"Pour moi, Un dieu un animal représente un basculement" : Jérôme Ferrari nous parle des livres qui ont précédé Nord Sentinelle, son dernier roman

À l'occasion de la sortie de son dernier roman, Nord Sentinelle, nous avons demandé à Jérôme Ferrari de passer en revue avec nous son oeuvre, depuis Variétés de la mort, en 2001.

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Des débuts remarqués

Variétés de la mort (2001), Aleph Zero (2002), Albiana Editions

  • J'écrivais depuis pas mal de temps, mais l'idée d'être publié m'est venue à la fin des années 90, lorsque j'enseignais la philosophie à Porto-Vecchio, et que j'ai rencontré Marco [Biancarelli - Ndlr]. Variétés de la mort lui doit beaucoup. On a découvert qu'on écrivait tous les deux, on se relisait beaucoup l'un l'autre, je le traduisais... Et de cela est née une sorte d'émulation.

  • Variétés de la mort est composé de nouvelles écrites entre 1994 et 2001. Certaines, telles que Dies Irae, la deuxième, ont été importantes pour moi. Avec ce texte, c'était la première fois que j'avais l'impression d'avoir écrit une fiction littéraire digne de ce nom. Un truc qui s'éloignait des exercices d'écriture habituels... Mais d'autres nouvelles sont vraiment très faibles, et c'est souvent celles que j'ai écrites pour arriver à en avoir suffisamment pour faire un recueil. Ce premier livre est vraiment fait de bric et de broc. 
    Après le Goncourt, quand Actes Sud a voulu rééditer Variétés de la mort, je n'étais pas vraiment ravi, mais qu'y faire ? Je me suis dit que c'est moi qui l'avais écrit, que ça avait déjà été publié, je n'allais pas faire un autodafé !
  • Le fait que Marco et moi ayons publié presque en même temps, et que l'on écrive sur les mêmes choses, a incité certaines personnes à parler de mouvement littéraire. Mais c'était nous accorder trop d'importance ! C'était un plutôt une sorte de réaction, parfaitement résumée par le début de Prighjuneru, de Marco : "Au-delà de la carte postale, c'est vraiment un pays de merde". Ce n’était pas vraiment le genre de truc qu'on lisait à l'époque, et ça nous faisait juste beaucoup rire.
     
  • La sortie de Variétés de la mort s'est très mal passée. Je ne m'attendais certainement pas à ce que le livre suscite une violence pareille. C'est face à cette réception que Marco, qui n'a pas été épargné non plus, et moi, nous sommes rendus compte qu'on n'avait pas vraiment écrit comme cela sur la Corse auparavant. Je l'ai très mal vécu. Je suis assez sensible, je ne suis pas du tout stoïque, de ce genre de situation (rires). Recevoir des réponses haineuses à ce que tu as écrit, surtout quand tu l'as plutôt fait dans un esprit potache, c'était assez douloureux.
     
  • Pour autant, je ne me suis jamais dit que j'allais écrire autre chose, ou que j'allais écrire des mensonges, pour faire plaisir aux gens. C'était inenvisageable. D'autant que j'avais eu l'idée d'Aleph Zero, et que je voulais absolument aller au bout. Faire de la littérature avec de la physique quantique, qui a toujours été un domaine qui me fascine, ça me plaisait beaucoup ! 

Franchir la Méditerranée

Dans le secret (2007), Balco Atlantico (2008),éditions Actes Sud

  • Entre Aleph Zero et Dans le secret, il s'est passé cinq ans, c'est vrai. Mais la période a quand même été moins longue que celle qui vient de s'écouler jusqu'à Nord Sentinelle ! Il s'est passé beaucoup de choses dans ma vie, j'ai quitté la Corse pour l'Algérie, où j'ai été professeur de philo au lycée international d'Alger... Je me posais beaucoup de questions, je n'avais pas d'idée, et puis quand j'ai commencé à travailler sur Dans le Secret, je ne m'en sortais pas. Rien n'allait, la structure, c'était une horreur, j'allais d'impasse en impasse... Je commençais à m'inquiéter sérieusement.

