La quinzième édition de Corsica.Doc s’achève ce mercredi soir à Ajaccio avec les remises de prix du jury. Créé en 2007, ce festival international a su trouver son public tout en installant le film documentaire dans le paysage culturel insulaire. Aussi bien en ville que dans le rural.

10 heures au cinéma Ellipse d’Ajaccio. Un groupe d’une trentaine de personnes discute, café à la main, en attendant d’entrer dans la salle obscure aux fauteuils rouges pour voir l'un des quarante film-documentaires proposés lors de cette quinzième édition. De l’autre côté, des étudiants en audiovisuel de l’Université de Corse règlent les caméras de la web télé qui retransmet les débats entre réalisateurs. Derrière le comptoir de l’accueil, Annick Peigné-Giuly est au four et au moulin. "Je suis à vous dans 10 minutes", nous glisse la présidente de l'association Corsica.Doc. Entre un documentaire sur la Pologne et un autre sur le quartier napolitain de Scampia, l'ex-journaliste de Libération originaire de Moca-Croce prend le temps de jeter un coup d’œil dans l’objectif pour raconter l’histoire d’un festival unique en Corse.

France 3 Corse : Ce mercredi soir, Corsica.Doc boucle sa quinzième édition sans discontinuer. Comment a démarré l’aventure en 2007 ? 

Annick Peigné-Giuly : À l’origine, l’idée était de créer un festival mais pas forcément à Ajaccio. Néanmoins, la direction de la culture de l’époque à la Collectivité de Corse souhaitait vraiment qu’un festival de documentaire ait lieu sur la ville. En 15 ans, on a pas mal tourné. En 2007, la première édition avait eu lieu au Palais des Congrès. C’était grandiose. On l’avait intitulée "Nos héroïnes" car les femmes en étaient le thème. En ouverture, on avait passé un film documentaire que Sandrine Bonnaire avait réalié. C’était son premier film, sur sa sœur autiste. Elle était venue et on avait eu une belle édition pour démarrer. D’emblée, il y avait eu du monde.

En Corse, les gens connaissaient très peu le film documentaire au cinéma…

Oui. Il n’y avait pas de festival de documentaires sur l'île. Sur le continent, à cette époque-là, ça faisait quasiment 20 ans qu'il y en avait. Ici, le public ne connaissait pas ce genre de cinéma. Les gens connaissaient le documentaire par la télévision, c’est-à-dire des documentaires proches du magazine ou du grand reportage, mais pas des films artistiques. Dans le documentaire, les réalisateurs font attention à la forme. Ils ne traitent pas leur sujet de manière journalistique mais artistique. C’est différent. Même si ce n‘est pas du journalisme, le documentaire est quand même basé sur le réel, ce qui suscite le débat.

Comment a réagi le public ? 

Au début, ça a été un peu difficile de faire comprendre que c’était ce type de cinéma-là. Après, le festival s’est développé. Petit à petit, il y a eu un bel accueil ; les bénévoles se sont de plus en plus investis dans l’événement. Aujourd’hui, nous sommes une trentaine. On commence à avoir un bon petit public et, du coup, on a eu très vite envie de faire un festival hors les murs et de montrer les films dans les villages. 

Une manière de faire vivre l’événement toute l’année ?

Oui. On a vite compris la nécessité d’exister en dehors du festival. On a donc installé des projections mensuels à Ajaccio. Aujourd’hui, on organise au moins deux séances par mois à l’Ellipse. Par ailleurs, depuis pas mal d’années, Catherine Glémée assure des projections chaque mois à Sollacaro. Très vite, j’ai senti la nécessité que les bénévoles soient formés pour présenter eux-mêmes et aussi programmer leur film par rapport à leur public. Une fois par an, pendant deux jours, on organise donc des ateliers de formation des bénévoles avec un historien du cinéma. 

Parfois, on a plus de monde à Sollacaro qu’à l’Ellipse d’Ajaccio.

Annick Peigné-Giuly

En plus de Sollacaro, quels sont les autres villages ?

