Drogue en Corse : "L’héroïne, c’est une drogue qui te pousse à voler ta grand-mère et trahir tes amis d’enfance"

C'est un fléau chaque année plus présent sur l'île. Mais dont on parle peu. Nous vous proposons toute cette semaine une série d'enquêtes, à la rencontre de ceux qui luttent contre ce phénomène, de ceux qui consomment, mais aussi de ceux qui en vivent. 3e épisode : témoignage d’un ancien toxicomane.

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Sébastien* a 36 ans, il est né et a grandi dans un village de Corse-du-Sud. Arrivé à Ajaccio à l’époque du lycée, il a commencé à consommer de la cocaïne et de l’extasy le week-end en sortie.

De ses 18 à ses 29 ans, il a pris de l’héroïne. Sevré depuis sept ans, il a accepté de partager son expérience. Pour assurer son anonymat, sa voix a été modifiée et son visage dissimulé.

Partie 1 : Les nuits ajacciennes des années 2000

"Les premières fois que j’ai commencé à consommer des drogues dures… ça a commencé par la cocaïne, l’extasy, je devais avoir dans les 17 ans… c’était les années 2000. Après en 2002, 2003, 2005, dans ces eaux-là, on commençait à consommer en discothèque entre copains, on avait 16,17, 18 ans. C’était assez répandu : on sortait, on prenait des extas, on prenait de la cocaïne…

C’était…. Comment est-ce qu’on a commencé ? C’est toujours la même histoire : on se retrouve sur le parking d’une discothèque, qu’est-ce qu’on fait ? On fume un bédo, on tape un trait…. Tu as déjà essayé ? Non, beh pourquoi pas ? C’est le bon moment…

  • "T’as déjà essayé la stuff ?"

Et voilà… Les premières consommations de toxiques durs, de drogues dures c’était ça, c’était la cocaïne. Et après ça bascule assez rapidement. Il y a de grosses ouvertures pour basculer sur des trucs encore plus dangereux quoi. Moi typiquement après… les fins de soirées, les copains qui me disent "ouais, mais t’as déjà essayé la stuff ?" Alors on lui donnait des petits noms. Moi je savais pas trop ce que je prenais au départ. Et voilà. Après tu finis par comprendre, on t’explique que c’est de l’héroïne, qu’il faut que tu fasses attention, que si tu en prends pas régulièrement tu seras pas forcément addict, que tout ça c’est des conneries.

  • "Ça te plait, t’aime te défoncer la gueule"

Ouais effectivement, tu as des effets de défonce qui sont assez grisants, t’as envie de recommencer le week-end, t’as envie de recommencer de plus en plus régulièrement… parce que ça te plait et que t’aime te défoncer la gueule je suppose. 

C’était plus  dans un contexte festif et je me suis pas vraiment posé la question… parce que la première fois que j’en ai pris, je m’en rappelle bien même si ça remonte à il y a très longtemps. C’était un ami à moi qui me l’a proposée et il m’a jamais dit que c’était de l’héroïne en fait. Il a appelé ça de la stuff. Et en fait on était en fin de soirée après une nuit en discothèque, on avait consommé pas mal d’excitants, de la coke ou des extas. Du coup, t’as du mal à redescendre on va dire et puis là il te dit : "mais tu vas voir, avec ça tu vas te sentir mieux, tu vas redescendre bien, tu vas être défoncé, tu vas comprendre et tout". Donc tu vois, tu fais pas trop attention.

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  • "La première fois, tu te poses pas trop de questions"

La première fois tu te dis ça… Tu sais en plus tu es dans un état déjà bien éméché, tu te poses  pas trop de questions non plus. J’étais dans un contexte, moi où les drogues on en parlait pas énormément ni à la maison, ni à la télé, ni à l’école.  Tu vois, moi j’étais assez libre, j’ai pas eu une éducation très très stricte… Voilà, mes parents ils m’ont toujours laissé faire plus ou moins ce que je voulais. J’arrivais dans une époque où je devenais adulte quoi. J’étais plus ado, je faisais ce que je voulais.

