Assises de Haute-Corse : les manipulations d'un corbeau au cœur des débats

Alexandre Rebours est jugé en cour d'assises pour avoir tenté d'assassiner l'amant de sa compagne, en 2020 à Calvi, armé d'une hachette. Les jours précédant l'agression, il avait reçu une cinquantaine de messages et de photos ordurières dénonçant ses infidélités. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

« Mon frère, je ne le retrouverai jamais comme avant », lance Alain Desvignes, déterminé, à la cour et aux jurés. « Peu importe le pourquoi, le comment… Ce que je sais, moi, c’est que cet homme est venu pour tuer mon frère. On ne vient pas discuter avec une hache à la main ».

Depuis trois ans, il vit avec Dominique, placé sous curatelle renforcée, et a arrêté de travailler pour s'occuper de lui. Le camping dont ils s’occupaient tous les deux a été vendu. « J’ai essayé, mais c’était impossible de m’en occuper tout seul ».

Chancelant mais digne

Il a tout fait pour que leur mère, âgée de 87 ans ne sache rien des raisons pour lesquels l’un de ses fils est dans cet état. « J’ai passé un temps fou à tout verrouiller, je lui ai fait croire que Dominique avait reçu une branche d’arbre sur la tête. Et j’espère qu’elle partira sans avoir appris la vérité ».

Sur les bancs de la partie civile sont assis Dominique Desvignes, son frère, et ses deux nièces. La famille Desvignes est soudée, mais peine à se remettre du drame.

Mon oncle n’a même plus la force de tenir mon fils dans ses bras. C’est lui qui est condamné à perpet’

L’une d’elles s’approche à son tour de la barre, et n’attend pas les questions de la cour pour dire ce qu’elle a sur le cœur : « mon oncle est là, mais il est comme un mort-vivant. Il n’a plus ce regard rieur, bienveillant. Il aimait la vie, les amis, la moto, la pétanque, il était plein d’énergie, et ce qui me chagrine, aujourd’hui, c’est qu’il n’a même plus la force de tenir mon fils dans ses bras ».

Dominique Desvignes laisse échapper un sanglot, agrippe sa casquette et sort de la salle, accompagné par son frère.

Une heure avant, c’est lui, la victime de l’agression du 17 septembre 2020, qui se présentait à la barre. Chancelant, mais digne. Durant plus de deux heures et demie, il avait dû écouter le témoignage de l’adjudant de gendarmerie qui avait dirigé l’enquête.

Et revivre, dans le détail, ce qu’il ne se souvient pas d’avoir vécu.

« Quand je me suis réveillé, après des semaines de réanimation, je ne savais même pas que j’avais été agressé. Je pensais que c’était un accident… » Victime d’une amnésie durable concernant cette période de sa vie, Dominique Desvignes ne peut pas revenir sur les faits. La voix faible, il répond, brièvement, aux questions de la cour. Quand on lui demande ce qui a changé, l’homme, emmitouflé dans une ample veste grise, conclut : « ce qui me manque, c’est ma vie d’avant ».

Une réponse accueillie par un long silence dans la salle d’audience des assises de Haute-Corse.

Messages orduriers

Avant que la partie civile ne se présente à la barre, il avait été longuement question, durant la matinée, du corbeau qui avait « armé le bras » d’Alexandre Rebours, selon les mots du président de la cour. Ce que confirmait le directeur d’enquête, estimant que « les agissements du corbeau ont vraisemblablement favorisé le passage à l’acte ».

Pendant que tu fais l’arabe sur les chantiers, ta femme se fait baiser par tout Calvi

En ce mois de septembre 2020, Alexandre Rebours reçoit un SMS, d’un numéro inconnu. Il y lit : « pendant que tu fais l’arabe sur les chantiers, ta femme se fait baiser par tout Calvi ».

C’est le premier de la trentaine de SMS qu’il va recevoir, en deux jours. Confrontée à cette accusation, la compagne reconnaît ses infidélités. 

Mais le corbeau n’en a pas fini. Quelques jours plus tard, alors qu’Alexandre Rebours est à Furiani, pour assister à un match de football, il reçoit des mails, signés d’un certain Franck Ange-Gardien. « Des messages tous plus insupportables les uns que les autres », selon l’enquêteur.

Le titre de ces mails : « voilà les preuves de ce que j’ai dit », « elle est vraiment amoureuse », « regarde bien, tu peux pas nier »

Joints à ces mails, des photos de nu, des extraits de messages privés équivoques avec Dominique Desvignes, issus du profil Facebook privé de la compagne de l’accusé, M.. En tout, onze mails, et cinquante et une photos.

Un CDI, pas un CDD

Les enquêteurs de la gendarmerie de Calvi vont mener de longues et rigoureuses investigations informatiques pour remonter jusqu’au corbeau, et découvrir son identité. Des investigations qui vont les conduire à deux personnes, une commerçante de Balagne, L., et une jeune femme avec qui elle est très proche, F.. La première est mise sur écoute.

