de confinement, j’appelais ma mère tous les soirs pour prendre de ses nouvelles. Depuis quelques jours, elle anticipe sur mon appel. Son, « alors, comment tu vas ?», me signifie qu’elle a repris le pouvoir sur mon intention dérisoire de la protéger. Elles sont comme ça, les mères. Comme Jeannette avec sa fille (même si sa fille a certainement l’âge d’être ma mère).
Le pouvoir des mères
Instinctivement, après avoir écrit ces dernières lignes, je me suis levée et me suis dirigée vers la bibliothèque. J’ai parcouru mon étagère pour y chercher « La promesse de l’aube », de Romain Gary. En faisant glisser le livre vers moi, j’ai repensé à une histoire que j’avais écrite il y a quelques années. Sans doute que l’image de Jeannette et son fils m’y a fait penser. Je vous en confie un petit extrait qui n’est pas sans rapport avec mon propos :Il regardait la mer et les lumières de la vieille ville en contre-bas. Une bouteille de vin trainait au milieu des cartons. Il s’en saisit avant de partir à la recherche d’un verre et d’un tire-bouchon dans le déménagement, puis, revint devant la fenêtre pour contempler la vue. Ce n’est pas comme s’il la découvrait pour la première fois. Pourtant, en cette nuit de Saint-Valentin, quelque chose semblait avoir changé dans sa façon de regarder ce paysage familier. Jean-Baptiste était retourné régulièrement en visite dans cet appartement qu’il avait quitté des années auparavant. Il avait logé là un morceau de lui même qu’il chérissait plus que tout au monde mais qui n’avait finalement pas trouvé sa place. Aujourd’hui il était de retour entre les quatre murs du deux-pièces qui dominait la ville. Il trinqua seul à l’amour et à celle qu’il portait au fond de lui. Lui seul savait à quel point il avait mal négocié les virages de sa vie. C’est comme si cette réalité le poursuivait. Pourtant, en contemplant les toits, ce soir-là, il lui sembla qu’une lumière intérieure brillait plus fort que d’ordinaire. Il trempa ses lèvres dans le nectar rouge sang et sentit sa gorge brûler un peu. Il n’avait pas décidé de lui même de réintégrer ces lieux qu’il avait reçus en héritage mais la vie l’y ramenait sagement. Comme un doux hasard. Oui, cette nuit était douce, il le sentait bien. Demain, il pourrait ajouter la musique au silence de l’appartement. Qui sait, il pourrait chanter aussi ! Il lui sembla soudain que quelqu’un murmurait son prénom, « Jean-Baptiste ». Il sentit comme un étau se serrer sur son cœur. Cette vieille douleur il la connaissait, elle revenait droit de l’enfance. Quel âge pouvait-il avoir ? Entre cinq et six ans tout au plus. Il ne parvint pas à rattacher une image à sa mémoire alors il alla chercher une phrase pour tenter d’accrocher ses souvenirs. Il la trouva chez Romain Gary : « Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis ».
« Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis »…tout est dit ! Qui n’a pas lu « La promesse de l’aube » de Romain Gary ne connaît pas le pouvoir des mères. Une mère se bat jusqu’au bout pour son enfant, se fait du souci et donnerait sa vie pour lui. Cela vaut à tout âge. Jeannette, 94 ans, est simplement venue nous le rappeler.