Vendredi 20 janvier, le procès en appel de Bruno Garcia-Cruciani s’est ouvert devant la cour d’assises de Corse-du-Sud. Condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat de son ex-compagne Julie Douib, l'homme de 46 ans a déclaré avoir "fait appel pour ses enfants" qu’il ne voit plus. Retour sur une première journée d’audience consacrée à l’étude de la personnalité de l’accusé.
"J'ai fait appel pour mes enfants. C'est le plus important pour moi", déclare d’entrée Bruno Garcia-Cruciani, invité à prendre la parole en début d’audience par la présidente de la cour d’assises, vendredi 20 janvier.
En juin 2021, les Assises de la Haute-Corse l'avaient condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 22 ans, pour l'assassinat de son ex-compagne Julie Douib.
Cette fois, l’homme au crâne rasé, âgé de 46 ans, est jugé en appel à Ajaccio jusqu’au 27 janvier. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité dans un dossier qui suscite une nouvelle fois l’intérêt médiatique au-delà des frontières de l’île, en témoigne la présence de nombreux journalistes spécialement venus du continent. Sans oublier certaines associations de prévention et d’aide aux femmes victimes de violences.
Pour rappel, cette affaire hautement symbolique avait contribué à l'ouverture d'un "Grenelle" contre les violences faites aux femmes.
Au premier rang d'une salle copieusement garnie, les parents et le frère de Julie Douib sont là. Parties civiles, ils écoutent - impassibles - l'accusé évoquer sa condamnation prononcée il y a un an et demi :
"Durant l’audience de première instance, je n’ai pas eu un procès juste et équitable, dû à la sur-médiatisation de l’affaire, déclare-t-il d'un ton posé. Je n'ai pas été jugé pour mon acte certes très grave. J’avais un casier vierge, j’ai fait un exemple. Je ne me suis pas défendu, je n’avais rien à dire ; ça aurait été déplacé. On a vu ça comme de la froideur et de l'arrogance, ce n’était pas le cas."
S’il réfute toujours la préméditation de son geste et parle d"un accident", Bruno Garcia-Cruciani "reconnaît avoir tué Julie Douib" par balles le 3 mars 2019 à l’Île-Rousse. "Il m’a tuée", avait lâché dans un dernier souffle la jeune mère de famille de 34 ans à sa voisine, alertée par les bruits.
"Je serai puni pour ça, concède l’accusé. Mais il ne faut pas confondre justice et vengeance", prévient-il.
"Ce que nous attendons aujourd'hui, c'est qu'il soit puni pour ce qu'il a fait, nous a confié Lucien Douib, vendredi matin, en marge de l’audience. C'est pas nous qui allons décider de ce qu'il se passe, mais on espère qu'il prenne ce qu'il doit prendre par rapport à ce qu'il a fait", ajoute le père de Julie Douib.
Séparée de Bruno Garcia-Cruciani en 2018, avec qui elle a eu deux enfants, sa fille avait déposé plusieurs plaintes pour violences, toutes classées sans suite. Elle avait également laissé un dossier numérique contenant des photos de ses hématomes ainsi que des enregistrements de leurs disputes.
"Par mon geste, je les ai punis"
Debout derrière la vitre de son box, visage émacié et bras dans le dos, Bruno Garcia-Cruciani dit vouloir se "battre pour ses enfants" dont l'autorité parentale lui a été retirée en première instance.
Âgés de 11 et 14 ans, les deux garçons vivent désormais sur le continent avec leurs grands-parents maternels. Comme c’était déjà le cas en première instance, ils n’assistent pas à l’audience où ils sont représentés par maître Francesca Seatelli.
