Une entreprise de vente de véhicules domiciliée à Ventiseri est soupçonnée d'avoir abusé de la confiance de plus de 30 personnes. Deux personnes sont mises en cause dans cette affaire.
Presque un an, désormais, que Véronique Bergonzi attend sa voiture. "Maintenant, je n'y crois plus vraiment, souffle-t-elle. Je me suis complètement laissée berner."
L'histoire remonte au mois d'avril 2022. Cette habitante de Ventiseri, âgée de 64 ans, cherche alors à commander une voiture toute particulière : une Porsche modèle boxster, orange et décapotable.
Un cadeau aux spécifications non-négociables, à destination de sa mère, 93 ans et passionnée de voiture de sport. "Elle n'était plus très en forme. Je m'occupais à cette époque d'elle jour et nuit, et je sentais qu'il ne nous restait plus beaucoup de temps toutes les deux. Je voulais vraiment lui faire un beau plaisir."
Elle fait dans un premier temps appel à des vendeurs Porsche traditionnels en Corse, sans succès. Sur les conseils d'une connaissance de sa commune, Véronique Bergonzi décide alors de s'adresser à une société de ventes de véhicules domiciliée sur sa commune, e vitture, qui propose de dénicher contre commission les véhicules désirés par ses clients. Deux personnes travaillent au sein de l'entreprise : Laurie Bourgeois, la gestionnaire, et son compagnon et salarié, Stéphane Bodart.
Des délais de livraison constamment prolongés
En mai 2022, la Porsche rêvée est repérée par la société en Allemagne, et proposée à Véronique Bergonzi contre un peu moins de 86.000 euros. "J'ai accepté. Et puis j'ai annoncé à ma mère qu'elle allait avoir sa voiture orange décapotable comme elle voulait. Ses yeux brillaient", se souvient-elle.
La jeune retraitée effectue le versement d'un premier acompte à e vitture, de l'ordre de 20.000 euros. "Je leur demande à cette occasion qu'on m'installe un tracker GPS." Véronique Bergonzi patiente, mais la voiture n'arrive pas. "On me dit que c'est retardé, que c'est lié à la commande du tracker, parce qu'ils n'en ont pas là-bas, et que c'est compliqué avec la guerre pour obtenir les produits. Moi, à ce moment-là, je suis avec ma mère, alors je n'ai pas le temps de m'en occuper."
On me dit que c'est retardé, que c'est lié à la commande du tracker, parce qu'ils n'en ont pas là-bas, et que c'est compliqué avec la guerre pour obtenir les produits.
En août, la retraitée obtient enfin la confirmation d'un rendez-vous donné pour la pose d'un tracker sur sa voiture. Stéphane Bodart, son principal interlocuteur dans cette perspective d'achat, lui demande alors de payer le solde, pour que le couple parte chercher la voiture, raconte-t-elle. "Je lui ai fait un virement de presque 66.000 euros et j'ai attendu."
Mais là encore, la retraitée reste sans nouvelles. Mi-septembre, sa mère décède. Sans avoir pu profiter de la voiture tant désirée. "Je n'étais plus en état de les relancer. Mais je leur en voulais beaucoup." En décembre, après de multiples relances et contact téléphonique avec la société, le couple promet à Véronique Bergonzi d'aller chercher sa voiture en Allemagne, et lui ramener sous deux semaines.
Mais passée la date annoncée, rien. "J'appelle, on m'envoie des photos de la voiture et d'un justificatif, comme pour me dire, ça y est, on l'a. Sauf que je remarque que la voiture est immatriculée en Italie."
Excédée, Véronique Bergonzi confronte donc le couple. "Je les appelle, et là Laurie me dit qu'ils ont perdu la première voiture faute d'avoir versé l'argent à temps. Que les 20.000 euros que j'avais donné en acompte n'ont jamais été envoyé au garage en Allemagne. Et puis elle m'envoie un bon de proposition d'achat d'une Porsche similaire à Milan, pour 54.000 euros [prix hors commission touchée par la société e vitture, ndlr], et me dit que si on ne paye pas dans les trois prochains jours, l'offre sera caduque."
Problème, "Laurie me dit qu'elle n'a versé que 5.000 euros, qu'il faut donner le reste. Je lui demande ce qu'elle a fait de mes 86.000 euros, et elle me dit qu'elle ne les a plus, qu'ils ont été utilisés pour acheter et revendre d'autres voitures pour d'autres clients."
Je lui demande ce qu'elle a fait de mes 86.000 euros, et elle me dit qu'elle ne les a plus, qu'ils ont été utilisés pour acheter et revendre d'autres voitures pour d'autres clients.
Un choc terrible pour la sexagénaire. "J'ai cru que le toit me tombait sur la tête. Je leur ai dit qu'ils étaient des escrocs, et ils m'ont supplié de ne pas porter plainte, en me disant que si je le faisais, eux iraient en prison, et moi, je ne retrouverai ni la voiture, ni mon argent."
Les mois de janvier, février et mars 2023 passent sans que Véronique Bergonzi ne reçoive la Porsche. En avril, elle prend finalement connaissance du dépôt de plainte d'une trentaine d'autres personnes contre la société e vitture, pour abus de confiance, faux en écriture, tromperie sur la nature ou qualité d'une marchandise, et vente de véhicule sans tenue d'un contrôle technique.
Un des prévenus déjà condamné pour des faits similaires
Plus encore, elle découvre en se rendant à la gendarmerie pour en faire de même que Stéphane Bodart a déjà été poursuivi dans le passé pour une affaire similaire, cette fois sur le continent.
