La filière porcine insulaire s'estime menacée par les nouvelles modalités de calcul des aides de la PAC. Après l'occupation de la sous-préfecture de Corte par la FDSEA 2B et des locaux de la DRAAF par Mossa Paisana, le ministère de l'Agriculture a finalement communiqué sur plusieurs concessions, dans la soirée de ce vendredi 12 mai. Des annonces jugées insatisfaisantes par les syndicats.
Paul Piazza, vice-président Mossa Paisana, ne masque pas sa déception. "Le ministère nous a donné un petit os à ronger, voilà tout."
Ce vendredi 12 mai, ils sont plusieurs membres du syndicat agricole à avoir occupé les locaux de la direction régionale de l'alimentation à Ajaccio, rejoignant le mouvement engagé la veille par la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Haute-Corse, postée à la sous-préfecture de Corte.
Une large mobilisation du milieu agricole pour contrer ce que les syndicats redoutent comme un "séisme" pour la filière porcine insulaire : les nouvelles modalités de calculs des aides de la PAC - la politique agricole commune - qui leur sont dues.
Jusqu'à présent, le versement de ces aides était ainsi conditionné à un "taux de chargement", soit le ratio d'animaux par hectare d'exploitation. Ce taux sera désormais calculé en fonction du nombre d'animaux abattus dans une période déterminée, plutôt que sur l'ensemble du cheptel existant.
Après de longues heures de discussions, une communication du ministère de l'Agriculture est finalement tombée en début de soirée : la période d'abattage des porcs est étendue d'un mois, les truies mères seront bien prises en compte, au-delà du simple nombre d'animaux abattus, et les animaux importés du continent seront automatique exclus.
Une "non-réponse"
Des modifications jugées largement insuffisantes par Mossa Paisana. "C'est une non-réponse pour moi, souffle Paul Piazza. Ils vont prendre en compte les truies mères sans prendre en compte le reste du cheptel. Il faut savoir que les éleveurs porcins, pour tuer 100 porcs, ont besoin d'en élever 300, notamment ceux de l'AOP et du nustrale qui sont sur deux générations, 24 mois."
Plus encore, le vice-président du syndicat déplore l'absence de solution apportée quant à la problématique des jeunes agriculteurs, qui n'ont pas de porcs tués ni de cheptel l'an passé à déclarer et ne peuvent de facto par avoir accès aux aides européennes. Même injuste exclusion pour les "éleveurs qui n'abattent pas", poursuit-il, "ceux qui élèvent leurs porcs juste pour les vendre, qui font tout à fait bien leur métier, et ne sont au final pas pris en compte".
"Qui va contrôler le bouclage d'un porc qui arriverait du continent, et qui serait rebouclé à la mode corse avant de passer à l'abattoir ? Personne."
Paul Piazza, vice-président de Mossa Paisana
Concernant l'exclusion des porcs importés du continent dans le calcul des aides de la PAC, "très bien, mais qui va contrôler cela ?" L'absence d'IPG [identification pérenne généralisée, un code à 10 chiffres utilisé pour identifier les bovins, au moyen d'un code à 10 chiffres retranscrit sur des boucles sur ses oreilles et sur son passeport, ndlr] pour les porcins empêcherait le bon traçage du parcours des porcs, estime ainsi Paul Piazza. "Qui va contrôler le bouclage d'un porc qui arriverait du continent, et qui serait rebouclé à la mode corse avant de passer à l'abattoir ? Personne. L'IPG réglerait une bonne partie de la problématique."
Fin des négociations
Mossa Paisana insiste, la filière porcine attend plus de l'Etat. Pierre Bessin, directeur de la DRAAF de Corse, se veut néanmoins clair : les négociations avec le ministère de l'Agriculture sont à priori closes en ce qui concerne les aides européennes de cette année. "Le ministère doit prendre un arrêté national pour finir de caler les règles du jeu de la PAC 2023. Or, les déclarations de surface dans ce cadre se tiennent maintenant, donc l'arbitrage, me semble-t-il, est pris pour cette année."
Le directeur de la direction régionale de l'alimentation le reconnaît : "Il n'est peut-être pas complètement satisfaisant par rapport à toutes les revendications qui ont été faites. Mais cet arbitrage a une vraie cohérence et une vraie logique interne, dans ce sens où il donne un signe et un sens à la production de porc en Corse, que ce soit en race nustrale, ou éventuellement avec des porcs qui ne seraient pas de race nustrale, mais qui feraient tout leur parcours, de la naissance jusqu'à l'abattage, sous les chênaies et les châtaigneraies, c'est à dire le parcours d'élevage traditionnel corse."
"Nous sommes dans un objectif d'arriver à produire de la charcuterie corse de qualité."
Pierre Bessin, directeur de la DRAAF de Corse
Pour autant, Pierre Bessin assure rester "à l'écoute, dans une position de dialogue. Je crois qu'il faut qu'on fasse comprendre les spécificités de cet élevage traditionnel. Il est vrai que si nous ne prenons en compte que les tickets d'abattage, ça doit inciter des éleveurs à aller jusque là, et cela peut donc remettre en cause certains autres circuits de commercialisation des cochons."
Il insiste pour autant : "Nous sommes dans un objectif d'arriver à produire de la charcuterie corse de qualité. C'est tout ce qu'on vise. J'espère qu'on va pouvoir travailler sur tous ces sujets, mais je suis persuadé que de ces difficultés, nous en sortirons grandis, et la filière porcine en sortira également grandie."
Poursuite de la mobilisation
Joseph Colombani, président de la FDSEA 2B, a quitté les locaux de la sous-préfecture de Corte, qu'il occupait depuis la veille, en fin de journée, ce vendredi 12 mai, tout comme les membres de Mossa Paisana restés au sein de la DRAAF. Mais les syndicats entendent pour autant poursuivre le combat.
Mossa Paisana indique de son côté se réunir ce week-end, en préparation d'actions futures pour dénoncer, une nouvelle fois, ce nouveau modèle d'attribution des aides européennes pour les éleveurs porcins. Et appelle dans ce cadre "toutes les forces vives agricoles, et tous les gens qui sont concernés par cette ineptie, à nous rejoindre", conclut Paul Piazza.