Ce jeudi 1er juin, le Comité de la Ligue contre le Cancer de Corse-du-Sud organise une conférence sur le thème "Les Perturbateurs Endocriniens", de 18 heures à 20 heures à l'Hôtel Campo Dell’Oro d'Ajaccio. Elle est animée par le docteur Joël Spiroux de Vendomois, spécialiste en médecine environnementale et en écologie humaine.

Vous donnez ce jeudi 1er juin une conférence sur les perturbateurs endocriniens, de quoi s'agit-il ?

Ce sont des molécules qui sont sur la planète, grosso modo, depuis un siècle et demi, deux siècles maximum, grâce au développement de la chimie minérale et de la chimie organique de synthèse. Avant, ces molécules étaient relativement rares. Elles se sont développées et ce qui nous a permis un développement colossal d'un point de vue médical, pour les médicaments, pour les techniques. Mais ces molécules ont des effets délétères. Comme leur nom l'indique, elles vont perturber notre système endocrinien, c'est-à-dire la sécrétion de toute notre glande qui fait les hormones pour organiser ce qu'on appelle l'homéostasie, c'est-à-dire notre équilibre général.

Concrètement, où peut-on trouver ces perturbateurs endocriniens ?

On les trouve partout : dans l'eau, dans l'air, dans les sols, dans l'alimentation. Ils sont vraiment ubiquitaires et c'est bien là le problème. Et ils ont une particularité, entre autres, c'est qu'ils sont lipophiles et vont préférentiellement se stocker dans nos graisses. C'est important parce que nous avons des graisses, et notamment une grosse masse graisseuse qui est notre cerveau.

Quelles peuvent être les conséquences sur la santé ?

On peut avoir des impacts sur les pathologies neurodégénératives, comme Alzheimer. Mais en dehors de ça, cela touche la thyroïde, le pancréas. Et surtout, tous les organes endocrines, c'est-à-dire liés à la reproduction. Cela favorise l'infertilité ou la stérilité, le développement des malformations chez les femmes, de l'utérus, par exemple, ou de certaines malformations des organes sexuels chez les hommes.

Mais il y a aussi d'autres pathologies, par exemple l’endométriose. Cette "épidémie" est en grande partie liée aux perturbateurs endocriniens, tout comme l'infertilité, mais aussi par exemple les fausses couches, ou les avortements spontanés en cours de grossesse. Et ces manifestations-là peuvent se transmettre, de façon épigénétique (NDLR : l’épigénétique correspond à l’étude des changements dans l’activité des gènes, n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires, selon l’Inserm).

C’est-à-dire ?

On a l’exemple avec le Distilbène. On a décidé de donner ça à toutes les femmes qui risquaient de faire une fausse couche. Et cela a entraîné des troubles importants chez les filles principalement, mais aussi chez les garçons avec des cancers. Mais la particularité, c'est qu'en plus, cela a donné des perturbations à la descendance.

Certaines perturbations se sont transmises de génération en génération : on en est à la troisème génération et on retrouve encore des pathologies qui viennent de la grand-mère ou l'arrière-grand-mère qui avait pris du Distilbène pour avoir son premier enfant.

Quelles peuvent être les autres effets néfastes des perturbateurs endocriniens ?

Il y a des perturbateurs endocriniens et métaboliques, qui vont favoriser le stockage des graisses dans les cellules. De très belles études ont montré qu’être en contact pendant la gestation avec des perturbateurs endocriniens, métaboliques, va favoriser le développement des cellules souches en adipocytes, c'est-à-dire en cellules graisseuses. Et en plus, cela va favoriser le remplissage par les graisses.

Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'à l'heure actuelle, il faut qu'on arrête de dire aux personnes atteintes d'obésité : "C'est de votre faute parce que vous mangez trop". L'environnement favorise et décuple l'affaire. Il faut qu'on arrête de culpabiliser les gens et c'est fondamental, parce que beaucoup de choses vient de l'environnement.

Mais alors comment s’en protéger ?

Tous les domaines sont touchés. L'air, l'eau. Alors difficile de changer d'air ! Pour l’eau, l'idéal, c'est de l'eau de source en bouteille de verre. Quant à l'alimentation, il faut d'abord ne plus acheter de d'aliments transformés. Il faut acheter les matières premières, les transformer soi-même et à basse température.

Et surtout varier un maximum son alimentation. Plus une alimentation est variée, plus on a des chances de se maintenir en bonne santé, d'avoir un microbiote qui va bien. Il y a aussi le problème des pesticides : vous imaginez bien que quand vous mangez 5 fruits et légumes par jour plein de pesticides, vous ne faites pas du bien ni à votre corps, ni à votre microbiote.

Y a-t-il des actions à mener à plus grande échelle ?

C'est un problème sociétal. Pour l’heure, la toxicologie réglementaire, qui permet la mise sur le marché des produits, qu'il soit alimentaire ou autre, n'est pas apte à nous protéger. C'est clair, net, précis, parce que les process de mise en évidence des facteurs toxiques de la toxicologie ne nous protègent pas et on en a un bon exemple. Si ces normes avaient été aptes à nous protéger, on n'aurait pas l'augmentation des cancers, des malformations, des pathologies, des allergies, etc. Ça, c'est la preuve par A plus B que la toxicologie réglementaire n'a pas été apte à nous protéger.  

Il y a 380 000 nouveaux pas de cancers tous les ans en France. Et on ne bouge pas pour supprimer les causes. Parce qu’on croit toujours à la science toute puissante, on croit toujours qu'on va trouver des solutions. 

Connait-on la part de cancers qui seraient liés aux perturbateurs endocriniens ?

Vous abordez là une question très intéressante, parce que parce que cela remet en cause notre façon de penser la maladie. Les maladies ont été pensées depuis un siècle et demi, grâce à Pasteur, qui a découvert les bactéries et mis en place l'hygiène pasteurienne, l'hygiène bactérienne. Cela nous a permis d'éviter les gangrènes, toutes les pathologies infectieuses. Le seul problème, c'est qu’on est parti sur une idée : un agent causal, une bactérie, une pathologie bien déterminée.

Avec les produits chimiques, ce n’est pas comme ça que ça marche : vous avez plusieurs produits chimiques, plusieurs perturbateurs endocriniens. Et vous pouvez manifester plusieurs symptômes ou plusieurs pathologies. Et on ne peut pas faire un lien direct de cause à effet entre un perturbateur endocrinien en particulier et une pathologie particulière, ce qui entraîne un déni. Quand on lit que principalement les cancers, c'est tabac, alcool, drogue et le manque de sport, on se moque du monde. On laisse de côté tous les produits chimiques qu'on a, qu'on accepte sur la planète. Et c'est un vrai problème.

Comment agir en termes de santé publique ?

Nous n’avons pas un ministère de la Santé, mais un ministère du soin. La santé, c'est le soin, plus la prévention. Avez-vous une idée de la part des dépenses qui sont appelées "dépenses de santé" en France dans le PIB ? Entre 11 et 12% du PIB, c'est déjà colossal et dans cette part-là, quelle est la part de la prévention ? C'est à peine 1%. Et dans la prévention, il y a déjà les vaccinations. Donc vous voyez qu’on ne fait pas de prévention, donc on ne fait que du soin. Le jour où on se mettra à faire de la santé, on supprimera les causes. Il faut changer de cap.

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