"Elle a menti pour les ailes" : Francesca Serra lauréate du prix Le Monde 2020 pour son premier roman

C'est ce qu'on appelle entrer en littérature par la grande porte. Pour son premier roman, "Elle a menti pour les ailes", l'ajaccienne Francesca Serra remporte le très réputé prix littéraire Le Monde 2020. Un prix qui vient récompenser un talent plus que prometteur. Simplement renversant. 

Nous avions rencontré Francesca Serra il y a quelques semaines, en terrasse, à quelques pas de la librairie La Marge, à Ajaccio. Son premier roman, Elle a menti pour les ailes, n'était pas encore sorti. Mais nous avions eu la chance de la lire. Et nous ne tarissions pas d'éloges. 

La jeune autrice les accueillait d'un grand sourire, qui peinait à dissimuler une certaine gêne. 

Comme pour conjurer le mauvais sort, à quelques jours de la publication d'un livre sur lequel elle avait travaillé, inlassablement. Et qu'elle devait se résoudre à laisser affronter le jugement des autres. 

Cinq ans d'écriture

Autant dire que quand on a abordé le sujet du prix littéraire du Monde, dont on venait de découvrir la liste des sélectionnés, Francesca a botté en touche.
 
"J'en reviens pas, vraiment, mais je ne l'aurai jamais ! Y a tellement de grands auteurs, et tellement de livres bien meilleurs que le mien...", lâche-t-elle entre deux gorgées d'eau gazeuse nustrale, avant de se lancer dans l'éloge, d'une sincérité désarmante, de l'une de ses concurrentes, Sarah Chiche, et de son roman Saturne...

Fair play, pour le moins. 

Y a pas urgence, le prix du Monde, je ne l'aurai pas !

Francesca Serra

Quand tant d'autres auteurs et autrices n'aiment rien tant que parler d'eux et de leur œuvre, Francesca Serra, elle, préfére parler de celle des autres. 

Comme si, alors que Elle a menti pour les ailes n'était pas encore sur les tables des libraires, elle hésitait à se voir comme autre chose qu'une amoureuse de littérature. 
L'interview que nous avions prévue, pour annoncer la sortie du roman, et qui devait se faire ce jour-là, ne s'est pas faite.

Francesca Serra a parlé de la littérature américaine et des auteurs qu'elle aime, Tristan Egolf, ou David Foster Wallace. Le temps a filé, et la trentenaire en a fait de même. Son avion pour Paris l'attendait. 

"On aura le temps la prochaine fois, pour l'interview, de toute manière. Y a pas d'urgence, le prix du Monde, je ne l'aurai pas", a-t-elle salué dans un éclat de rire.

Raté. 

Jamais Le Monde n'avait couronné un premier roman

Le prix du Monde, qui sera décerné officiellement mercredi 9 septembre, Francesca Serra l'a eu. Jamais, depuis la création du prix en 2013, le quotidien de référence n'avait récompensé un premier roman. 

Et l'Ajaccienne rejoint Yasmina Reza, Emmanuel Carrère, Jérôme Ferrari, Ivan Jablonka ou Cécile Coulon. 

Autant le dire tout de suite, c'est amplement mérité. Elle a menti pour les ailes est une claque. Il est rare de lire un premier roman aussi maîtrisé, aussi ambitieux, aussi emballant. Tout, dans ce roman, marche. Et ce n'était pas gagné. 
Un roman sur l'adolescence, sur le pouvoir écrasant des réseaux sociaux, sur la génération Z, la première à être née dans un monde où tout semble mériter publicité, et où rien n'existe vraiment avant d'avoir été partagé sur Instagram...

Nous redoutions le coup de bluff, le roman opportuniste, de ceux que l'on saupoudre d'un peu de modernité, pour donner plus de consistance à un texte creux, à des personnages sans intérêt. 

Nous ne citerons pas de noms, mais les suspects se reconnaîtront... 

Chaque mot, pesé, fait mouche

Dès le premier chapitre, Francesca Serra balaie tous les a priori. 

Nous y faisons la connaissance de Garance Sollogoub, jeune fille d'une quinzaine d'années, d'une beauté remarquable, qui a grandi dans une station balnéaire sans charme du Sud-Ouest. Qui vit la vie de toutes les jeunes filles jolies de toutes les petites villes de province. Et qui, un jour, disparaît. 

Le style est à la fois ample et d'une précision redoutable. Chaque mot est pesé, et fait mouche. 

Mais là où, peut-être, réside le plus sûr talent de la jeune écrivaine, c'est dans l'art de se jouer des codes sans les mépriser. 

Ses personnages semblent tout droit sortis des innombrables séries télé ou films consacrés à la vie de lycée, de Breakfast Club à 13 reasons why
Il y a la reine du bal, belle gosse riche et méchée, sur qui tous les regards se tournent dès qu'elle traverse un couloir. Et l'essaim qui tourne autour de la reine, l'aréopage de filles qui ont renoncé à l'égaler, et se contentent de l'honneur d'être suivies par elle sur Snapchat. 

Il y a le beau gosse taiseux et sûr de lui, que toutes s'arrachent. Le copain un peu bas du front, mariole et adepte de drogues douces, ou presque. Le jeune persifleur, qui gravite autour des filles les plus populaires, doudou persifleur assorti à leur sac YSL.

Et puis il y a Garance, la fille qui vaut mieux que ça, et qui, pourtant, au fur et à mesure que son horizon se rétrécie, ne rêve que faire partie de la bande. Le prix à payer sera lourd...

La génération Z comme on ne l'avait jamais lue

On a vu ça mille fois. On a lu ça cent fois. Et pourtant non. Francesca Serra arrive à rendre complexes ces stéréotypes, à leur conférer une étonnante originalité. 

L'intrigue, construite et menée avec une vraie audace, en se permettant des sauts dans le temps, des ellipses, et de multiples retranscriptions de conversations messenger et de statuts et commentaires Instagram, y gagne en force et en crédibilité.
Francesca Serra, avec Elle a menti pour les ailes (quel beau titre), parvient à saisir, comme personne avant elle, la réalité de l'univers de la génération Z. 

Elle ne se contente pas d'en singer les codes. Elle donne à la comprendre vraiment aux lectrices et aux lecteurs.

Comme l'avait fait Bret Easton Ellis, avec la génération des yuppies, ou Douglas Coupland, avec la génération X. 

L'héritage est lourd à porter sur les frêles épaules d'une jeune romancière, mais il n'est pas usurpé. 
 
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