En janvier 2016, il a ainsi été condamné à deux ans de prison avec sursis pour abus de confiance et banqueroutte par le tribunal de Boulogne, pour avoir abusé de la confiance de 39 personnes, et laissé derrière lui une ardoise de près de 800.000 euros. Une peine assortie d'une interdiction d'exercer une activité professionnelle en relation avec la négociation automobile pendant 5 ans, et l'interdiction de gérer une entreprise commenciale pendant 15 ans.
Le prévenu était alors gérant de deux entreprises de vente de véhicules, toutes deux en liquidation judiciaire. L'une en son nom, l'autre au capital social détenu à 99% par son épouse d'alors - le couple se trouvant en instance de divorce lors du procès -, raconte La Voix du Nord. Cette dernière déclarant, lors de son audition, avoir eu "le rôle d'un paravent".
Différentes entreprises, différentes localisations, différentes partenaires pour Stéphane Bodart, mais un scénario des faits similaire en tout points : des sociétés de vente de véhicules, une trésorerie mal gérée, qui finit par manquer, et les acomptes des nouveaux clients détournés pour honorer les dettes et les commandes des plus anciens clients.
Avant cela, Stéphane Bodart avait été déjà exercé un rôle de dirigeant dans quatre autres entreprises : deux de BTP, l'une ayant fait faillite, l'autre alors toujours en activité ; une entreprise de commerce de gros, clôturée ; et une quatrième d'imprimerie, placée en liquidation judiciaire.
Une trentaine de plaintes déposées
"Quand je me suis rendue à la brigade de Travo pour porter plainte, le gendarme m'a dit : "Mais vous n'avez pas fait de recherche sur internet avant de commander chez ces personnes ? Ce sont des gros escrocs, ils sont dans plein d'affaires", et c'est là que j'ai découvert pour tout le reste", soupire Véronique Bergonzi.
"Moi je ne me doutais de rien. Ils étaient très doués : ils ont joué aux amis, se sont montrés très sympathiques. Ils m'ont aidé à débarrasser l'appartement de ma mère, je les ai invités au restaurant... Ils ont joué la corde sensible. Et au final, je n'ai ni ma Porsche, ni mes 86.000 euros."
Elle a déposé plainte pour abus de confiance. L'audience est prévue le 2 mai, au tribunal de Bastia. Dans cette affaire, une trentaine de personnes se sont constituées partie civile. Véronique Bergonzi sera représentée, comme sept autres personnes, par Me Charlène Vesperini-Pieri.
"Les motifs des plaintes sont divers, précise l'avocate. Certains ont eu des problèmes de cartes grises ou de documents demandés qui n'ont pas été livrés à temps, voire pas livrés du tout, d'autres ont eu des dysfonctionnements parfois sévères sur des véhicules qu'ils ont acheté, d'autres des problèmes de livraison de leur voiture."
Pour certains, c'est une affaire de principe, parce que même sans être certains d'obtenir un recouvrement financier du préjudice, ils veulent aller jusqu'au bout du processus judiciaire, pour faire en sorte que cette situation ne se reproduise pas pour d'autres à l'avenir.
Me Charlène Vesperini-Pieri
Dans ce dossier, l'enquête, précise Me Vesperini-Pieri, a débuté il y a maintenant près de trois ans. "J'ai personnellement été alertée par des parties civiles pour la première fois en décembre 2022. Ils sont nombreux à présenter les mêmes éléments, à avoir les mêmes reproches. Pour certains, c'est une affaire de principe, parce que même sans être certains d'obtenir un recouvrement financier du préjudice, ils veulent aller jusqu'au bout du processus judiciaire, pour faire en sorte que cette situation ne se reproduise pas pour d'autres à l'avenir."
L'avocate indique compter obtenir la reconnaissance de culpabilité lors de l'audience, ainsi qu'un renvoi de l'affaire en ce qui concerne le vol des intérêts civils, afin de plaider "chacun des préjudices personnels. Puisque si le procédé est le même, les préjudices monétaires sont très variables d'un plaignant à un autre."
Dans cette affaire, nous n'avons pas affaire à des personnes novices en la matière.
Me Vesperini-Pieri
Me Vesperini-Pieri insiste : "Dans cette affaire, nous n'avons pas affaire à des personnes novices en la matière. Elles ont l'habitude de ce type de comportement et le reproduisent, ce sont des escrocs chevronnés."
Une enquête "dysfonctionnelle" pour la défense
Faux, rétorque Me Michal Solinski, conseil de Stéphane Bodart. L'avocat indique, au vu des éléments dont il a pu à ce stade avoir connaissance dans ce dossier, qu'il s'agit principalement de retards, et de longueurs administratives, "notamment de la part de l'ANTS [Agence nationale des titres sécurisés]. Mais dans la plupart des cas que j'ai pu consulter, les problèmes sont déjà réglés, les cartes grises en retard sont arrivées, et des accords ont été passés concernant les voitures qui présentaient des défauts, qu'ils soient de réparation, ou de dédommagement financier."
J'ai la preuve de gendarmes qui se permettent [...] de contacter directement des clients pour les inciter à porter plainte
Me Solinski
Lui dénonce plutôt une enquête "dysfonctionnelle". "J'ai fait un signalement au procureur de la République de Bastia, le 31 mars 2022, pour attirer son attention sur cette question. J'ai des preuves de gendarmes qui se permettent d'envoyer un courrier par jour à madame Bourgeois pour presque lui dire comment organiser sa défense, et de l'autre côté de clients de la société contactés directement par les mêmes gendarmes pour les inciter à porter plainte, en leur disant que les prévenus sont des escrocs... C'est une manière très singulière de mener l'enquête."
La défense de Laurie Bourgeois n'a, de son côté, pas pu être jointe à ce jour.