L’enquêteur, à la barre, rapporte : « elle échange beaucoup avec Rebours en prison. On comprend qu’ils entretiennent une liaison cachée depuis longtemps, et ont même un projet de vie commune ». Dans leurs échanges téléphoniques, elle qualifie M., la compagne d’Alexandre Rebours, de « poubelle ».

Pour les enquêteurs, F. et L. sont les responsables des messages envoyés à Alexandre.  

« Il ne fait aucun doute que L. ne se satisfaisait pas de partager monsieur Rebours. Elle le dit clairement lors d’un entretien : "je veux un CDI, et pas un CDD" ».

Préméditation ?

C’est un dernier mail qui aurait fait « basculer » Alexandre Rebours. Un message, affirme le quinquagénaire, qu’il découvre alors qu’il arrive dans un magasin de bricolage, pour acheter du matériel de chantier, le 17 septembre 2020, quelques minutes à peine avant l’agression.

« Dans ce message, la copie d'un échange sur messenger entre ma compagne et monsieur Desvignes. Elle lui disait qu’elle devait arrêter de lui parler, parce que je montais me coucher. Ça m’a beaucoup blessé. Je n’arrivais plus à me contenir. J’ai craqué. J’avais l’impression que monsieur Desvignes était dans mon lit ».

Alexandre Rebours, qui se trouve alors dans les rayons du magasin de bricolage, va faire l’acquisition de la hachette, prendre le chemin du camping que gérait Dominique Desvignes, et une vingtaine de minutes plus tard, il va l’agresser et le blesser très violemment à la tête, avec le dos de la hachette…

Lors de sa première audition, deux jours après l’agression, Alexandre Rebours parlera de « rage ». « J’étais dans un schéma de destruction sans pitié ».

L'expert en psychiatrie parlera pour sa part de "débordement de haine".

J’avais deux choix : ou je la faisais monter en l’air, ou je le faisais monter en l’air, lui. J’ai préféré la faire monter elle

Alexandre Rebours

Ce dernier message lu par l'accusé va faire l’objet d’une bonne partie des débats de l’après-midi. Pour la défense, il prouve qu’il n’y a pas préméditation. Pour la partie civile et le ministère public, ce n’est pas si simple. « Pourquoi c’est ce message, insignifiant somme toute au regard des messages orduriers qui précédaient, qui a provoqué votre basculement ? », demande l’avocat général.

La deuxième série de questions se concentre sur l’achat de cette hachette. « Pourquoi acheter une hachette, s’il n’y avait pas volonté de l’utiliser ? »

« Je voulais lui demander des comptes, lui mettre une rouste, c’est tout. Mais j’avais peur que, sachant que j’étais au courant, il ne se soit préparé à ma venue, en se munissant lui aussi d’une arme », répond l’ancien parachutiste.

Et Maître Simoni, l’un des deux avocats d’Alexandre Rebours, avec Jean-Sébastien de Casalta, de marteler « comment peut-on encore avoir l’ombre d’un doute sur ses intentions, quand on sait que mon client a frappé avec le dos de la hachette, et pas avec le tranchant ? S’il avait voulu tuer, il n’aurait jamais fait ça ».

Une phrase prononcée par Alexandre Rebours, deux mois après les faits, lors d'une conversation avec son frère, laisse également planer le doute quant à une préméditation : « J’avais deux choix : où je la faisais monter en l’air elle, ou je le faisais monter en l’air lui. J’ai préféré la faire monter… ».

Un dernier élément à charge serait le passage de l’accusé, le matin même, dans une armurerie calvaise, pour se renseigner sur des fusils de chasse. De quoi interroger, alors qu’Alexandre Rebours n’avait jamais été chasseur.

Le corbeau manque à l'appel

Il est un peu moins de 20 heures quand M., l'ex-compagne d'Alexandre Rebours, amante de la victime, se présente à la barre. Pour elle aussi, ce sont ces messages qui l'ont poussé à bout, malgré le fait qu'elle ait tenté de l'en détourner. "Calvi, c'est un petit village, et il a pris un coup. C'était carrément de la persécution, qu'on lui faisait".

Avant son arrivée, le président avait demandé que le témoignage de M. ne devienne pas son procès, alors que ses infidélités à répétition avaient été au cœur des débats jusque-là. Mais les questions, très brèves, et respectueuses, du ministère public, des parties civiles et de la défense, évitent cet écueil.

À l'occasion d'une évocation habile d'un volet de l'enquête, l'avocat général apprend à M. une infidélité de son ex-compagnon. Manière, pour le ministère public, de rappeler que les incartades n'étaient pas l'apanage d'un seul camp, dans le couple.

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