  • "Au départ, on est une bande de couillons, on aime bien traîner dehors"

Je suis lycéen, je vis plus chez mes parents, je dois avoir 17, 18 ans. Fin de lycée, voilà. Je commence à sortir en discothèque le week-end, je fréquente pas forcément des gens…. Je sais qu’au départ mes potes… voilà, on est une bande de couillons, on aime bien traîner dehors, on aime bien fumer des bédos… Ouais, c’est un contexte comme ça quoi, je dirais. J’ai pas eu une enfance maltraitée, j’ai pas eu de parcours… enfin voilà, j’ai eu un parcours assez classique d’un jeune je dirais lambda quoi. J’avais un parcours scolaire assez correct. Même si après, j’ai commencé à décrocher. Forcément, dès que tu commences à prendre des toxiques tous les week-ends quand tu sors.

  • "C’est hyper courant"

Voilà, après tu rentres dans un monde où ça devient… comment dire ? Hyper courant quoi. C’est la base quoi… tu sors le week-end, tu prends un peu de coke. Tu prends un exta, ou deux, ou trois. Tu vas aller dépenser 200 euros en boîte, tu vas te torcher la gueule. Et, en fait, c’était, je pense, à mon époque, déjà classique. Tous mes potes du lycée, on savait qu’on allait se retrouver samedi à la discothèque, qu’on allait se murger, qu’on allait se retrouver tous aux mêmes endroits. Voilà, c’était ça le contexte.

  • "Le clan des toxs"

Clairement, il y a plein de situations. Il y a eu pleins de moments où je me suis senti plus valorisé par le fait que moi aussi je faisais partie du « clan des toxicos », je dirais, que parce que j’étais un tel ou un tel. Tu rentres dans un clan en fait. Le clan des toxs. Et, après, il y a plein de moments dans ta vie où les gens ils te reconnaissent par ça ou pour ça. Ouais, non, tu fais partie du… à aucun moment, comment t’expliquer ? Moi, à aucun moment je me suis senti en dehors, marginalisé, je dirais. J’étais pas un marginal. Je faisais partie d’un grand groupe de jeunes qui était comme moi.

  • "Le week-end soit tu vas à la chasse, soit tu vas en boîte"

Après, on vient tous d’un endroit… Faut avouer que la vie dans notre île c’est pas non plus… voilà, on n’a pas, à cette époque-là surtout, il y a pas énormément d’activités, il y avait pas grand-chose à faire. Soit tu allais à la chasse et à la pêche le week-end, soit tu allais en boîte quoi. Et, après, tu as ce milieu ajaccien, très m’as-tu vu, les belles fringues, les belles chaussures. Et puis t’avais.. ouais, les toxs. Mais pas les toxs dans le mauvais sens du terme. Les gens qui faisaient la teuf le week-end. Il y avait un peu tout ce groupe de jeunes qui se retrouvaient tout le temps, tous les week-ends et qui… ouais, non, à aucun moment je me sens en marge ou quoi que ce soit. Je me sens dans le moove quoi. Je suis mon parcours et puis petit à petit, ça dérive. Et la désociabilisation, elle vient plus tard. Elle vient avec l’héroïne en fait.

  • "Il y a des filles qui viennent te demander de la coke pour des échanges sexuels"

C’est toujours pareil… je sais pas si je peux dire ça ou pas. Mais nous, on prenait… Après, au bout d’un moment, quand tu commences à faire partie du circuit, beh qu’est-ce que tu fais ? Tu prends une grande quantité, ou une quantité moyenne je dirais et tu en revends une partie pour consommer gratuitement. Et du coup, tu as des filles qui viennent te réclamer… Des filles de toutes les castes, de toutes les classes sociales, donc ça va de la fille hyper …. Bien vue. Les filles de bonne famille qui viennent te demander si tu as quelque chose à leur vendre ou si tu… qui te font des bisous pour ça ou plus si affinités. C’est très vicieux, c’est très malsain tout ça… Il y a des filles qui viennent te demander de la coke pour des échanges sexuels, il y en qui viennent t’en demander pour des sous. Et tu vois de tout : des filles, des mecs.

  • "Quand tu as 20 ans, c’est hyper valorisant"

C’est grisant. Quand tu as 20 ans et que tu connais pas grand-chose de la vie oui, carrément, c’est hyper valorisant. Il y a des gens qui se mettraient pas à genoux, j’exagère, mais presque….pour avoir quelque chose, pour toi. Je pense que cette forme de pouvoir elle doit quand même exercer chez nous un certain plaisir.

