Composé de "militants issus de toutes les structures" clandestines actuellement en sommeil, le groupe armé annonce un "redéploiement tactique", dans l’attente "de l’amorce par l’Etat français d’un véritable processus politique de règlement de la question nationale corse".
45 ans jour pour jour après la création du Front de libération nationale de la Corse, le 5 mai 1976, la création d’un nouveau mouvement clandestin, baptisé « F.L.N.C. Maghju 21 », a été annoncée lors d’une conférence de presse clandestine à laquelle la rédaction de France 3 Corse Via Stella a assisté.
Huit personnes cagoulées et armées de fusils mitrailleurs et d’armes de poing, ont ainsi fait connaître la décision du F.L.N.C. Maghju 21 d’opérer un « redéploiement tactique dans l’attente de l’amorce par l’Etat français d’un véritable processus politique de règlement de la question nationale corse ».
Le nouveau mouvement clandestin se revendique de l’héritage du F.L.N.C. originel fondé en 1976 et serait, selon ses dires, composé de « patriotes issus de toutes les autres structures » clandestines aujourd’hui en sommeil.
Le message à l’Etat
En ligne de mire de ce nouveau F.L.N.C. : l’Etat français. Les clandestins notent en effet, « qu’aucun geste significatif (…) vers une solution politique au problème corse » n’a été fait depuis le dépôt des armes annoncé en juin 2014.
Et de regretter que « l’Etat français [n’ait] nullement envisagé un véritable transfert de souveraineté pour la Corse comme en bénéficient toutes les îles de Méditerranée depuis des décennies », en dépit de l’accession au pouvoir des nationalistes en 2015.
« Seule une piètre adaptation, à travers l’article 72-5 (de la Constitution, ndlr), sans pouvoirs politiques réels, est envisagée, sous le contrôle du parlement français et de l’inflexible constitution française », poursuit la déclaration d’intention du F.L.N.C. Maghju 21.
Résultat : « La situation est toujours figée et la Corse est à la croisée des chemins », estime le groupe armé.
Pè a Corsica, "pas à la hauteur des enjeux"
Un état de fait dont serait en grande partie responsable la coalition nationaliste Pè a Corsica, à la tête de la Collectivité de Corse depuis décembre 2015. Selon le nouveau F.L.N.C., l’union de Femu a Corsica, du PNC et de Corsica Libera « n’a pas su se hisser à la hauteur des enjeux », malgré un score de 57% des suffrages exprimés aux élections territoriales de 2017.
Depuis son élection à la tête de la CdC, Pè a Corsica « a été plus dans la gestion d’une collectivité que dans la construction d’une Nation » et, jugent les clandestins, « ce n’est pas ce pour quoi les nationalistes l’ont élue ».
Pire, analyse le communiqué : les élus de la majorité « semblent, visiblement, mettre plus d’énergie dans la campagne permanente et l’électoralisme, pour préserver leur place et toujours chercher des nouveaux porteurs de voix de l’ancien monde, que pour s’imposer par la force induite par la crédibilité de leurs propositions et actions au quotidien ».
Incapables, dixit le F.L.N.C. Maghju 21, « de créer un rapport de force politique face à l’Etat », les élus de Pè a Corsica ne seraient pas plus efficaces sur la gestion des affaires courantes.
« Sur les quelques compétences qui leur sont dévolues, ils n’ont pas été en mesure d’apporter les réponses souhaitées. Les dossiers des déchets ou du transport maritime sont là pour en témoigner », poursuit le communiqué. « Sans stratégie de libération nationale (…) et sans vision politique interne commune », les élus nationalistes « se sont laissés enfermer dans une gestion au jour le jour », assure le F.L.N.C. Maghju 21. Laquelle gestion « a été rendue d’autant plus difficile par les manœuvres de l’Etat à travers l’action de ses différents préfets qui leur ont savonné la planche ».
Bilan de la situation, selon les clandestins : « La Corse est aujourd’hui en danger. Elle s’apparente à un bateau à la dérive, livrée aux appétits financiers de quelques-uns et quelques groupes financiers qui s’accaparent les secteurs stratégiques avec l’aval de l’Etat et dans l’indifférence des élus ».
Et de détailler : « La vie chère, les déchets, les monopoles dans les transports, la distribution et les carburants sont des exemples criants d’un modèle de société qui accentue les inégalités et la misère sociale pendant que quelques-uns s’enrichissent ».
"Gangrène mafieuse"
Autre motif d’inquiétude, selon le nouveau F.L.N.C. : « La voyoucratie, [qui] pèse de plus en plus sur le tissu économique, le système politique et la société ». Dans son communiqué, le mouvement clandestin note que « la gangrène mafieuse se renforce, la vente et la consommation de drogue se généralisent et constituent le lit de la mafia ». Désormais, indique le communiqué, « les assassinats, dépassent la sphère du règlement de comptes et touchent des travailleurs, des honnêtes citoyens et même, ces derniers mois, deux patriotes corses sincères (Massimu Susini et Stéphane Leca, N.D.L.R.) ».
