Les syndicats de la papeterie Stenpa à Stenay (Meuse) lancent jeudi 25 juillet un ultimatum au groupe Ahlström et au fonds d'investissement Accursia Capital. Ils les accusent de ne pas avoir tenu leurs promesses d'investissements et portent le combat sur le terrain judiciaire.
Dans un communiqué de presse daté de jeudi 25 juillet 2024, l'intersyndicale CGT- FO de la papeterie Stenpa à Stenay (Meuse) en redressement judiciaire, lance un ultimatum à son ancien et actuel propriétaire. Elle leur demande de s'expliquer sur les conditions de cession de l'entreprise et de respecter les promesses d'investissements promis ou, dans l'éventualité d'une liquidation, d'en assumer le préjudice moral et financier pour les salariés.
Neuf mois après avoir été cédée, le 2 octobre 2023, par le groupe papetier finlandais Ahlström au fonds d'investissement allemand Accursia Capital, Stenpa (Stenay Papers) qui emploie 130 salariés, a été placé en redressement judiciaire.
Avenir compromis pour la papeterie
Malgré leurs nombreuses sollicitations, les salariés se voient opposer un quasi-silence de la part de leur actionnaire, renforçant le malaise qui règne depuis début juillet sur le site meusien. Ils se sont déplacés au siège d'Accursia Capital à Munich (Allemagne) sans obtenir plus d'informations sur les intentions du fond.
Même le directeur du site, Matej Kurent, n'a pu obtenir de la part du PDG d'Accursia, Martin Scheiblegger d'explications sur le non-respect des engagements pourtant écrits noir sur blanc dans le plan de reprise présenté en CSE. Seule certitude, Stenpa se retrouve à nouveau placé en redressement judiciaire depuis le 5 juillet et dans le brouillard total quant à son avenir.
Les fautes commises par Ahlström et Accursia Capital doivent conduire à la réparation du préjudice des salariés qui sont menacés d’un licenciement.
L'intersyndicale CGT-FO de la papeterie Stenpa.
L'intersyndicale porte le bataille sur le terrain judiciaire
L'absence d'informations quant à leur avenir, provoque l'exaspération chez les salariés dans la papeterie meusienne. Alain Magisson, le secrétaire du CSE annonce dans le communiqué la volonté de l'intersyndicale de passer à la vitesse supérieure en posant un ultimatum à ceux qu'il considère comme responsable des difficultés rencontrées par l'entreprise : "l'intersyndicale dénonce l'inaction des deux groupes et exige des réponses claires et leur engagement à trouver un repreneur fiable et à indemniser les salariés. À défaut d’engagement immédiat, précis et écrit, toutes les actions judiciaires nécessaires seront engagées".
Une décision qui en dit assez sur la lassitude et le niveau d'exaspération des salariés.
Des actions judiciaires sur trois fronts
L'intersyndicale est conseillée par le Cabinet Michel Henry & Associés, spécialisé dans la défense des salariés, des syndicats et des élus du personnel. Trois actions seront menées simultanément :
- Une action des salariés en responsabilité pour faute à l’encontre d’Alhstrom et d’Accursial Capital.
- La saisine du Procureur de la République du Tribunal de commerce de Bar-le-duc pour demander notamment l’engagement d’actions, en comblement de passif à l’encontre des deux groupes.
- La saisine des autorités de la concurrence pour faire toute la lumière sur les pratiques anti-concurrentielles évoquées par Accursia préjudiciables pour la survie économique de Stenpa.
Les deux actionnaires renvoyés dos à dos
Dans le plan de cession présenté au CSE de l'entreprise, Ahlström, tenu dans le cadre de la loi Florange, de rechercher un repreneur, a présenté Accursia Capital comme un repreneur fiable, capable d'assurer la pérennité de l'entreprise. Dans ce plan, Accursia Capital prévoyait des investissements importants dont 1,2 million d'euros dans la maintenance et 3 millions d'euros dans la modernisation de l'outil de production. Le projet prévoyait aussi de renforcer l'équipe commerciale et la remise à niveau du système informatique.
Accursia Capital accuse Ahlström de pratiques déloyales
Pressé de s'expliquer sur l'absence d'investissements et les promesses non-tenues, Accursia Capital dans un mail adressé au secrétaire du CSE se défausse sur Alhlström : "Aujourd’hui, tout nous laisse à penser qu’Ahlstrom a volontairement caché un certain nombre d’informations. En effet, non seulement l’intégralité du chiffre d’affaires réalisé par des sociétés affiliées à ALHSTROM a disparu mais, de surcroît, ALHSTROM a, en parfaite violation des accords, distribués à des clients de STENPA des produits d’autres sociétés de son groupe."
Des documents internes auxquels nous avons eu accès confirmeraient l'accusation d'Accursia Capital et les soupçons de l'intersyndicale. Cette dernière accuse le service commercial d'Ahlström d'avoir cherché à dissuader les clients de continuer à se fournir chez Stenpa. Toujours selon l'intersyndicale, la pratique aurait perduré jusqu'en janvier 2024, date à laquelle la papeterie meusienne, jusqu'à lors dépendante des services d'Ahlstöm sur le plan commercial, a créé son propre service clients.
Ahlström dément les accusations d'Accursia
Sollicité par France3 Lorraine, le groupe Ahlström avait réagi le 11 juillet via un court communiqué de presse : "Le groupe Ahlström dément formellement les affirmations évoquées qui sont graves en insinuations. Le groupe rappelle que la vente de l’usine de Stenay à Accursia Capital a suivi le processus réglementé habituel pour ce type de transactions".
Les salariés craignent à terme de faire les frais de ce jeu qui consiste à se renvoyer le mistigri. À la lecture des accusations portées par Accursia Capital, les représentants des salariés s'interrogent sur les véritables intentions d'Ahlström à l'origine de la cession en 2023.
Un précédent qui inquiète les salariés
En Europe, le secteur de la papeterie présente une surcapacité de 50.000 tonnes. Stenpa a une capacité de production de 60.000 tonnes. Le groupe finlandais a-t-il décidé de signer l'arrêt de mort de la papeterie meusienne ? C'est la question que se pose le secrétaire du CSE, Alain Magisson.
Une interrogation d'autant plus forte qu'il existe un précédent avec la papeterie de Docelles (Vosges). Propriété du groupe finlandais UPM, l'usine performante avait pourtant été liquidée en 2014. Une enquête du Monde avait révélé qu'UPM n'avait pas hésité à saboter la machine principale afin de la rendre inutilisable pour d'éventuels concurrents lorsque les actifs de l'usine ont été vendus aux enchères en 2017.
Le directeur croit en l'avenir de la papeterie
Le placement en redressement judiciaire de Stenpa pour six mois est une chance qu'il faut saisir, a déclaré Matej Kurent, le directeur du site : "nous avons gagné du temps. Ce n'est donc pas la fin de la société. Nous passons à présent à la 2ᵉ étape afin de trouver un nouveau repreneur. En attendant, on continue à produire et à livrer notre clientèle". Cette stratégie est soutenue par l'intersyndicale.
Stenpa, spécialisée dans le papier couché et les étiquettes, bénéficie des compétences, d'un outil de production compétitif et désormais d'un carnet de commande reconstruit. Reste à clarifier les réelles intentions de l'ancien et actuel actionnaire qui promettaient, lors de la cession en octobre 2023, d'assurer l'avenir de la papeterie. L'intersyndicale est déterminée à demander des comptes à Ahlström et Accursia Capital.
Contactés, Accursia Capital et Ahlström n'ont pas encore répondu à nos sollicitations.