Condamné à 18 ans de réclusion criminelle dont neuf ans de sûreté en 2021, Jean-Dominique Carboni a été acquitté par la cour d'appel de Bastia, malgré les réquisitions du parquet, équivalentes à celles de la première instance. Le jeune homme de 26 ans sera libéré de la prison de Borgo dans la soirée.
"C'est le petit manuel de l'erreur judiciaire, ce procès. Le dossier est nul. Nul !" C'est ainsi que maître Amale Kenbib avait débuté sa plaidoirie, en début d'après-midi. Les bras écartés, et levés vers le ciel, en une posture théâtrale.
Durant près de trois heures, elle et son confère, maître Yves Levano, les nouveaux avocats de Jean-Dominique Carboni, se sont attachés à démontrer que l'instruction qui avait mené à sa condamnation en première instance, pour l'assassinat de Karim Absi le 7 juin 2017, ne reposait sur aucune preuve, mais uniquement sur la rumeur. "Ici, la rumeur n'a pas sa place", rappelle Me Kenbib à la salle.
Le ton, au fil de l'après-midi, était souvent goguenard, parfois atterré pour Me Kenbib. Régulièrement outré pour Me Levano. Mais invariablement tranchant.
Approximations
Les deux avocats ont pointé du doigt les approximations supposées de l'enquête qui relevait selon eux "du mensonge ou de l'incompétence". Ils ont attaqué, sans retenir leurs coups, le directeur d'enquête et sa manière de travailler. Ils ont pointé les raccourcis, les interrogatoires orientés, l'absence de reconstitution, de fadettes, les pièces disparues. Sans oublier la différence entre la taille de leur client et celle du tueur, à en croire selon eux la trajectoire de la balle...
Jusqu'à, parfois, donner l'impression de mener, à la barre, une seconde enquête, provoquant l'agacement du ministère public. Lors des réquisitions, après avoir décrit Jean-Dominique Carboni comme quelqu'un d'"impulsif", de "colérique" et de "violent", qui se rêvait "caïd" à Cargèse, François Thévenot affirme pour sa part que "l'enquête parfaite n'existe pas", et que "les arguments de la défense sont une supercherie".
D'autant que la partie civile et le parquet possédaient un gros atout dans leur manche, un témoignage en défaveur de Jean-Dominique Carboni. Y.B., un ami proche de Jean-Do Carboni à l'époque des faits, avait déclaré, lors de l'enquête que ce dernier lui avait confié être l'assassin.
En première instance, Y.B. s'était rétracté, assurant qu'il avait menti, par peur, et sous la contrainte. Il a réitéré sa volte-face cette semaine, devant la cour d'appel. Mais ses arguments n'ont pas suffi à convaincre maître Cynthia Costa-Sigrist, avocate de la partie civile : "c'est classique. Quand on fait des déclarations en garde à vue, on a beau jeu, ensuite, de dire que les enquêteurs vous ont mis la pression. Mais devant le juge d'instruction, il n'a pas eu de pressions, et a maintenu ses déclarations".
Maître Levano, à la barre, a de son côté insisté sur les failles de ce Y.B., "bipolaire, drogué, menteur". Des failles qui en faisaient un témoin peu digne de foi. Selon lui, c'était tout simplement parce que ce dernier était pris dans un engrenage, "un tunnel", qu'il ne s'était pas rétracté devant le juge d'instruction.
Enfin, il est revenu sur la question, qui avait longuement animé les débats lors de la dernière journée d'audience, de la taille du tireur. Mètre en main, mimant les différentes positions de tir, maître Levano va s'attacher à démontrer que, au vu de l'angle pris par la balle le soir de l'assassinat, son client, haut de 1m67, ne peut être l'homme qui a appuyé sur la gâchette. "Cette homme doit mesurer 1m80, 1m82, si vous voulez mon opinion", lance-t-il aux jurés.
Avant de conclure, face à la cour, le verbe haut : "on ne prépare pas une injustice par une autre injustice. Vous acquitterez Jean-Dominique Carboni. Vous l'acquitterez !"
Victimes
Alors que le jury se retirait pour délibérer, durant plus de trois heures, maître Maestrini, le deuxième avocat des parties civiles, s'empressait de rappeler que, "si les débats l'ont parfois travesti, la seule victime c'est Karim Absi, et c'est ce que les parties civiles attendent : la reconnaissance de la qualité de victime de leur enfant, de leur frère, de leur ami, de leur neveu, et de leur compagnon..."
L'avocat général avait suivi les réquisitions de la première instance, et réclamé 18 ans de réclusion criminelle, une peine équivalente à celle à laquelle Jean-Dominique Carboni avait été condamné en première instance. Les jurés, eux, ont suivi la recommandation de Me Levano. Ils ont néanmoins condamné l'accusé à 2 ans de prison pour détention illégale d'armes.
L'acquittement de Jean-Dominique Carboni, s'il a rendu le jeune homme de 26 ans à sa famille, après presque quatre ans de détention, n'a certainement pas apporté aux proches de Karim Absi, en larmes à l'énoncé de toutes les réponses qu'ils attendaient...