"Certes, par mon geste, je les ai punis car ils n’entendront plus la voix de leur mère, avance l’accusé qui avait obtenu leur garde en janvier 2019, deux mois avant le décès de Julie Douib. Mais les écarter de leur père, ce serait une deuxième punition. Je n’abandonnerai jamais mes enfants. Je serai toujours là pour eux. Ça fait quatre ans je n’ai pas de nouvelles, qu’ils n’ont plus entendu la voix de leur père. Pour moi, c’est plus dur que d’être enfermé. Mes enfants, c’est ma vie." Une phrase que Bruno Garcia-Cruciani répétera à plusieurs reprises.
"Pas des ouï-dire"
À la barre, il a aussi été longuement question de son caractère. Selon l’enquêteur de personnalité, Bruno Garcia-Cruciani se définit comme quelqu'un "d’entier, dur, serviable avec ses proches, pas très avenant et qui n’aime pas être pris pour un imbécile". "Il est semble-t-il solitaire et ne parle pas sur son ressenti", a constaté l’expert.
Sur sa vie de couple, note-t-il, "il a simplement mentionné une vie normale, avec de hauts et des bas comme dans tous les couples".
Un témoin de moralité évoque lui "un couple heureux et un énorme gâchis". "Julie était une jolie femme, aimante pour ses enfants".
Si l’homme "condamne le drame qui est arrivé", il rappelle que "Bruno Garcia-Cruciani reste son ami".
"Depuis 20 ans que vous le connaissez, avez-vous pu constater si Monsieur Garcia-Cruciani était une personne violente ?", interroge Me Gilles Antomarchi, l’un des deux avocats de la défense.
"Non, il n’a jamais fait parler de lui", répond le témoin.
"Il était pour moi un très bon père", souligne de son côté une femme, également témoin de moralité (dont le compagnon est le cousin de l’accusé). On m’a rapporté qu’il y avait une salle de jeu chez lui (pour les enfants) »
"On ne vous demande pas des ouï-dire madame, on on vous demande de témoigner sur ce que vous avez constaté vous-même", tance la présidente.
Une soeur à la barre
Appelée également à la barre, la soeur aînée de Bruno Garcia-Cruciani indique qu’il "ne s’est jamais drogué, n’a jamais bu et a tout fait pour sa famille".
Restée 8 ans sans se parler avec son frère - "pour une brouille concernant un héritage sur une maison" -, elle dit "qu’il était un bon père et n’avait pas de problèmes".
Un portrait qualifié de "lisse" par les avocats de la partie civile.
"Avec votre frère, vous avez passé 8 ans sans vous adresser la parole, et vous dites ça", s’étonne la présidente, avant de pointer son "absence de la vie de (son) frère et de celle des ses enfants pendant 8 ans".
"Oui, mais je n’ai jamais entendu dire que Julie avait des bleus", rétorque le témoin.
"Mais vous n’étiez pas là pour le voir madame !", répond la présidente, sur un ton sec, en ne manquant pas de rappeler, une nouvelle fois, que "dans une cour d’assises, on ne se base pas sur des ouï-dire" .
Autorisée pendant un temps à écrire à ses neveux, la soeur de Bruno Garcia-Cruciani s'était ensuite vue retirer ce droit. La justice la soupçonnait de faire passer des messages aux enfants de la part de leur père. "On m’a tout ôté après le procès de Bastia", déplore la quinquagénaire aux cheveux noirs et bouclés.
"Pouvez vous envisager que cela ait pu faire du mal à vos neveux de lire vos lettres ?", lui demande Me Seatelli, pour la partie civile. "C’est monstrueux ce qu’a fait mon frère, mais se servir des enfants l'est aussi ! En quoi l’amour d’une tante peut-il apporter le mal ?!", lâche-t-elle, les larmes aux yeux.
"Je le redis en pensant à la pauvre Julie et aux enfants. Je suis mélangée entre un sentiment de colère et de haine mais ça reste mon frère, poursuit la soeur aînée. Je voudrais qu’il ait un procès équitable, pas médiatisé et pas un procès déjà fait. On peut lui reprocher beaucoup de choses mais surtout pas l’amour qu’il a pour ses enfants. Mme la présidente, on me donnerait la possibilité de le faire sortir ce soir, je ne ne le voudrais pas. Je veux juste qu’il soit jugé équitablement", conclut-elle en éclatant en sanglots.