Dernier point mis en avant par le F.L.N.C. Maghju 21 : une « spéculation à ce jour inégalée sur notre sol ». Les clandestins indiquent que « les résidences poussent partout en Corse et les terres agricoles que le PADDUC devait protéger sont soumises à la pression foncière. La dépossession est généralisée, les Corses ne peuvent plus accéder aux logements. De nombreux Corses vendent, des agences immobilières imposent l’inflation, les promoteurs étrangers s’implantent avec souvent l’aide des relais locaux ».
De plus, considère le groupe armé, « la colonisation de peuplement submerge notre petite société qui n’a pas les moyens politiques d’intégrer les flux intrants incessants de populations extérieures à la Corse. La décorsisation des emplois est toujours la règle pour les postes d’encadrement dans de nombreuses administrations ».
Pour autant, le F.L.N.C. Maghju 21 ne tourne pas le dos à la « lutte institutionnelle » qui « fait partie du combat du peuple corse pour faire valoir ses droits nationaux ».
L’appel au vote nationaliste
Ainsi, les clandestins appellent les électeurs à « voter en conscience pour les listes candidates se réclamant du nationalisme ». Mais sur des « bases claires », précise le communiqué : « Les 7 prochaines années ne devront pas être celles de la gestion d’une Collectivité mais celles de l’élaboration d’un vrai projet de société en vue de l’émancipation nationale du peuple corse ».
Reprenant les fondamentaux du nationalisme, le F.L.N.C. Maghju 21 appelle également « le peuple corse » à se positionner, « au-delà des élections, sur tous les terrains de la lutte de masse ».
« Il est temps de signifier à la France toute la force des revendications du peuple corse, pour obliger l’Etat français à s’engager sur la voie d’un véritable processus de reconnaissance des droits historiques du peuple corse », conclut le communiqué en « exigeant », enfin, « la libération de tous les prisonniers politiques ».
Lire l'intégralité du communiqué du F.L.N.C. Maghju 21
L'ANALYSE DE LA REDACTION
Faut-il voir dans la déclaration publique de ce nouveau mouvement clandestin, né 45 ans jour pour jour après la création du F.L.N.C. originel, l’annonce d’une possible reprise des attentats dans l’île ? La formule « redéploiement tactique » le laisse clairement entendre, mais il faudra attendre les prochains mois pour en être certain.
En tout état de cause, la méthode et le discours du F.L.N.C. Maghju 21 semblent plus politisés et plus structurés que ceux des autres groupes qui ont pu se manifester depuis l’annonce en 2014 de la démilitarisation des deux principales organisations (FLNC Union des combattants et FLNC dit du 22 octobre, N.D.L.R.).
Les militants de ce nouveau mouvement clandestin se réclament du F.L.N.C. de 1976 et reprennent la sémantique nationaliste « classique » et ses marqueurs : la spéculation, la « colonisation de peuplement », mais aussi la lutte contre la « gangrène mafieuse », et les assassinats « qui touchent des travailleurs, des honnêtes gens » mais aussi « des patriotes corses sincères », en référence à Massimu Susini et Stéphane Leca, assassinés en septembre 2019 et en octobre 2020.
Au-delà du message adressé à l’Etat, c’est un signal aux Corses qu’envoie le communiqué du nouveau F.L.N.C., et plus particulièrement aux militants nationalistes, en les exhortant à réinvestir le terrain.
En sous-texte, un « recentrage » sur les trois fondamentaux du combat nationaliste : lutte armée, lutte de masse et lutte institutionnelle.
De fait, et même s’il s’en défend, le groupe clandestin s’inscrit dans un contexte électoral et intervient au moment même où les trois partis de la coalition Pè a Corsica ont acté qu’ils partiront chacun de leur côté aux prochaines élections territoriales.
Selon le F.L.N.C. Maghju 21, il s’agit là d’un « hasard du calendrier » et sa prise de parole ne serait en rien liée aux récentes divisions au sein de la majorité territoriale.
Il n’en demeure pas moins que le communiqué de deux pages et demi laisse une large part à la critique des péripéties politiques de la majorité actuelle et intègre une analyse précise des articles constitutionnels en débat.
C’est, sans doute possible, le signe d’un intérêt marqué pour le rôle de l’Institution et de son prochain renouvellement. Le signe également d’un positionnement éloigné de la stratégie de rupture ou de remise en cause du « combat institutionnel ».
Le F.L.N.C. Maghju 21 reprend d’ailleurs les critiques souvent exprimées dans les rangs nationalistes sur les choix stratégiques de Pè a Corsica et sur son bilan, notamment en ce qui concerne l’absence d’avancées sur les revendications fondamentales du mouvement.
Reste à savoir quelle sera l’influence de la résurgence de la clandestinité sur l’échiquier politique insulaire. Davantage qu’une menace pour l’Etat, l’annonce de la création d’un nouveau F.L.N.C. pourrait s’avérer être un caillou dans la chaussure des listes nationalistes. Car ce soutien aussi inattendu qu’encombrant risque de faire des vagues, dans une campagne électorale très courte et à un mois et des poussières du premier tour.