  • "On était dans la hype"

Après c’est vieux pour moi, c’est un peu difficile de me rappeler ce que je ressentais dans ces époques-là. Je te dirais que j’ai traversé un peu tout ça. Comme je t’ai dit, nous on était dans la hype en fait. On était une bande potes, on sortait, on avait du succès avec les filles, on avait des copains, on rigolait, on vendait…. C’était…. Je pense qu’on a fait comme plein d’autres on fait, en fait. C’est le sentiment que j’ai à la fin, c’est que c’était hyper banal ce qu’on faisait.  

Partie 2 : La descente

Evidemment, tu commences à te désociabiliser. Tu perds plein d’amis qui tolèrent pas ça dans leur entourage. Tu commences à avoir beaucoup de problèmes en famille. Forcément, tu rentres chez toi, t’es dévasté par la drogue, les effets secondaires, les lendemains… les mauvaises redescentes ou les effets de manque.

Donc tu coupes le contact, parce que tu as pas envie que tes parents te voient comme ça. Après, c’est la pente classique, fatale, tu te désociabilises petit à petit. Et après beh c’est compliqué parce que tu rentres dans un cercle très vicieux. En général quand tu commences à prendre conscience de tout ça, c’est trop tard. Tu es déjà addict, accroché, tu ressens déjà les effets du manque physique par les prises répétées de drogue. Et, après, c’est la pente fatale.

  • "Il y a les drogues et après il y a l’héroïne"

L’héroïne en fait, tu pénètres dans le monde de la drogue… En fait, tout ce qui pour moi… Si tu veux, il y a les drogues et après il y a l’héroïne. Après, j’ai pas consommé de drogue de type LSD. J’en ai jamais consommé parce que j’avais peur de ça. Alors, je consommais de l’héroïne et ça peut paraître fou de dire ça…. mais j’avais peur du LSD, en me disant "ouais c’est un truc de fou". Et je prenais de l’héroïne quotidiennement, j’étais addict à mort quoi, et j’ai jamais voulu consommer du LSD.  

  • "Un fléau"

Mais pour moi je la mets totalement à part parce que pour moi, c’est la seule drogue où j’ai compris qu’en fait on parle d’addiction mais l’addiction à l’héroïne, c’est vraiment un fléau. Il y a des effets physiques, des effets psychiques, c’est la seule drogue qui te fait ça. Vraiment moi en tout cas dans mon expérience, ça te rend vraiment malade. Ça te pousse à faire des choses que d’autres drogues ne t’auraient jamais poussé à faire. Quand tu as besoin de prendre ta drogue pour aller travailler et que tu as besoin de travailler pour aller prendre ta drogue, c’est fou. Parce que tu te lèves le matin, tu aimerais être normal. Tu te dis "bon pour être normal, faut que j’aille travailler. Le problème c’est que je suis addict et pour sortir du lit et aller bosser, il faut que je me drogue. Sinon, je sors pas du lit, je suis malade comme un chien."

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  • "La spirale de la drogue"

Et donc, tu es pris dans cette spirale-là, tu es pris dans la spirale de la drogue. Parce qu’après tu as tous les mauvais côtés. Il faut aller au quartier pour toucher, ou il faut aller voir ton dealer. T’as les crapuleries de tes proches parce qu’après, évidemment, tu ne fréquentes plus que des toxicomanes. Quand tu as basculé dans l’héroïne, c’est la désociabilisation totale. C’est impossible à cacher à quelqu’un avec qui tu vivrais au quotidien, ou très dur en tout cas je pense. Il faudrait vraiment avoir affaire à quelqu’un qui est naïf, qui connait rien de la drogue. C’est un truc de fou l’argent que tu dépenses…

Moi je travaillais, j’avais de bonnes places, je travaillais 5/6 jours par semaine dans certaines boîtes, j’étais très bien payé. Et je suis parti la queue entre les jambes, j’ai demandé à ma mère de payer cinq mois de retard de loyer pour moi. Et pourtant je gagnais bien ma vie et je travaillais. J’ose même pas imaginer les jeunes qui bossent pas.

  • "Au point de te rendre fou"

C’est une drogue qui va te pousser à aller voler ta grand-mère, lui prendre des sous dans son porte-monnaie. Ça va te pousser à faire des trucs de fou. À faire des crapuleries à tes meilleurs amis, à tes amis d’enfance. Tu pourrais les balancer pour avoir de la drogue… C’est vraiment… j’ai vu que l’héroïne qui te poussait à faire des choses comme ça. La cocaïne ou l’extasy, elle m’a jamais créé de manque physique. Au point de te rendre fou, tu vois. Des douleurs, des fièvres, des diarrhées, des nausées. C’est l’enfer.  