"obsessionnel et psychorigide"
Selon le psychologue, les tests ont confirmé que Bruno Garcia-Cruciani "percevait la réalité tout à fait normalement". L’expert a cependant relevé chez lui "une nature obsessionnelle et une difficulté à changer d’avis". "Il montrait des traits importants de psychorigidité et des éléments de réactivité et d’impulsivité", explique-t-il à la cour.
Soupçonnant Julie Douib de lui avoir été infidèle, "il s’est estimé en manque de légitimité de la part de ses enfants et en défaut de loyauté vis-à-vis de sa compagne", analyse le psychologue.
"Il y a une forme d’intolérance. Il ne supporte pas les crasses, quand il a le sentiment que les gens ne sont pas bienveillants à son endroit."
Pour l’avocate générale, l’expertise du psychologue "donne le sentiment que l’accusé met à distance des choses très graves".
"C’est catastrophique, ça n’aurait jamais dû arriver. Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais. Malheureusement je ne peux pas."
Bruno Garcia-Cruciani
La présidente s’adresse à Bruno Garcia-Cruciani : "êtes-vous possessif ? Jaloux ?"
"Ça dépend sur quoi. Quand j’ai connu Julie, elle travaillait dans une boite de nuit. Après, c’est la mère de vos enfants et vous tombez sur les choses (allusion à la soi-disant liaison de son ex-compagne) sur lesquelles vous tombez... Oui, c’est de la jalousie", reconnaît-il.
"Pensez-vous que cette jalousie a pu tout déclencher ?", demande la présidente.
L'accusé réfléchit. "C'est la jalousie oui, ça a pu être ça aussi. Fallait-il en arriver là ? non. Ai-je voulu en arriver là ? non. C’est compliqué de mettre des mots. C’est catastrophique, ça n’aurait jamais dû arriver. Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais. Malheureusement, je ne peux pas."
Accident et anabolisants
Sur le passé de Bruno Garcia-Cruciani, l’enquêteur de personnalité a rappelé qu’il avait eu un accident de moto en 2004. Ce qui l’a "considérablement handicapé et a entraîné une inactivité jusqu’en 2008". Une époque où il travaillait à la SNCM en tant que saisonnier permanent et où il vivait avec Saveria. Une femme avec laquelle il est resté sept ans en couple, de 1998 à 2005.
"Il a eu des séquelles sérieuses avec la perte de la mobilité de son bras droit. Il a été reconnu inapte par une commission de la SNCM et a perdu son travail. Sur les raisons de cette rupture (avec Saveria), il nous a fait part d’une mésentente et de quelques incartades à l’époque", note l’enquêteur.
La partie civile lui demande de préciser la nature de celles-ci.
"Je n’ai aucun élément", dit-il. L'enquêteur ajoute qu'à ce moment-là, "le principal sujet de préoccupation de l'accusé n’était pas son couple mais la récupération de la mobilité de son bras".
Durant l’instruction, Bruno Garcia-Cruciani n’a pas non plus signifié aux experts qu'il prenait des stéroïdes anabolisants. "Parce que c’est interdit, se défend-il. Je n’en avais pas parlé en première instance."
Ces produits sont interdits en France et ne sont vendus qu’à l’étranger, fait remarquer son avocat, Gilles Antomarchi, qui évoque des "possibles effets de paranoïa". "Il en a pris pendant 15 ans pour son bras, et a continué en prison, les écoutes le prouvent", précise le pénaliste bastiais.
"Enfance compliquée"
La cour s’est également plongée dans l’enfance de Bruno Garcia-Cruciani qu’il qualifie lui-même "de pas magnifique" tout en précisant qu'il "s'en est accommodé".
