Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : renaissance et changement

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce samedi, elle nous conte l'histoire d'un pasteur miraculé.

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Pour retrouver le chapitre 24 : 
  • CHAPITRE 25 : Mort… et ressuscité (autrement) !


Ce matin, je me suis réveillée en me demandant ce que je ressentais dans ce moment. Bizarrement, c’est une histoire qui m’est revenue. Je la tiens d’un garçon d’origine étrangère dont j’avais aimé la profondeur, et elle s’est immiscée comme la métaphore de l’idée que je me faisais de ce confinement. Je vais vous la raconter avec mes mots cette histoire. Sans doute s'est-elle fait une place dans ma tête à cause du week-end Pascal, je ne sais pas, je vous laisse lire…


Le pasteur…

Une poignée d’hommes alignés les mains dans le dos et la vie de l’un d'eux suspendu à une promesse murmurée quelques secondes plus tôt, « je tirerai à côté et vous ferez semblant d’être mort.  Je vous connais, vous m’avez sauvé la vie pendant la guerre ». La guerre, c’était avant le communisme et sa chape de plomb tout aussi injuste et meurtrière.

Le prisonnier avait vu naître en lui une lueur d’espoir, mais seul un manque de lucidité lui permettait encore de s’y raccrocher. Il priait. Penser à ce dieu qu’il servait depuis plusieurs années était son seul recours maintenant que sa dernière heure semblait arrivée.

« Tu es un homme bon, pasteur » avait soufflé l’homme au regard de fou. Celui qui se tenait, digne, au bout de ce fusil chargé pouvait-il croire à ce sursaut d’humanité ? Ces pensées qu’il jugeait ultimes allaient d’abord à ses fils. De bons enfants auxquels il avait à peine eu le temps d’inculquer les bases d’une éducation protestante et l’amour d’un pays souverain qu’il rêvait rétabli dans ses frontières les plus larges. Du sang bleu coulait dans ses veines et dans celles de ses enfants. Un sang nourri de cette terre et de ses traditions.



« Les pourchassés d’hier deviennent bourreaux »

« Allez, avancez ! ». L’ordre avait résonné comme un premier coup de fusil. La dizaine de prisonniers rassemblée dans la cours de cette ferme désaffectée s’était déplacé dans une sorte de pas cadencé jusqu’à la petite colline toute proche, au pied de laquelle avait été creusée une fosse commune où gisaient déjà quelques cadavres que leurs futurs compagnons d’infortune devinaient à l’odeur de charogne qui donnait la nausée.
L’homme armé qui avait presque souri au pasteur alors qu’ils étaient seuls paraissait maintenant complètement l’ignorer. Se souviendra-t-il au moins de sa promesse ? Sa balle irait-elle bien se perdre dans le buisson devant lequel le groupe d’hommes pris dans la rafle était maintenant aligné ?

« Les pourchassés d’hier deviennent bourreaux, l’ironie de l’histoire est là »,  pensait le pasteur en attendant l’ordre qui suspendrait le cours de sa vie. Il se rappelait aussi du baiser qu’il avait donné à son épouse le matin même en partant. Il estimait qu’il aurait sans doute prolongé l’étreinte s’il s’était douté que ce frôlement de lèvres serait le dernier. Il y pensait comme on voudrait réécrire sa vie au moment même de refermer le livre. Les soldats étaient déjà en joug. 
 
Aucun cri, juste quelques sanglots refoulés comme si la décence interdisait à ces condamnés de verser une larme. « Feu » : voilà la délivrance inéluctable que tous souhaitaient. L’attente de la mort n’avait que trop duré. Et bizarrement pour le pasteur elle n’était pas venue. Aux coups de fusils, il s’était effondré mais uniquement parce que ses jambes l’avaient laché. Son souffle aussi était coupé et cet état de semi inconscience pouvait sans faute le faire passer pour mort mais le sang qui recouvrait ses vêtements n’était pas le sien. Le soldat avait tenu parole.
 
 


Un cœur qui bat…

Les corps inertes de la dizaine d’hommes étaient maintenant traînés jusqu’à la fausse et entassés les uns sur les autres. Une oppression en chassait une autre et ceux, comme le pasteur qui, pour le coup, n’avaient jamais fait de distinction entre les hommes, en payaient le prix fort. Le pasteur qui sentait son cœur battre au milieu de ces poids morts. Etrangement c’est avec la conscience de la vie  que montait maintenant la haine. Le bruit des bottes et le cliquetis des armes s’étaient éloignés. On entendait de nouveau le chant des oiseaux comme si les bruits de la nature s’étaient tu le temps de l’exécution. L’endroit était beau mais il puait la mort.

Le pasteur, écrasé par d’autre corps n’osait pas bouger mais en aurait-il eu la force ? Encore des bruits de pas, mais plus discrets, cette fois, et des murmures étouffés. Une nouvelle patrouille ? « Surtout, rester immobile », pensait le survivant. Mes ces voix-là lui étaient familières. Il les aurait reconnues entre mille. C’étaient celles de ses garçons. Des enfants qui n’avaient qu’une idée en tête : retrouver le corps de leur père au milieu des cadavres. Des enfants qui ne se doutaient pas que le pasteur était toujours vivant.
 


Besoin de se sentir "toujours vivant"

Le besoin de se sentir « toujours vivant » nous rattrape en plein cœur de ce confinement. Il nous détache de nos métiers, de cette « raison sociale » qui nous fait exister pour nous ramener à des essentiels. Des fois, j’ai le sentiment qu’on ne ressortira pas de ce moment sans avoir changé, sans avoir été marqué par des choses que l’on ne mesure pas encore.

Un peu comme j’imagine le pasteur profondément transformé, ensuite, par l’expérience de cette vie en suspens. Peut-être, comme lui, entendrons nous notre cœur battre à nouveau (sans la haine)… et pour des choses vraies. Il doit bien y avoir un reste de philosophie christique dans ce propos, non ?
 
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