Élections en Turquie : suspens au second tour ?

Une semaine après un premier tour où l'on a constaté une mobilisation sans précédent de l'électorat, Erdogan a déjoué les pronostics et est bien en tête à l'issue du scrutin... L'opposition conserve-t-elle une chance, malgré un optimisme de façade ?

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Annoncé comme usé et perdant après 20 ans de pouvoir, le président turc Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, sort renforcé du scrutin-test de dimanche et part en position de force pour le second tour de la présidentielle qui sera organisé le 28 mai.

Un premier tour qui a déjoué les pronostics...

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Erdogan vire en tête, mais un second tour se profile... ©France 3 Corse ViaStella

Le dernier comptage, qui accorde 49,5% des suffrages au chef de l'État contre 45% à son rival social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu, ne laisse plus de doute sur la tenue de ce nouveau rendez-vous électoral, confirmé lundi dernier par la commission électorale. Le "Reis" Erdogan conserve également sa majorité au Parlement. L'issue du second tour s'annonce plus qu'incertaine pour l'opposition, malgré sa confiance répétée dans sa victoire...

Elle dépendra pour partie d'un troisième homme, l'ultranationaliste Sinan Ogan, qui a recueilli 5,2% des voix au premier tour, et n'a pas encore annoncé s'il soutiendrait l'un des 2 candidats.

Alors que le combat s'annonce rude, Kiliçdaroglu a déserté les estrades: pas un meeting depuis le premier tour ni un seul prévu pour le moment, juste un bain de foule vendredi au mausolée de Mustafa Kemal Atatürk, père fondateur de la République turque et du parti CHP, qu'il préside depuis 10 ans. Mais ses paroles ont déjà devancé les actes avec une déclaration qui a surpris jeudi par sa virulence, dans laquelle il a promis de "renvoyer tous les réfugiés chez eux dès (son) arrivée au pouvoir" . Kiliçdaroglu avait déjà affirmé vouloir renvoyer les 3,7 millions de Syriens chez eux "dans les 2 ans", en cas de victoire. 

L'impact de la crise économique et du séisme dévastateur du 6 février, qui a fait au moins 50.000 morts, n'a pas eu les effets envisagés par les analystes. La réponse du gouvernement, jugée tardive, avait pourtant suscité la colère de nombreux rescapés...

Mais ce sentiment ne s'est pas traduit dans les urnes, les provinces fortement impactées ayant massivement reconduit leur confiance au président, qui a promis de reconstruire au plus vite 650.000 logements dans les zones affectées.

"La Nation accorde sa confiance à Erdogan", titrait en une lundi le quotidien progouvernemental Sabah, qualifiant de "formidable réussite" l'arrivée en tête au premier tour du président sortant.

  • "Respecter" le scrutin

Jusqu'à dimanche, le camp de l'opposition, une vaste coalition emmenée par le CHP (social-démocrate, laïque) - le parti de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne - appelait à "en finir au premier tour". Mais le vice-président du parti a reconnu à la mi-journé lundi dernier que les "quelques 300 urnes du vote de l'étranger non décomptées ne changeront pas la donne".
"Nous l'emporterons certainement au second tour", a-t-il toutefois réaffirmé.

Malgré des tentatives de contestation des résultats dimanche soir de la part de l'opposition, les observateurs européens du Conseil de l'Europe et de l'OSCE ont jugé que les élections avaient offert aux Turcs un vrai choix politique. Et ce malgré un "avantage injustifié" accordé par les médias officiels au président Erdogan.

Les 2 candidats se sont dits prêts à se retrouver et se sont tous 2 engagés à  "respecter" le verdict des urnes. Confronté pour la première fois à un ballotage, alors qu'il avait été réélu en 2018 dès le premier tour de la présidentielle, le chef de l'État a affiché sa confiance. "Je crois sincèrement que nous continuerons à servir notre peuple ces 5 prochaines années", a-t-il lancé dans la nuit à ses partisans.

  • Un vrai leader... 

Le président américain Joe Biden "se réjouit de travailler avec le vainqueur quel qu'il soit" a dit lundi un porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby.

Pour Bayram Balci, chercheur au CERI-Sciences Po à Paris et ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul, "les Turcs ont joué la stabilité et la sécurité". "Ils ont refusé d'accorder leur confiance à une coalition hétéroclite aux intérêts divergents, se demandant comment ils parviendraient à gouverner ensemble..".

"Erdogan va gagner. C'est un vrai leader, les Turcs ont confiance en lui et il a une vision pour la Turquie", a affirmé lundi à l'AFP, Hamdi Kurumahmut, un habitant d'Istanbul travaillant dans le tourisme.
L'enjeu de cette élection est aussi financier... Le principal indice de la Bourse d'Istanbul a "plongé à l'ouverture", et la livre turque a atteint un niveau historiquement bas, autour de 19,7 livres pour un dollar. "L'issue des élections sera déterminante pour l'économie turque", s'est inquiété l'analyste Bartosz Sawicki. "La Turquie va-t-elle poursuivre sur sa lancée hétérodoxe ses politiques déséquilibrées, ou bien reprendre la voie des réformes et du redressement ?", s'est-il interrogé...

  • Turquie : 100 ans d'histoire politique tourmentée

De révolution en coups d'États, ce jeune pays qu'est la Turquie connaît depuis 1923 et la signature du traité de Lausanne, attribuant toute l’Anatolie et la Thrace orientale au pays, un "parcours politique tortueux" !

La victoire du républicain Mustafa Kemal Atatürk premier président de la République, et l'adoption d'une nouvelle constitution, un an plus tard, en 1924, signaient la fin du califat et le bannissement de la famille impériale, marquant la véritable chute de l'Empire Ottoman, initiée par la signature du traité de Sèvres à la fin du premier conflit mondial.

Mais, après la Seconde Guerre mondiale et l'entrée à l'Onu, en 1945, les décennies qui suivent se caractérisent par un lent abandon des préceptes de Mustafa Kemal, et le retour progressif des forces religieuses, qui vont "reprendre les devants" de l'espace public... 

Un demi-siècle de conflits (nationaux et internationaux) plus tard, l'islamisme "finalise" sa montée avec l'arrivée au pouvoir d'un certain Recep Tayyip Erdogan, nommé premier ministre en 2002. Il prône  à la fois un libéralisme constitutionnel et économique et les valeurs traditionnelles de l'islam sunnite.
Entre Occident et Islam, la Turquie est un pays divisé, presque déchiré... Il peut paraître paradoxal d'établir un parallèle entre ces 2 leaders charismatiques que sont Atatürk et Erdogan. Totalement opposés par l'idéologie, ils sont pourtant étroitement liés par l'acte de naissance contradictoire de leur pays, décidé par une Europe qui n'a peut-être pas pris toute la mesure, ou tout simplement pas voulu voir cette dualité... 

Malgré de forts mouvements de contestation, et même un coup d'État en 2016, le "Reis" continue pour le moment à "tenir la barre" et impose son autorité... Pour 5 années encore ?

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