Les vacances de Pâques, qui marquent traditionnellement l'entrée dans la saison touristique en Corse, sont cette année mises entre parenthèses. L'épidémie de coronavirus et les mesures qui l'accompagnent ont mis ce secteur économique à l'arrêt sans lisibilité aucune sur son avenir proche.
La plage de sable blanc au cœur d'Ile Rousse est déserte, juste quelques goélands viennent profiter du calme et de la température printanière. Les rues de la cité, d'ordinaire animées en cette
période de fêtes pascales sont silencieuses et à l'exception de rares passants aucun signe de vie ne transparaît.
Marasme, inquiétude et absence de visibilité
Une situation que l'ensemble de la population supporte de plus en plus difficilement, d'autant que l'économie ici s'articule essentiellement autour du tourisme et que bon nombre d'emplois en dépendent.
«Depuis vendredi dernier - le 4 avril – un arrêté préfectoral nous interdit tout hébergement touristique et si l'on ajoute à cela les annulations en cascade des représentants professionnels nos établissements sont vides», constate, amer, Bernard Guidicelli, hôtelier à Ile Rousse et Président de l'Union des métiers de l'industrie Hôtelière.
Un constat qui vaut aussi pour les réservations du mois d'avril. Quant au mois de mai, l'hôtelier se veut prudent mais n'espère guère d'amélioration : «Nous sommes dans l'illisibilité la plus totale. On ne sait ni quand le virus disparaîtra ni quand le déconfinement débutera ni dans quelles conditions il se fera. On sait qu'il sera progressif et partiel mais les déplacements de loisirs ne seront pas une priorité, alors l'avenir s'annonce assez sombre.»
Autre département et même tonalité dans les propos de César Filippi, hôtelier à Portu Vechju. Certains hôteliers se sont même interrogés quant à l'éventualité de rester fermés durant la prochaine saison estivale.Nous sommes dans l'illisibilité la plus totale.
Rester fermer cet été ?
L'ouverture et le fonctionnement d'un établissement engendre des frais fixes importants dans un contexte où personne ne sait quand la situation redeviendra normale. «Pour ce qui me concerne j'ai différé les deux sessions d'embauche que j'avais prévu de lancer. Je veux rester optimiste je les ai reportées au mois de mai, mais rien ne garantit qu'elles ne soient pas une nouvelle fois repoussées ce qui posera encore d'autres problèmes», explique César Filippi.Néanmoins l'hôtelier de l'Extrême-sud n'envisage pas un instant une fermeture estivale, contrairement à ce célèbre établissement de Calvi qui lui, n'ouvrira pas ses portes cette année.
L'Agence du tourisme sous tension
Les sombres perspectives qui s'annoncent ne lassent pas d'inquiéter la Présidente de l'Agence du tourisme, Marie-Antoinette Maupertuis. Avec plus de 30% du PIB , l'industrie touristique a un impact sans doute encore plus fort sur l'économie de l'île et beaucoup de secteurs en sont dépendants.De l'agriculture aux transports en passant par les activités de plein air culturelles ou événementielles, le champ est vaste et les répercussions innombrables. Autre particularités du secteur en Corse : les 4711 établissements hôteliers sont pour une très grande partie des structures familiales.
A ce jour l'Agence comptabilise un taux d'occupation de 1% dans les hôtels et recense 50% d'annulation pour la période de mai à juin. Par ailleurs le baromètre hebdomadaire mis en place par ses services montre que les hôteliers envisagent une ouverture de leurs établissements... en juin.
L'ATC a donc décidé d'agir dans l'urgence en faveur des entreprises touristiques en liaison avec les Chambres de commerce et d'industrie. 120 à 130 millions d'aides seront débloquées, auxquelles s'ajouteront des avances remboursables via la CADEC.
Aides d'urgence
Ces mesures viendront abonder celles de l’État, notamment un prêt garanti sur 5 ans à hauteur de 25% du chiffre d'affaire. Un ensemble d'aides qui, même s'il ne compensera pas l'énorme manque à gagner, soulagera provisoirement les trésoreries...«Ces mesures répondent à l'urgence et nous avons bien conscience qu'elles sont parcellaires il faudra à terme un vaste plan de relance de l'activité qui impliquera l'ensemble des acteurs. La Collectivité de Corse mais aussi l’État et l'Europe». La Présidente de l'ATC prévoit également, lorsque la crise sera passée, une vaste campagne promotionnelle même si pour l'heure la prudence reste de mise.
Les modalités de déconfinement vont définir le marché
Au plan national, l'incertitude est la même pour Christian Mantei le Président d'Atout France. Pour l'heure, le bilan est désastreux, les pertes sont estimées à 40 milliards d'euros s'il l'on s'en tient à la période de février à mai. Certes, il se félicite de la réaction rapide du gouvernement et des mesures d'aides mises en œuvre, tout comme du suivi hebdomadaire par le Ministre en liaison avec les différents acteurs du tourisme. Mais les interrogations quant à la suite sont nombreuses et la nécessité d'anticiper sur les défis qui se présentent, urgente.
Pour lui tout va dépendre, d'abord, de la façon dont le déconfinement va être préparé et mis en œuvre. S'il se fait par zones ou par générations et dans quelles mesures les territoires vont pouvoir coordonner l'offre de transport et d'hébergement.
« Ce sera le point de départ d'un renouveau touristique car cela va définir une nouvelle façon de vivre. Comment accepterons-nous les nouvelles contraintes, parce qu'il y en aura? Comment allons-nous organiser les nouvelles façons d'accueillir ? Quelle sera la nouvelle offre et les destinations disponibles ? Le niveau de transport aérien et maritime ? Autant de questions qu'il convient d'anticiper dès maintenant. »
La volonté de rester dans son pays après le confinement
Pour le directeur d'Atout France, un certain nombre de données commencent à apparaître dont celle qui privilégie le marché domestique.Une volonté de rester chez soi, de se rapprocher de sa famille, un sentiment qui est fortement encouragé par les gouvernements respectifs afin de favoriser la consommation au sein de son propre pays.
Pour Christian Mantei il s'agit-là d'un élément nouveau dans les comportements et la Corse pourrait en bénéficier grandement. Le retour chez soi et le rapprochement familial sont des données essentielles après une crise sanitaire comme celle-ci.
Pour autant, il faudra du temps et une réflexion approfondie sur la refondation d'une activité économique qui pèse 10% du PIB mondial et la même proportion d'emplois sur la planète.
Une réflexion et une solidarité qui ne se limiteront pas à la profession ou aux territoires concernés mais de façon plus large, à l'ensemble de l'espace européen.