Ancienneté dans l'Éducation nationale : des instituteurs, dont des Corses, saisissent le Conseil d'État

Le 11 décembre prochain, le Conseil d'État examinera la requête du Collectif des oubliés de l'Éducation nationale. Il s'agit d'un groupement composé d'instituteurs qui s'estiment lésés dans la prise en compte de leur ancienneté. Parmi les 210 requérants, 10 sont Corses.

Ils se disent "victimes d’une injustice du ministère de l’Éducation nationale". Plusieurs anciens instituteurs ont créé, en 2019, le Collectif des oubliés de l’Éducation nationale. Ces derniers s'estiment lésés dans la prise en compte de leur ancienneté.

Pour le collectif, il s'agit de "la dernière chance pour la justice française de réparer les torts faits aux instituteurs et de leur rendre leur dignité."

Administratrice de ce groupement, Marie-Josée Giovanni compte parmi les 210 anciens instituteurs à avoir intenté, il y a trois ans, une action en justice contre le ministère de l’Éducation nationale.

Aujourd’hui directrice d’école à Olmeto, elle fait partie de la "dernière génération des instituteurs" et se bat contre cette injustice. Un combat qui prendra bientôt une autre tournure : le 11 décembre prochain, le Conseil d’État siégera en chambre réunie, afin d’examiner leur requête.

D'instituteurs à professeurs des écoles

Pour comprendre cette requête, il faut remonter à 1991 et à la réforme de Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation Nationale. À ce moment-là, les écoles normales sont fermées et on assiste à l’ouverture des IUFM (institut universitaire de formation des maîtres), où sont donc désormais formés les professeurs des écoles.

Cette même année 1991, le corps des professeurs des écoles (catégorie A) voit également le jour. Cependant, 249 000 instituteurs en poste (puis d’autres par la suite) seront exclus de ce corps pour des raisons purement budgétaires. Les instituteurs sont répertoriés dans la catégories B, alors que les professeurs des écoles sont classés en catégorie A. "Ils ont alors produit une rupture d’égalité salariale", s’insurge Marie-Josée Giovanni.

Se pose alors une question : quelles différences entre un instituteur et professeur des écoles ? Voilà le fond du problème, qui irrite la directrice : 

"Nous faisons le même métier, dans les mêmes écoles, avec les mêmes responsabilités, les mêmes heures à effectuer, les mêmes mutations… Il n'y a aucune différence, à l’exception qu’ils touchent 8 500 euros par an de plus que nous. Nous sommes moins bien payés que des personnes qui ont moins d’ancienneté que nous et que l’on a formés", insiste Marie-Josée Giovanni. Avant de souligner : "selon les lois européennes, il s’agit d’une violation du principe d’égalité salariale. Même travail, même salaire !"

"Je me retrouve à l’échelon 10, comme des personnes qui ont 15 ans d’anciennement que moi…"

Pour que ces anciens instituteurs puissent devenir professeurs des écoles, deux possibilités s’offraient à eux. Soit demander leur intégration, soit passer un concours.

"Mais il y avait peu de postes de professeurs des écoles. Quelques-uns étaient intégrés, d’autres passaient le concours, et les autres devaient attendre !"

Marie-Josée Giovanni a passé le concours interne au bout de 31 ans. Ce qui équivaut à 20 ans de professeur des écoles. "Je me retrouve à l’échelon 10, comme des personnes qui ont 15 ans d’ancienneté par rapport à moi…", se désole la directrice.

Mais cela ne s’arrête pas là. En 2018, Jean-Michel Blanquer met en place une réforme qui met à l’écart davantage les anciens instituteurs. Aujourd’hui, bien qu’entrés dans le corps des professeurs des écoles pour la plupart, ils se sentent "un peu plus exclus des promotions à chaque nouvelle réglementation". Ces "anciens instituteurs", qui approchent aujourd’hui de la retraite, apprennent que leur ancienneté de service comme instituteurs ne sera pas prise en compte pour le passage à la "hors classe" (classification permettant de changer de tranche de salaire).

"Ce même professeur des écoles, ancien Instituteur, ne peut accéder à la "hors classe", en raison d’une ancienneté moindre dans le corps de professeur des écoles. Ses années effectuées en tant qu’instituteur n’étant plus comptabilisées pour obtenir des promotions, comme s'ils n’avaient pas exercé le même métier que leurs collègues professeurs des écoles."

"Sacrifiés à la raison d’Etat"

À l’orée de la retraite, ces enseignants "sacrifiés à la raison d’État", dixit la directrice, ont décidé de ne plus subir. Ils réclament une indemnisation pour leurs salaires amputés :

"J’ai été sous-payée pendant 31 ans", insiste Marie-Josée Giovanni. "On demande une indemnisation aussi pour le préjudice moral subi. On a vu arriver des professeurs des écoles moins formés que nous, mieux payés, c’est très dur moralement. C’est nous qui leur apprenions le métier. Et enfin, on demande une reconstitution de carrière. Moi, si on me reconstitue ma carrière, j’aurai 1 000 euros de plus. Maintenant, j’ai à peine plus que le minimum vieillesse."

Conscients des difficultés à obtenir satisfaction de la justice administrative française, ils préparent d’ailleurs deux recours : l’un devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (pour non-respect de la réglementation Européenne), l’autre devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (pour violation du droit de l’égalité salariale).

"L’intérêt principal du 11 décembre, c’est le fait que nous allons avoir une motivation, quelle qu’elle soit, pour nous appuyer durant ces recours. L’audience du conseil d’Etat du 11 décembre prochain est donc la dernière chance pour la Justice Française de réparer les torts faits aux Instituteurs et de leur rendre leur dignité."

Un groupement de recours individuels

Au total, 210 anciens instituteurs se sont lancés dans cette "aventure". Parmi eux, dix sont Corses. "C'est énorme par rapport au nombre de requérants, sachant que nous sommes une petite académie. Nous n’avons pas énormément d’espoir car on sait que la justice française aurait du mal à nous donner raison. Car cela aurait un coût financier énorme, et cela pourrait s'appliquer à d'autres administrations qui ont le même problème, comme les infirmières. Mais notre avocat (Me Bertrand Salquain) dit que ce n'est pas perdu".

À lui seul, ce dernier défend les 210 requérants dans 23 tribunaux administratifs différents. "Il ne s'agit pas d'un recours collectif, mais d'un groupement de recours individuels", conclut Marie-Josée Giovanni. 

 

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