À Bilia, nous avons également deux bénévoles qui se relaient. Là, nous avons été sollicités par Paul Ceccaldi à Marginana pour des projections mensuels. La nouvelle directrice de l’Alba de Corte souhaite également qu’on fasse des projections régulières. Elle a en effet décidé de s’ouvrir au cinéma arts et essais et en particulier au film documentaire. On a aussi eu une carte blanche au festival de Lama cet été. C’était exceptionnel. Il est difficile d’installer quelque chose de régulier dans cette région-là, sauf si on a un bénévole sur place.

Dans le rural, l’accueil est-il différent ?

Oui. Parfois, on a plus de monde à Sollacaro qu’à l’Ellipse d’Ajaccio. Dans les villages, la plupart du temps, pour démarrer une programmation, je montre plusieurs petits courts métrages des années 1950. Ce sont dix petits bijoux de 20 minutes qui évoquent le sud de l’Italie. Ça s’appelle "Il  mondo perduto". On y rend hommage au pêcheur d’espadon, au berger de Sargaigne, au habitants d'un village perdu. D’un seul coup, le public comprend que l’on montre le réel de manière poétique et forte. Quand on l’a projeté à Arghjusta, les gens se demandaient pourquoi il n’y avait pas eu un cinéaste corse dans les années 1950 qui avait fait la même chose. Même si ce n’était pas la Corse, ils disaient "chez nous, c’est pareil". Les gens ont besoin d’images et d’une image qui leur rend hommage.

En 15 ans, quelle est la plus grosse difficulté rencontrée ?

C’est sans doute l’organisation car nous sommes tous bénévoles. Mais il y a de l’enthousiasme et, au bout de 15 ans, les choses sont plus faciles. Ce qui est aussi difficile, c’est la communication. Nous sommes sur une île et c’est de fait assez fermé. La difficulté, c’est sans doute aussi de rompre une espèce de fonctionnement qui est très en interne. Curieusement, si on fait quelque chose d’international, ce qui est notre cas, ça mobilise beaucoup moins les foules que si on présente un film corse ou avec une personne corse qui est dans le projet, ça fait venir des gens. Je pense que c’est le phénomène insulaire, pas seulement en Corse, où il y a un petit repli sur soi sur lequel on bute parfois. Cela fait partie de notre mission - sans vouloir employer des grands mots - que de dire "ouvrez-vous, regardez comment d’autres pays et d’autres réalisateurs travaillent leur cinéma. C’est très important et c’est vraiment quelque chose auquel on tient beaucoup".

On m’avait dit que pour bien installer un festival, il fallait compter quinze ans.

Annick Peigné-Giuly

S'il y avait une image à garder de toutes ces éditions ?

(Elle réfléchit). Pour la toute première, au Palais des Congrès en 2007, le thème était les femmes. J’avais contacté un grand photographe et cinéaste de documentaire que je connaissais, Chris Marker (décédé en 2012, ndlr). Il avait fait de très belles photos de femmes en Corse dans les années 1970. Elles étaient splendides, en noir et blanc, et étaient parues dans le livre de Marie Susini "La renfermée, la Corse". Je lui avais donc demandé l’autorisation d’en sélectionner quelques-unes. Il a travaillé pendant des jours pour les numériser afin que nous les utilisions librement. Au Palais des Congrès, pour cette première, nous nous sentions minuscules. On avait donc agrandi les photos de ces femmes corses et on avait garni le palais avec. Pour nous, c’était très important de voir comment des cinéastes se sont tout de suite investis pour nous aider. André Labarthe est aussi venu plusieurs fois. C’étaient des soutiens extrêmement importants pour nous. 

Lorsque vous jetez un coup d’oeil dans le rétro de Corsica.Doc, à quoi pensez-vous ?

Au début, on ne savait pas trop où on allait. On m’avait dit que pour bien installer un festival, il fallait compter quinze ans. Eh bien voilà, on y est. Et je pense que de ce point de vue là, il est bien installé. C'est formidable. Mais bon, rien n’est gagné. Il faut continuer. C’est un bonheur de savoir qu’il y a quelque chose de linéaire qui se produit, aussi bien dans l’attachement des membres de l’association que du public. 

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