  • "Ouais bon, c’est que ça quoi, c’est tout"

Au début on te dit "ouais si t’en prends une fois comme ça, ça va". Mais c’est vrai, c’est la vérité. Enfin, je pense. Je suis pas un spécialiste mais je pense que des prises occasionnelles type une fois tous les quinze jours, je pense pas que ça créera une addiction physique. Mais c’est le fait qu’on prenne la substance quotidiennement, ça va couper dans ton organisme,  d’après ce que j’ai compris, les productions de sérotonine, d’endorphine naturelles de corps.

Quand tu arrêtes d’en prendre, ton organisme doit recommencer à produire toutes ces hormones. Et pendant ce temps-là, tu es déprimé, tu es énervé, tu as des douleurs. Je ne suis pas médecin, je ne suis pas spécialiste, mais ce qu’on m’en a expliqué, c’est ça. Du coup, les prises occasionnelles au départ sont pas… tu te dis "ouais bon, c’est que ça quoi, c’est tout. Bon, je suis défoncé, j’ai été défoncé toute la nuit, j’ai passé une bonne soirée plus ou moins". Mais le lendemain, tu te réveilles pas comme tu te réveillerais un an après en consommant de la drogue tous les jours.

  • "C’est pas pour rien qu’elle attire autant de gens"

C’est une expérience quand même, c’est pas pour rien qu’elle attire autant de gens. La défonce au départ elle te met dans un état qui est vraiment particulier. Tu retrouves ça qu’avec cette drogue-là. Donc tu te dis "finalement, c’était pas si terrible, j’ai pas fait de bad trip, j’ai pas sauté par la fenêtre, j’ai pas vu d’éléphant rose. Bon, ok, j’en reprendrai une autre fois. Puis une autre fois." Et puis le problème c’est que comme je t’explique, c’est que tu es tout le temps dans cette même sphère de gens. Quand tu commences à rentrer dans cette sphère-là, tu en as toujours à côté. Donc tu te dis "bon, ok, pourquoi pas ?"

  • "T’es à Ajaccio un lundi soir, c’est la mort"

Un pote en a, il t’en fait un petit peu. Après, tu vas avoir ce pote. On va tous l’avoir ou on l’a tous eu, qui va te dire "ouais, tu sais quoi ?". Lui, il est addict jusqu’à l’os, c’est lui qui t’as fait essayer, c’est lui qui t’a fait en prendre plusieurs fois… il va te dire "si tu veux on se met 50 euros ce soir, demain on bosse pas, on se défonce la gueule on joue à la playstation tu vois". Il va t’entraîner là-dedans. C’est pas de sa faute, lui il fait ce qu’il peut pour essayer d’en avoir. Toi, tu pourrais très bien dire non mais bon, pourquoi pas, après tout ? T’as rien de spécial à faire demain, t’as envie de te défoncer. T’es à Ajaccio un lundi soir, c’est la mort, il se passe absolument rien. Donc tu commences à prendre de la drogue en semaine. Après, c’est la porte ouverte hein : Pourquoi pas ? pourquoi pas lundi, pourquoi pas mardi, pourquoi pas jeudi ? Et là, là ça commence à devenir grave. Là, c’est la pente.

  • "J’avais pas conscience de ce qui était en train de m’arriver"

Moi j’ai mis très longtemps à mesurer l’impact que ça avait sur ma vie. J’ai consommé entre mes 17 ans et mes 29 ans. J’ai eu des périodes où je consommais moins, des périodes où je consommais plus. Evidemment, sur la fin, je consommais quotidiennement pendant des années. Mais au départ tu t’en rends pas forcément compte. Tu es jeune, tu prends pas conscience de toutes ces choses. Moi pour ma part, j’étais dans une phase où j’étais un peu livré à moi-même, j’étais seul, je bossais, je payais mon loyer plus ou moins j’arrivais à m’en sortir. Voilà, je me laissais porter par la vie plus ou moins, j’avais pas trop conscience de ce qui était en train de m’arriver.

