Article 24 et violences policières : "la vidéo, c'est notre seule arme de défense face à la police"

Confort de "l'impunité policière", ou "meilleur outil de protection des forces de l'ordre", l'article 24, qui entend pénaliser la diffusion d'images de policiers ou militaires reconnaissables, fait débat au sein de la population insulaire. 

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Maxime Beux en est convaincu : si quelqu'un avait pu filmer son accident, le 14 février 2016, "mon procès serait déjà terminé."

Plus de quatre ans se sont écoulés depuis ce soir d'après-match où le jeune homme a perdu son œil dans des échauffourées avec les forces de l'ordre. Comme d'autres supporters, il avait fait le déplacement à Reims pour soutenir le SC Bastia, dans le cadre de la 26e journée de Ligue 1.

La rencontre se clôture sur une victoire 1-0 pour le SCB. Mais très vite, la soirée de célébrations dégénère. Deux versions des événements sont depuis relatées : l'une présentant des Ultras "provoquants", violents, et chantonnant des "slogans fascistes" ; l'autre, des forces de police "surexcitées et armées", qui auraient "décidé de charger sans discernement ni maîtrise".

Au terme de la soirée, neuf supporters bastiais sont interpellés et placés en garde à vue. Plusieurs sont blessés, dont un gravement : Maxime Beux, qui perd son œil.

Des victimes de "violences policières"

Une affaire alors largement médiatisée, et qui fait écho à des faits plus récents de "violences policières". Mais cette fois filmés.

Le 21 novembre, Michel Zecler, producteur de musique à Paris, est ainsi roué de coups par trois policiers alors qu'il rentrait dans son studio d'enregistrement.

Une scène longue d'une quinzaine de minutes captée par une caméra de surveillance du studio. On y voit l'homme frappé de coups de pied, de poing et de matraque. Il assure de plus avoir été injurié, et traité, notamment, de "sale nègre".

Problème : les dépositions des policiers ne retracent pas tout à fait la même histoire. Elles accusent même Michel Zecler de ""violences sur personne dépositaire de l'autorité publique" et "rébellion". Les images de vidéosurveillance permettent finalement au producteur de se défendre. Une procédure est dans la foulée ouverte pour "violences par personnes dépositaires de l'autorité publique" et "faux en écriture publique", puis confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices.

Polémiques autour de l'article 24

Seulement voilà : l'affaire embarrasse d'autant plus le ministère de l'Intérieur que Gérald Darmanin avait obtenu la veille, vendredi 20 novembre, l'adoption de l'article 24 de la proposition de loi dite de "sécurité globale" par l'Assemblée .

Celui-ci prévoit de punir "d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende" la diffusion d'images d'un policier ou d'un militaire "dans le but manifeste qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique".

Et est depuis ses prémices lourdement critiqué. Atteinte au droit de la presse ou à la liberté d'expression, voire outil de camouflages des "bavures" policières, les attaques à l'encontre de cet article sont nombreuses, et se sont manifestés par des centaines de rassemblements de protestation, en Corse comme sur le continent.

Des reproches qui ont même conduit la majorité présidentielle a annoncer son intention de proposer "une nouvelle écriture complète" de l'article contesté au gouvernement, ce lundi 30 novembre.

La vidéo, "seule arme de défense face à la police"

Pour Maxime Beux, cet article 24 est d'autant plus problématique que la vidéo est bien souvent "la seule arme de défense face à la police". "Dans ces situations, quand vous êtes attaqués par des flics, vous ne pouvez pas fuir, vous ne pouvez pas retourner les coups, faut de quoi cela se retournera contre vous. Votre seule chance, c'est d'avoir quelqu'un pour vous filmer."

Les forces de l'ordre ont toujours raison à moins que vous ne disposiez de preuves tangibles. Mais pour les avoir, c'est un parcours du combattant.

Maxime Beux, victime autoproclamée de violences policières

À ses yeux, l'article 24 vient ainsi "conforter l'impunité policière". "Les forces de l'ordre ont toujours raison à moins que vous ne disposiez de preuves tangibles. Mais pour les avoir, c'est un parcours du combattant. Le soir du match, des caméras de surveillance ont filmé la scène avec les forces de l'ordre. Elles ont été saisies par la police et n'ont jamais été versées au dossier. Ce qui a fait foi pour moi, c'est l'expertise médicale de ma blessure."

Ses camarades interpellés la même soirée n'ont pas eu la même chance, juge-t-il : tous ont été "lourdement" condamnés pour "outrage" et "rébellion". "Mais si un passant avait filmé…"

"Le meilleur outil de protection des policiers"

Un positionnement qui trahit une méconnaissance du contenu et de l'application de l'article 24, estime Sylvain Guimond, secrétaire de Corse-du-Sud d'Alliance, premier syndicat policier français.

"L'article 24, ce n'est pas une interdiction de filmer, mais une interdiction des fonctionnaires de police pour les identifier, et déterminer leur nom, leur logement…" Il pourrait même représenter "le meilleur outil de protection des policiers".

Car si en Corse, "ce genre de problème n'arrive pas souvent", sur le continent, "nous avons des collègues qui ont pu ou qui peuvent être mis sérieusement en danger à partir du moment où ils ont été filmés puis identifiés."

Qui aujourd'hui accepterait d'être filmé en permanence, sur ce qu'il dit, ce qu'il fait, comment il agit ?

Sylvain Guimond, secrétaire 2A Alliance police nationale

Plus encore, poursuit Sylvain Guimond, "qui aujourd'hui accepterait d'être filmé en permanence, sur ce qu'il dit, ce qu'il fait, comment il agit ? Les policiers ont le droit à l'image comme tous les autres citoyens."

D'autant plus que les images filmées sont "sorties de leur contexte. On va filmer une intervention de policier sans montrer l'avant ou l'après, pour ne garder que les minutes qui correspondent au buzz. Ce qui ne fait pas justice à une situation."

Des décisions policières "prises à l'instant T"

Des arguments difficiles à entendre pour Maxime Beux, victime [pour l'heure encore autoproclamée, les procédures judiciaires n'étant toujours pas abouties] de violences policières. "Si un policier est filmé, c'est pour une raison. Personne n'a d'intérêt à filmer, puis lyncher sur les réseaux
sociaux un policier qui ne fait pas d'excès. Si un agent l'est, c'est qu'il a forcément commis une faute quelque part. Je ne dis pas que c'est excusable, mais si on en arrive là, c'est qu'il y a eu une faute avérée d'un policier.
"

Il faut protéger tout le monde, y compris les fonctionnaires de police.

Sylvain Guimond, secrétaire 2A Alliance police nationale

Là encore, Sylvain Guimond rejette un jugement trop hâtif d'une situation. "C'est compliqué, aujourd'hui, d'être policier. On peut se retrouver en plein feu de l'action, à devoir prendre des décisions à l'instant T. Forcément, il est plus facile de juger et décortiquer ce qui aurait pu être fait autrement après coup, assis dans un bureau avec les images de caméras de surveillance et les dépositions."

Si l'article 24 va donc, selon le secrétaire départemental du syndicat Alliance, dans "une très bonne direction", il le répète : "Ce n'est pas un permis blanc à tous les actes répréhensibles. C'est simplement une protection dans une société où on est de plus en plus identifiés sur les réseaux sociaux. Il faut protéger tout le monde, y compris les fonctionnaires de police."
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