Selon le psychologue, c'est une période où il pourrait avoir eu le sentiment d’être un peu dénigré.
"Cette vie austère l’a donc amené à se faire respecter en parole. Il dit que pour lui, l’essentiel de ses intérêts sont ses enfants. Il veut leur donner ce qu’il n’a pas eu. Cette attitude est liée au carences affective de sa jeunesse."
Allusion ici à une "enfance compliquée", dixit l'accusé pendant son interrogatoire de personnalité en fin de journée où la présidente a insisté pour qu’il s’exprime davantage sur ce sujet sur lequel il avait été "peu disert" pendant l’instruction : "c’est important que les jurés vous entendent", lui fait-elle remarquer.
"Avec un père absent, à 13 ans, j’ai compris qu’il fallait que je travaille. Mon père avait laissé des dettes, une maison a moitié faite. J’ai arrêté l’école, j’ai fait des apprentissages."
"Les relations avec votre père ?", questionne la présidente
"Pas bonne", rétorque l’accusé. "Il est parti quand j’avais 16 ans".
"Et avec votre mère ?"
"Je me suis toujours plus occupé de ma mère qu’elle ne s’est occupée de moi."
"Avez-vous été témoin de violences à la maison entre eux ?"
"Oui, mais cela ne me concernait pas personnellement."
"Je n'en suis pas fier"
La présidente l’invite à réagir sur la vidéo projetée quelques minutes plus tôt dans la salle d’audience. Filmées par une caméra installée par l’accusé chez sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, les images font sursauter quelques personnes dans la salle, dont les proches de Julie Douib.
On y voit Bruno Garcia-Cruciani tirer violemment sa mère par les cheveux et s’énerver contre elle. "Dépêche-toi, mets le pyjama, lui dit-il sur un ton menaçant. Moi ,de la patience, j’en ai plus. Tu commences à me casser les couilles (sic)."
"Je n’en suis pas fier, il faut savoir faire son autocritique », réagit l’accusé en expliquant le contexte lié à la maladie d’Alzheimer de sa mère, qu’il qualifie "d’ingérable et de très difficile ». « C’est une maladie très dure et ça n’excuse rien. Là, on vous a montré une seule image. Il faut savoir qu’on a cherché ma mère toute la nuit car elle était partie. C’est une maladie où il faut être H24 dans la maison. Ce n’est pas que sur un jour ; cela n’enlève en rien à ce que vous avez vu. Je me suis occupé de ma mère pendant deux ans. Les gens de l’extérieur ne peuvent pas comprendre."
Les jurés écoutent attentivement.
La présidente dit "comprendre le contexte mais pas le geste".
Elle demande à l’accusé s’il souhaite dire autre chose sur sa personnalité qui pourrait éclairer les jurés ?
Il réfléchit. "Avant qu’arrive cette catastrophe, ma personnalité était d’être présent pour mes enfants, construire une maison, faire tout ce qu’il fallait faire." Et d'ajouter : "j'étais à fond pour mes enfants et tout s'écroule."
Des enfants que Bruno Garcia-Cruciani ne voit plus et au sujet desquels il dit qu'on les a "isolés".
"Des enfants qui souhaitent rester chez leurs grands-parents où ils ont une stabilité, oppose Me Seatelli en lisant une décision de justice de juillet 2022. Il y est écrit que les deux garçons "ne souhaitent ni visite, ni nouvelles, ni courrier de leur père" et que ce dernier "fait passer ses besoins avant les leurs, sans considérer l'impact qu'a eu la mort de leur mère".
"C'est normal qu'ils répondent cela quatre ans après, on a tout fait pour les isoler", rétorque Bruno Garcia-Cruciani, mettant fin à un entretien tendu avec l'avocate bastiaise.
L’audience reprend lundi matin à 9 heures avec l’examen des faits.