  •  "Des copains qui font une overdose, qui restent paralysés"

Disons qu’après c’est quand les problèmes arrivent, quand tu commences à fréquenter des gens un peu moins réglos. Que là tu te rends compte que t’as des mecs autour de toi qui vont t’emmener en galère. Que tu vas te faire une garde-à-vue, tu vas te trouver embarqué dans un faux plan parce que tu vas avoir de la drogue plus ou moins gratuitement. Tu vas faire un coup tu vas te retrouver en galère avec les mauvaises personnes. Là, tu commences à prendre conscience. Mais en général, ça arrive bien plus tard. Toutes les premières années de consommation c’est l’insouciance totale. Nous on consommait de la drogue, on se rendait pas compte de là où on partait. Après, quand tu commences à avoir des copains qui se font une overdose, qui restent à moitié paralysés, ce genre de délires, là tu commences à y réfléchir un peu plus.

  • "À Ajaccio, on savait qui se droguait, qui se droguait pas"

Mais le problème c’est que tu es déjà beaucoup trop intoxiqué pour réagir. On est vraiment pas protégés c’est vraiment un pan de la vie dans notre île la drogue…. C’est un tabou sans l’être, je sais pas comment t’expliquer. Nous on était à Ajaccio, on savait qui se droguait, qui se droguait pas. Et à côté de ça, on n’a jamais eu de discussions avec aucune personne sensée de la drogue. Moi dans mon entourage, mon père, ma mère, les amis de mes parents, il y a jamais personne qui m’a dit : "La drogue c’est ça, il faut vraiment que tu te méfies". Moi mon père il m’a dit "Tu veux fumer des joints, fume des joints tu verras par toi-même". Après, j’ai fait mon cheminement, mais j’avais pas conscience.  

Partie 3 : Requiem for a Dream  

Moi, j’ai appris ce que c’était que l’héroïne en regardant requiem for a Dream. Moi on m’a dit "ah tu consommes de l’héro, regarde ce film. Ça, c’est l’héro". Je veux dire,  tu prends ça par-dessus la jambe. Et, après, deux ans après tu te dis "ah ouais, en fait c’est ça l’héroine. C’est ça la vie, c’est ça la vie".

  • "Il faut que je me drogue ou je vais crever"

Là je me retrouve, j’ai plus de travail, je sais pas comment payer mon loyer et il faut que je me drogue, absolument ou je vais crever. Donc qu’est-ce que fais ? Qu’est-ce que tu fais, tu vas gratter des sous à ta grand-mère, par exemple. Tu dis "ah Minà, tu peux me donner 100 euros", parce que c’est extrêmement cher la drogue chez nous. Et, donc, ta grand-mère elle va donner 100 euros et ça va te durer deux jours. Après, comment tu vas faire ? Tu vas aller voir un autre pote, tu vas lui dire "allez, avance moi un peu de sous, je te les rends la semaine prochaine. Mais comment tu vas me les rendre, tu travailles pas ? Mais t’inquiète".

  • "J’ai jamais été amené à faire des braquos, je suis jamais rentré chez des gens"

Et après, beh tu jongles en fait. Tu jongles avec les sous des gens autour de toi. Et après tu vas être amené, tu vas essayer de rentrer dans un coup… Tu vas te dire "non attends je peux pas faire comme ça tout le temps, je dois des sous ici, je dois des sous là-bas. Je vais prendre un peu je vais en vendre un peu à droite à gauche, de toute façon j’ai toujours deux trois potes qui en veulent". Et là, tu pars dans un cycle infernal, vraiment. Moi j’ai jamais été amené à faire des braquos, je suis jamais rentré chez des gens… Mais, bon, je me suis retrouvé à aller piquer des sous dans le portefeuille de ma grand-mère ou de ma mère. Tu vois, ça c’est des trucs dont j’ai honte…. Mais bon avec les années tu finis par le digérer, tu demandes pardon aux gens à qui tu peux demander pardon si ils sont encore là. Et tu te pardonnes à toi-même, parce que c’est la seule façon de guérir de te pardonner tout ça. Parce que la culpabilité elle te fait encore plus de mal.  

  • "Tu es entouré de crapules"

Mon premier électrochoc… En fait, il y avait plein de matins où je me levais je me regardais dans le miroir et je me disais "qu’est ce qui m’arrive". Je me reconnaissais pas, je me sentais comme une pauvre merde à faire tout ça justement. Et en plus de ça, d’être entouré que de crapules qui veulent seulement profiter de toi. Sur le moment, tu es entouré d’aucune bonne personne. Tu te retrouves seul comme une pauvre merde. Mais le problème c’est que tu es dedans… Tu peux pas, il y a rien. Tu sais pas où aller, vers qui te tourner.

