Décédé le 18 mars dernier à l'âge de 83 ans, l'ex sénateur de Corse-du-Sud aura jusqu'à la fin symbolisé un conservatisme assumé et la vision d'une Corse républicaine où le droit à la ressemblance servait de leitmotiv. Un homme dont le parcours électoral restera
unique sur l'île.
La longévité en politique n'est pas une exception, ce qui l'est en revanche c'est la diversité des mandats électoraux qu'un responsable politique a obtenu durant sa carrière. Et dans ce domaine, Nicolas Alfonsi sera difficilement égalé, à cause du cumul des mandats bien sûr, mais aussi parce que son savoir-faire et son sens de la tactique n'ont à ce jour pas d'équivalent.
Elu maire du village de Piana au décès de son père en 1962, qui ne comptait guère plus de 500 habitants, il a réussi à obtenir en 52 ans de vie politique tous les mandats électifs à l'exception d'un seul : Président de la République. Pour le reste son parcours est une accumulation de mandats éléctifs du Conseil général au Parlement européen en passant par les deux assemblées parlementaires ou encore l'Assemblée régionale devenue Territoriale...
Personnalité atypique et paradoxale
Et c'est là le premier paradoxe de cette personnalité atypique : sa surface électorale n'a jamais été d'une grande densité. Jamais il n'a été élu d'une grande agglomération, jamais il n'a été à la tête d'une importante collectivité, et pourtant il s'est souvent imposé comme le candidat de son camp.Le second paradoxe tient à sa position au sein de sa famille politique, la Gauche. Si les Clans régnaient en maître dans la Corse des années 60 il serait absurde d'affirmer que Nicolas Alfonsi en était un pilier. En Corse du sud c'était la Droite qui dominait avec la personnalité de Jean Paul de Rocca Serra quant à la Gauche elle régnait sur le Nord sous la houlette de François Giacobbi. Le jeune Alfonsi n'avait alors guère d'alternative soit s'aligner sur le leader Venacais soit s'imposer par ses propres moyens. Il choisira la deuxième solution...
La Gauche radicale et l'indépendance... d'esprit
La gauche était sa famille politique mais s'il en partageait les valeurs et les principes, ceux d'une gauche laïque, modérée, il n'entendait pas pour autant en être un obéissant serviteur, préférant sa liberté de pensée et d'action. Membre du Parti Radical il avait avec les structures un rapport assez lointain et s'amusait souvent d'être en contradiction avec les choix des instances nationales sur le sujet corse.Ses rapports avec les leaders locaux de la Gauche n'ont pas été plus simples, que ce soit avec François Giacobbi ou avec le Parti socialiste lorsque celui-ci était au pouvoir. Quant au PCF, s'il n'en partageait aucunement l'idéologie, il n'a jamais rompu avec lui. La proximité d'analyse sur la Corse expliquant sans doute son attitude.
Lorsque son ambition s'est faite jour à l'orée des années 70 il a eu à faire face au leader de la Gauche en Corse François Giacobbi, qui voyait d'un très mauvais oeil l'émergence d'un possible concurrent dans le sud. L'élection législative de 1973 a marqué une première rupture entre le jeune loup et le vieux briscard et c'est le premier qui l'a emporté en devenant député de la Circonscription d'Ajaccio-Calvi.
Opposition au mouvement nationaliste
Bénéficiant des divisions de la Droite, et de son image de jeune premier, il réussit à battre le gaulliste Jean Bozzi au second tour. François Giacobbi ne l'oubliera pas... Les rapports avec le Parti Socialiste seront autrement compliqués, et c'est la question institutionnelle qui les éloignera définitivement.S'il a soutenu le Statut Particulier de la Corse élaboré par Gaston Deferre en 1981, Nicolas Alfonsi s'opposera ensuite à toute nouvelle évolution. Que ce soit contre Pierre Joxe en 1991, et plus encore contre Lionel
Jospin en 2002, où il prendra le parti de Jean Pierre Chevènement lors de l'éléction présidentielle. Car c'est sur la Corse que la cassure s'opèrera. L'opposition au mouvement autonomiste/nationaliste fut le combat de sa vie politique à partir de 1982...
Une évolution politique progressive
Pourtant Nicolas Alfonsi n'a pas toujours eu cette aversion pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à toute forme d'autonomisme, bien au contraire. En 1973 il est classé parmi les élus progressiste et entretient de bonnes relations avec Edmond Simeoni, figure emblématique de l'ARC et porte-drapeau de la revendication identitaire. Critique sur la politique menée par Valéry Giscard d'Estaing il est tout autant envers le système politique traditionnel qui de son côté se méfie de ce jeune député...L'année 1975 va être le tournant que l'on sait dans les rapports entre l'Etat et la Corse. Nicolas Alfonsi, contrairement à d'autres personnalités et forces politiques de gauche, ne condamnera pas l'action d'Aleria et s'il déplore les morts il en fait porter la responsabilité au pouvoir giscardien et à son ministre de l'Interieur de l'époque Michel Poniatowski.