  • Quand j'ai enfin pensé que j'avais écrit quelque chose qui se tenait, j'ai commencé à faire des démarches auprès de maisons d'éditions nationales. J'ai envoyé le manuscrit à cinq maisons. J'ai failli être publié à l'Olivier, et puis ça ne s'est pas fait. Le jour où l'Olivier m'a dit non, Actes Sud m'a dit oui.
  • J'ai créé une vraie relation de confiance, très forte, avec mon éditrice de l'époque chez Actes Sud, Marie-Catherine Vacher. Marie-Catherine n'est pas vraiment interventionniste. Elle me faisait plein de suggestions sur le manuscrit, mais sans être dirigiste. Et je pense que, évidemment, ça a lancé quelque chose. J'ai quasiment écrit quatre bouquins à la suite. Et ce regain d'énergie est entièrement dû à cette relation.

  • Niveau ventes, ce n'était pas vraiment la ruée dans les librairies. Dans le secret et Balco Atlantico ont dû s'écouler à 1.500 exemplaires chacun, quelque chose comme ça, mais ça ne m'a pas vraiment affecté. Les livres existaient, c'était le plus important.

Frémissement

Un Dieu un animal (2008), Où j'ai laissé mon âme (2009), éditions Actes Sud

  • Pour moi, Un dieu un animal représente un basculement. Je ne saurais pas l'expliquer, mais cela reste un de mes textes préférés. Ce n'est pas une question de "mieux", ou "pas mieux". C'était juste...différent. 
     
  • Un dieu un animal a été très bien reçu. J'ai eu de très bonnes critiques, une couverture presse nationale. Et la sortie d'Où j'ai laissé mon âme a confirmé cette tendance. J'avais l'impression d'une montée continue... bien sûr, le prix France Télévisions n'a rien gâché (sourire).

La consécration

Le sermon sur la chute de Rome (2012), éditions Actes Sud

  • Ça a commencé par la Une du Monde, en août. C'était un truc de fou, vraiment. Rien ne m'avait préparé à ça, en tout cas. D'autant que ce même mois d'août, je partais à Abu Dhabi, où j'allais enseigner.

  • Chez Actes Sud, ils sentaient qu'ils se passaient un truc. Avant même le Goncourt, ils avaient vendu près de 80.000 exemplaires du Sermon. Je vivais tout cela de loin. Mais je ne ressentais pas vraiment de frustration. Être à l'écart, de toute manière, cela ne me dérange pas. Et puis je ne l'étais pas vraiment, la Grande Librairie et Télérama étaient venus me voir à Abu Dhabi, et je faisais de nombreux allers-retours, pour des rencontres organisées par Actes Sud.
  • La veille de la remise du Goncourt chez Drouant, on m'a dit de revenir à Paris. Tous les finalistes devaient être là. Je suis arrivé le jour J, à 7 heures du matin, après sept heures de vol. Dans une situation pareille, même quand on fait profession, comme moi, d'être détaché de ce genre de choses... Évidemment, on est très fébrile !

  • Après le Goncourt, je n'ai pas fait autant de choses que ce que font habituellement les lauréats. De toute façon je devais repartir à Abu Dabhi où m'attendaient les lycéens. Et c'est tant mieux, parce que sinon, tu passes littéralement à la moulinette, après avoir remporté le Goncourt...

L'après-Goncourt

Le Principe (2015), A son image (2018), Actes Sud

  • Avec Le principe, sur le physicien allemand Werner Heisenberg, inventeur du principe d'incertitude et prix Nobel de physique en 32, il y avait peut-être la volonté de montrer aux gens que je continuerais à écrire ce que je voulais, sans me poser de questions sur le potentiel commercial de mes livres, malgré le Goncourt. Mais il faut faire gaffe à ça. En fait, il faut éviter l'autre écueil, qui est de faire exprès le contraire de ce que l'on a fait avant...
  • Quoi qu'il en soit, j'avais l'idée du Principe bien avant le Goncourt, alors ça tombait bien. Et puis, je n'allais pas publier la suite du Sermon, de toute manière ! J’ai eu une chance, c'est d'être totalement soutenu dans cette démarche par Actes Sud, comme ils l'ont toujours fait.

Retrouvez l'entretien que nous avait accordé Jérôme Ferrari à l'occasion de la sortie d'A son image : 

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