Chemins de fer de la Corse : le rapport accablant de la chambre régionale des comptes

La majorité régionale sous le feu des critiques. La chambre régionale des comptes de Corse s'apprête à publier un rapport que nous nous sommes procurés sur sa gestion du réseau ferroviaire. Et le bilan est lourd. L'exécutif, mis en cause, n'a pas tardé à réagir.

Le rapport n'est pas encore publié, mais il nourrit déjà son lot de polémiques. Il faut dire que les conclusions de l'institution, auxquelles nous avons eu accès, sonnent comme un réquisitoire contre l'exécutif. 

"Défaillances", "dysfonctionnements", "sous-activité chronique", "intérêts privés", "incapacité", "conditions opaques"... La chambre des comptes est extrêmement virulente à l'égard de la politique ferroviaire menée par Gilles Simeoni et l'exécutif, ainsi que le révélait le Monde hier. 

Nous nous sommes procuré le rapport définitif, et vous résumons ici les reproches faits par la juridiction financière :

  • Immobilisme

Pour l'auditrice qui a mené à bien la rédaction du rapport, tout tremble et rien ne bouge aux CFC. Elle souligne qu'en 2015, sous l'ancienne mandature, l'assemblée de Corse avait approuvé un schéma régional des infrastructures et des transports. Celui-ci comportait 39 actions.

5 ans plus tard, une seule a été menée à bien. "La Collectivité de Corse n'est pas en mesure de mettre en œuvre les choix arrêtés dans ses différents schémas", précise la chambre régionale des comptes, avant de pointer un déficit d'investissement de 73,5 millions d'euros en sept ans, alors même que ces opérations "sont toutes cofinancées"

"Sur la période 2010-2019, le niveau de crédit consommé est à hauteur de 40 % des crédits programmés, subventionnés à hauteur de 50 %", conclut le rapport, qui prend soin d'ajouter que ce retard entraîne des pertes de financement. La région, selon lui, a déjà perdu "23 millions d'euros de subventions". 

  • Organisation coûteuse, et peu efficace

L'auditrice met également en avant une accumulation de postes superflue. "La collectivité de Corse doit engager une réflexion pour rationaliser son fonctionnement afin de le rendre plus efficace et moins coûteux", affirme le rapport.

Ce dernier prend soin de préciser que, à la direction de la Cdc chargée des transports et de la mobilité, on dénombre "cinq niveaux hiérarchiques pour encadrer huit personnes, sans pour autant que la production du service se soit améliorée".

De leur côté, les cheminots, toujours selon le rapport, bénéficient d'un "cadre organisationnel qui freine la polyvalence et surenchérit les coûts salariaux". "La durée de travail annuelle est inférieure au cadre légal, et l'organisation rend la durée effective inférieure de 28 % à celle constatée au niveau des TER [Les transports Express Régionaux de la SNCF, sur le continent -NDLR]".

  • Opacité de la gestion du domaine patrimonial

Cette partie risque de faire couler beaucoup d'encre... La chambre des comptes y écrit que "de nombreuses irrégularités sont constatées, avec des occupations privatives sans titre et sans paiement de redevances au bénéfice de particuliers et d'entreprises privées. (...) La Cdc a également organisé la reprise de certains biens initialement confiés aux CFC, permettant à plus de 26 bénéficiaires d'occuper, sans titre et sans paiement, des biens du domaine public, pour un préjudice qui peut être estimé sur la période 2014-2019 à 1,87 million d'euros".
Particulièrement dans la Plaine orientale. 

Une pratique qui, là encore, n'incombe pas uniquement à l'actuelle majorité, arrivée aux affaires en décembre 2015. 

  • Des coûts d'exploitation en hausse constante

Enfin, la chambre régionale des comptes pointe des dysfonctionnements entre la collectivité et la société d'économie mixte locale des CFC, qui a en charge l'exploitation du transport ferroviaire depuis 2011. "La collectivité de Corse peine à intervenir sur son délégataire alors même qu'elle finance plus de 80 % des charges de la société, qu'elle est actionnaire majoritaire à 65 %, qu'elle dispose de onze membres sur les dix-huit du conseil d'administration, et que son président est membre de l'assemblée de Corse". 

Résultat, "le délégataire impose les conditions d'exploitation". Et la facture est salée : 15,9 millions d'euros en 2010, et 22,8 millions d'euros en 2019, alors que l'attractivité du réseau ferroviaire, dans le même temps, n'a connu aucun développement. 

Ce qui porte le coût d'exploitation du voyageur à 66,61 centimes par kilomètre, contre 10,8 centimes pour la voiture particulière et 22,2 centimes pour les Transports Express Régionaux. "Afin de tendre vers un niveau équivalent au TER, le nombre de voyageurs par kilomètre devrait être multiplié par trois à coûts constants". 

Rapport d'observations définitives de la cour des comptes

Gilles Simeoni contre-attaque

Le président de l'exécutif n'a pas attendu la publication officielle du rapport pour faire connaître sa défense. Dans un courrier en date du 3 février dernier adressé à Jacques Delmas, le président de la chambre régionale des comptes de Corse, il fustige l'attitude et les méthodes de travail de l'auditrice qui a mené le contrôle. 

"Cet audit de la fonction ferroviaire me paraît avoir été mené, durant cette longue période d'instruction, d'une manière curieuse et qui pose question, eu égard aux normes professionnelles et déontologiques (...)." 

Gilles Simeoni s'étonne que l'audit, qui concernait en grande partie "une collectivité en pleine réorganisation suite à la fusion de trois entités distinctes", n'ait pas "intégré ou pris en compte ce contexte exceptionnel".  

Il affirme également que "les différents fonctionnaires de la collectivité de Corse qui ont eu à échanger avec l'auditrice ont a posteriori fait part d'une forme de défiance systématique, voire de partialité de la part de leur interlocutrice". 

Partialité et intention de nuire.

Gilles Simeoni

"Un faisceau d'indices concordants" qui incite Gilles Simeoni à "émettre les plus expresses réserves" sur le rapport. Il brandit l'argument d'un "contexte politique d'ensemble lourdement impactant" pour expliquer certains des manquements qui y sont soulignés.

Des contraintes calendaires, budgétaires et organisationnelles "sans précédent", parmi lesquelles des arriérés de paiement de 94 millions d'euros, la fusion "d'une complexité sans équivalent dans l'histoire administrative française", des élections territoriales en 2015 et 2017, sans oublier la crise Covid. 

Concernant l'immobilisme supposé de la Cdc, Gilles Simeoni évoque des projets structurants ambitieux, qui requièrent du temps.

Plus largement, à propos des griefs énoncés dans le rapport, le président de l'exécutif parle d'une "présentation caricaturale (...) qui démontre la partialité et l'intention de nuire qui semblent avoir malheureusement largement inspiré la plume du rédacteur du rapport." 

Pas sûr que les arguments détaillés dans le courrier adressé à la chambre régionale des comptes suffisent à convaincre l'opposition, à quelques heures de la prochaine session de l'assemblée de Corse, qui s'annonce mouvementée...

 

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