Il apportera son soutien à Edmond Simeoni et acceptera de faire partie de la commission d'enquête indépendante chargée de faire la lumière sur les événements des 21 et 22 août. Il sera également à la tête de l'impressionnante manifestation de soutien à Edmond Simeoni en avril 1976 dans les rues de Bastia.
Cette solidarité n'était pas un simple réflexe culturel. Le député radical de gauche partageait bien des analyses et des revendications du leader autonomiste. Réélu à l'Assemblée Nationale en 1981, il votera notamment la loi d'amnistie pour les prisonniers politiques corses - ils sont près d'une centaine inculpés-, et la suppression de la Cour de Sûreté de l'Etat.
Changement de cap
Nicolas Alfonsi prendra peu à peu ses distances avec la mouvance autonomiste et surtout nationaliste. L'apparition du FLNC et la persistance de son action malgré la représsion à son égard, l'intensification de la violence et le choix de l'Indépendance scelleront définitivement la rupture entre l'élu Radical et le mouvement revendicatif.Il tentera cependant une approche en direction d'Edmond Simeoni en août 1982 à qui il proposera une coalition à la tête de la première Assemblée Régionale afin de gouverner l'Institution. Un « compromis historique » accepté par Edmond Simeoni mais refusé par les instances de l'UPC méfiantes à l'égard des représentants d'un système politique que ses militants avaient toujours combattus.
Ce sera la dernière tentative de rapprochement. Dès lors Nicolas Alfonsi sera un adversaire de tous instants des nationalistes, opposé à toutes leurs revendications, n'hésitant devant aucune alliance transversale même la plus improbable pour contrer toute avancée politique et institutionnelle. Et il va tenir la ligne de front jusqu'au bout, parfois seul, une position qu'il affectionnait particulièrement.
Conservatisme assumé
En 1992 après avoir combattu le projet de loi Joxe il soutiendra la mise en oeuvre d'une alliance entre la gauche et la Droite à l'Assemblée Territoriale afin d'empêcher tout risque de majorité progressiste regroupant les partisans de José Rossi, le Parti Socialiste et... les nationalistes... Dans la même lignée il se présentera aux Législatives de 1993 en compagnie d'un suppléant RPR, Edouard Cuttoli, afin de combattre la candidature de José Rossi trop proche des nationalistes à son goût. Sans succès.Mais dès qu'il sent une réactivation du débat institutionnel il repart au combat. L'assassinat du Préfet Erignac et l'épisode calamiteux du Préfet Bonnet va ouvrir une nouvelle page politique qui va se prolonger durant trois faisant rejaillir les sempiternels clivages entre conservateurs et «évolutionnistes ». Nicolas Alfonsi va s'y illustrer en donnant sa pleine mesure dans un domaine qu'il affectionnait particulièrement : celui du débat constitutionnel.
Luttant pied à pied contre toute évolution, même minime, il finira par se retrouver seul à voter contre la délibération de l'Assemblée de Corse le 28 juillet 2000 demandant à Lionel Jospin d'intégrer dans son projet pour la Corse un pouvoir législatif encadré. Le groupe PRG s'abstiendra. Nicolas Alfonsi s'y opposera... Ce positionnement conservateur, il va l'assumer et la solitude ne lui pèsera jamais. Il en fera même un atout. Et lorsque l'on croit qu'il est hors-jeu politiquement, il rebondit et retrouve une position politique de premier plan.
Rempart "contre la poussée du mouvement nationaliste"
Ainsi en septembre 2001 il se fait élire Sénateur de la Corse du Sud... Ralliant la gauche il réunit aussi la Droite qui voit en lui un rempart contre la poussée du mouvement nationaliste. Fort de cette nouvelle légitimité, il combattra avec la dernière énergie le réferendum visant à instaurer une Collectivité unique en Corse. Combat cette fois victorieux... provisoirement.On arrive au pouvoir avec certains moyens, on gouverne avec d'autres moyens et on ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens
Après l'Assemblée Nationale jusqu'en 1988 c'est au Sénat qu'il poursuivra son inlassable combat jusqu'en 2014. Mais la Corse intéresse beaucoup moins, elle est sortie du champ politique national et ne représente plus un enjeu, les grands débats institutionnels appartiennent au passé... Nicolas Alfonsi terminera alors son mandat dans une certaine discrétion... pour autant il restera un observateur très attentif du débat politique et connaîtra
ce qu'il n'imaginait pas voir un jour : l'accession au pouvoir des nationalistes.
De 2014 à 2017 toutes les citadelles tombent ou sont ébranlées...« On arrive au pouvoir avec certains moyens, on gouverne avec d'autres moyens et on ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens. » C'était la phrase favorite de Nicolas Alfonsi et un de ses commentaires sur la victoire nationaliste en janvier 2016. Il observerait désormais les nationalistes à l'épreuve du pouvoir, dans leur gestion des affaires de la Corse et dans leurs rapports internes...
Son dernier acte politique c'était le jeudi 5 mars à Ajaccio. Il assistait au meeting d'Etienne Bastelica dans le cadre de l'élection municipale. Un soutien à la famille de gauche et une vigilance permanente pour faire barrage aux nationalistes si besoin était...