  • "J’ai demandé à un ami d’appeler le SAMU, il est parti en fait"

Et après un jour, j’ai fait une petite overdose on va dire. J’ai appelé le SAMU parce que je me sentais vraiment pas bien. D’ailleurs à ce moment-là, j’ai demandé à un ami d’appeler le SAMU, il est parti en fait. Il m’a dit « non, non, démerde-toi ». Il est rentré en fait il avait peur d’être en galère, d’être vu sur place avec moi. D’éventuellement avoir affaire à la police. En fait je me suis retrouvé à faire une OD et seul. A appeler moi-même le Samu.

  • "Vous vous doutez bien que c’est toxique"

Après, personne m’a forcé la main. On m’a soigné très vite, très simplement. J’ai été emmené à l’hôpital, le lendemain je me suis réveillé avec une sale gueule de bois et une infirmière est venue me voir, m’a demandé si ça allait. J’ai demandé au médecin ce qui m’était arrivé il m’a dit "vous vous doutez bien que c’est toxique". Et là, à partir de là, j’ai commencé à rentrer dans le milieu médical on va dire. On m’a envoyé vers un addictologue, un médecin qui m’a prescrit dans un premier temps du subutex, un traitement de substitution. Ça a été très dur, très dur… je vomissais… En plus, le subutex, les toxicos ils finissent par l’écraser et le sniffer. En fait, on reste dans le même processus que la défonce. Et au final ça me rendait malade et je restais dans un cycle de défonce donc j’ai demandé à changer de traitement et de médecin.

  • "Méthadone"

Après je suis allé au centre du Loretto et j’allais voir un autre médecin et je recevais des prescriptions de méthadone. Mais, j’avais un problème avec le temps, c’est que j’avais vraiment envie de m’en sortir de moi-même. Du coup, je sentais que j’avais simplement remplacé une addiction par une autre. Certes moins malsaine parce qu’elle faisait moins de mal à mon porte-monnaie et qu’elle me permettait quand même de travailler.

  • "Sevrage à l’ancienne"

Mais j’étais quand même dans ce cycle de consommer quelque chose pour être en état de vivre quand même. Je suis restée dans cette phase là pendant à peu près un an et demi, et ensuite j’ai décidé de complètement me sevrer et de la médication et des drogues. Et partir de là, sevrage à l’ancienne on va appeler ça comme ça. Enfermé à la maison, pendant un mois, avec toute sorte de médications pour essayer de survivre quoi. Après, c’est l’enfer là c’est une phase vraiment infernale.   Tu peux pas te sevrer de l’héroïne ou de la méthadone parce que c’est un sevrage, en travaillant. En tout cas pas comme je l’ai fait. Le problème que j’avais moi c’est que je voulais arrêter et les médecins me disaient "il faut pas arrêter maintenant il faut que vous fassiez une diminution progressive de votre traitement de méthadone, parce que c’est violent d’arrêter comme ça et ça pousse souvent les gens à replonger".

  • "Il suffit de passer un coup de fil et tu te fais une ligne et ça va mieux"

Effectivement, je comprends…. C’est vrai que quand tu te retrouves en manque depuis trois jours, que tu dors pas, que tu as des impatiences dans les jambes, des douleurs dans les reins, des migraines, des diarrhées, des nausées, tu as pas faim, tu as froid…. Il suffit de passer un coup de fil et tu te fais une ligne et ça va mieux . Mais bon, c’est pas ça que je voulais. Moi j’étais vraiment déterminé à m’en sortir, après toutes ces années et voilà c’est ce que j’ai fait.

