Comme dans la majorité des quartiers d’Ajaccio, en 2017, aux Salines, Marine Le Pen est arrivée en tête du premier scrutin des présidentielles. Cinq ans plus tard, la nouvelle figure de l’extrême droite, Eric Zemmour, commence à faire de l’ombre au Rassemblement National et sa cheffe de file.
Un boulodrome municipal coincé entre trois rues du quartier des Salines. Le terrain est presque l’unique lieu de rencontres de la zone. Il fait la jonction entre les premiers bâtiments sortis de terre, dans les années 1960, face à la mer, et les barres de logements sociaux construits une décennie plus tard. « Je suis originaire de la vieille ville, je suis arrivé ici en 1964. Je suis le plus ancien locataire, mais pas le plus vieux », lance, l’œil rieur, Antoine Giordani.
Depuis quatre ans, avec 12 autres bénévoles, il s’évertue à donner vie à son « deuxième village », classé prioritaire par la municipalité, grâce à l’Associu I Salini. Leurs locaux sont situés sur le boulodrome et attirent quotidiennement une cinquantaine de personnes. « On compte 150 adhérents. On est ouvert tous les jours, les habitants viennent jouer aux boules, aux cartes, boire un café. Le but c’est de passer un bon moment, de rigoler », complète Roch Georgetti, un autre bénévole de l’association.
Ici, tous les âges et toutes les origines se côtoient. « On ne fait pas de différences, il n’y a pas de racisme et interdiction de faire de la politique. Pour 30 euros par an, nos adhérents viennent quand ils le souhaitent et quand ils le peuvent. On essaye aussi de les aider un peu, l’année dernière on a organisé quatre repas à thème, totalement gratuits, et on leur a offert des petits colis pour Noël et les Pâques », précise Antoine Giordani.
Bleu marine
Car le quartier des Salines cumule un certain nombre de difficultés. Selon le rapport sur la mise en oeuvre de la politique de la ville du pays ajaccien de 2018, il s’y observe une surreprésentation des bas salaires, une dépendance financière accrue aux aides sociales et une surreprésentation de l’emploi salarié non qualifié (un tiers des actifs du quartier). 70% des habitants vivent dans un logement social, le taux de pauvreté est 12% plus élevé que la moyenne communale et le taux de chômage affiche 54,5 %.
Et dans le quartier, le carré des boulistes et sa mixité, quasiment portée comme étendard, semblent faire figures d’exception. Ici, lorsque les habitants se rendent aux urnes, le bulletin est majoritairement bleu marine. En 2017, au soir du premier scrutin des élections présidentielles, la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, est arrivée en tête avec environ 25 % des suffrages, suivie par celui de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon.
« Macron, il nous massacre »
Cinq ans plus tard, la cheffe de file du Rassemblement National a toujours ses fidèles. « Moi j’ai toujours voté Le Pen, avant Marine, je votais pour son père. Franchement, Macron il nous massacre, je l’ai jamais aimé, rien que de le voir ça m’énerve. Y’en a toujours pour les migrants, nous les Français, on n’a rien. Moi ça fait des mois que j’attends pour un logement ici, là j’habite chez ma sœur mais ça ne peut pas durer éternellement. Il y a toujours quelqu’un pour me passer devant », s’agace Marie-Françoise, 69 ans.
Intriguée par la conversation, Marie écoute depuis son balcon. La fonctionnaire de 56 ans a patienté trois ans et demi pour obtenir le T2 qu’elle occupe depuis deux ans. Elle ne se plait pas vraiment aux Salines qu’elle décrit comme un quartier « sale », « bruyant » et « où on peut croiser des rats ».
Marie n’a voté qu’une seule fois dans sa vie de citoyenne et n’a jamais eu d’illusions quant à la politique. « Ce ne sont pas ces messieurs qui vont changer mon quotidien. S’ils sont si nombreux à se présenter c’est que la part du gâteau doit être pas mal », lâche-t-elle. Elle confie ne pas suivre la campagne électorale, mais si elle devait choisir un candidat, ce serait, elle aussi, Marine Le Pen. « Il faut un grand nettoyage, dans tous les sens du terme. Je sais que je suis dure, mais je suis réaliste », commente-t-elle dans un regard entendu.
« On sait tous pourquoi »
Mais depuis quelques mois, un autre candidat d’extrême droite est entré en course. Eric Zemmour. Et comme partout ailleurs sur le territoire national, il trouve aux Salines un électorat prêt à lui donner sa voix. « Moi je vais voter le Z et on sait tous pourquoi », lance un homme. Selon lui, l’ancien journaliste n’est pas d’extrême droite. « C’est la droite et puis c’est tout », soutient-il sans vouloir en dire plus.
Ce ne sont pas les deux Sylvie qui le contrediront. Les deux femmes de 48 et 52 ans sont également séduites par les propos anti-immigration du leader du parti « Reconquête ». « On a grandi ici. Je peux vous dire qu’avant on laissait toujours les portes ouvertes. Maintenant, avec leur mixité, ça devient tout et n’importe quoi, il y a trop de racailles. On les enlève d’un quartier pour les mettre ici. Mais ils ne s’intègrent pas, et ce n’est pas à nous de nous intégrer à leur religion, ça non », affirme la plus jeune, la seconde confirme les propos par un hochement de tête. Elle assure qu’elle a longtemps voté à droite avant de se tourner vers le Rassemblement National. « Même si certains de ses propos font peur, je voterai Zemmour aux présidentielles. Mais peut-être qu’un jour je revoterai à droite », continue-t-elle. Des couleurs qu’a aussi choisies son amie.
Quelques mètres plus loin, au boulodrome, les parties se poursuivent, le café coule à flot et la machine à panini n’a pas le temps de refroidir. Loin, très loin, des revendications politiques d’une partie du quartier.