  • "J’ai de la chance"

Heureusement, j’ai de la chance. J’avais quelqu’un sur qui je pouvais compter avec moi, qui était clean, une petite amie qui m’a beaucoup aidé à cette époque-là. Puis j’ai pu en parler aussi à mes proches. Ça a été compliqué aussi cette phase : il fallait que j’en parle avec des gens que je connaissais depuis toujours, à ma famille quoi, pour qu’ils puissent comprendre ce qui allait m’arriver. Ça parait banal comme ça mais débarquer comme ça et dire "salut, je suis un ancien… je consomme de l’héroïne depuis dix ans, j’ai décidé de me sevrer, je vais être malade pendant un mois. Il faut que vous me gardiez à la maison, que vous vous occupiez de moi. Maman, papa, enfin papa non mais maman…"

  • "Tout le monde est tombé des nues au village"

Les médecins, parce que du coup j’ai changé de médecin. Je suis retourné dans mon village pour m’isoler, j’ai demandé à mon médecin de famille de m’aider. Donc lui aussi, c’est un médecin de famille, il t’a vu naître, tu lui raconte ça, il tombe des nues. Tout le monde est tombé des nues. Personne. Je pense même que certains ils doivent encore croire que c’est pas vrai… Mais non, personne n’a vraiment compris.  

Partie 4 : Renaissance  

Je pense que c’est un sujet où les gens ont pas conscience de la facilité qu’on peut avoir à se procurer ce genre de substances dans notre île. C’est ce que je te dis : c’est à la fois hyper tabou et à la fois hyper répandu. Alors je te parle de ça, c’était il y a quelques années je sais pas trop comment ça se passe et puis je suis totalement coupé du circuit moi. J’ai plus aucun contact avec ce milieu-là. Mais à mon époque c’était extrêmement facile de trouver de l’héroïne.

  • "Un choc pour tout le monde"

Après c’est comme tout : il y a des périodes où il y en a pas, pour x ou y raisons, mais globalement, si tu en veux, il y en a, il y a pas de problèmes. C’était vraiment un choc pour tout le monde dans mon entourage. Après, j’ai eu de la chance d’être bien entouré. Puis certainement un peu de volonté. Beaucoup même… de détermination. Il en faut, hein.

  • "J’en suis plus à la phase de combat intérieur"

Aujourd’hui ça va bientôt faire 7 ans c’était noël avant mon anniversaire. J’en suis plus à la phase de combat intérieur, j’ai accepté que ça faisait partie de moi. Il y a plein de choses qui me font me sentir comme une merde. Toutes ces choses que tu peux faire, tout le mal que tu peux faire à ton entourage…. C’est quelque chose d’assez difficile à digérer… après il faut continuer de marcher… la vie elle continue.

  • "Je pense qu’on doit pas être beaucoup à avoir réussi à s’en sortir"

Ça fait de moi ce que je suis… bon ou mauvais, ça finit par être une expérience. Puis quand tu en ressors comme ça.. quelque part, tu te sens un peu meilleur. Tu te dis « certes, j’ai été ce que j’ai été ; mais j’ai dépassé tout ça et aujourd’hui je suis mieux, je me sens mieux. Ça m’a fait vivre des expériences particulières on dira ».   Je pense qu’on doit pas être beaucoup à avoir réussi à s’en sortir. C’est très compliqué, vraiment. Moi je suis dans un contexte où j’ai eu de la chance d’être bien entouré mais je pense que des gens qui ont moins d’entourage ça doit être beaucoup plus compliqué, beaucoup plus compliqué…

  • "Paradis illusoire"

C’est compliqué, parce que c’est des phrases banales. Tu sais, la phrase du vieux con : "Ouais, faites pas ces conneries, le jeu n’en vaut pas la chandelle". Mais c’est la vérité en fait : le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle. C’est un paradis illusoire et qui se transforme très vite en enfer pas du tout illusoire qui est bel et bien réel. Ça devient l’enfer cette drogue. Je déconseille fortement… si je pouvais faire porter ce message, je déconseille vraiment à tout le monde de consommer cette drogue. Celle-là et d’autres.

  • "Vous allez faire du mal aux gens qui vous aimes, aux gens que vous aimez"

Malheureusement, je sais que ça n’a aucun impact… pour avoir été là à ce moment-là, ça a pas d’impact sur les jeunes de cette tranche d’âge-là. Je pense qu’on n’a pas encore la présence d’esprit, on se rend pas compte de ce que ça peut représenter. Au cours d’une vie de ce que ça peut faire, ça peut vraiment vous faire basculer du mauvais côté. C’est la désociabilisation totale et ça c’est la pire chose qui puisse arriver à un jeune de 18 ans. Vous allez faire du mal aux gens qui vous aiment, aux gens que vous aimez. Vous allez leur faire du mal, vous allez vous faire du mal à vous. C’est vraiment pas ce qu’il faut, c’est vraiment une drogue très malsaine.  

 

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