Le procès du cambriolage d’un couple de septuagénaires à leur domicile de Corbara, en mai 2017, se déroule depuis lundi aux assises de la Haute-Corse. Les audiences sont prévues pour prendre place sur huit jours. Cinq hommes sont accusés de vol et séquestration dans ce dossier.
"Comment avez-vous été amené à participer à ce commando ?" Cinquième jour du procès du cambriolage avec violence et séquestration, survenu le 26 mai 2017 à Corbara, aux assises de Haute-Corse. Ce vendredi 3 décembre, ce sont les raisons qui ont poussé les accusés à commettre ce crime que le président de la cour, Thierry Jouve, a choisi de décortiquer.
Maintes fois mentionné depuis l’ouverture du procès, le "commanditaire" est une nouvelle fois revenu au centre des débats.
"L'idée de cette atrocité venait d'une autre personne"
Premier à prendre place à la barre, Maxime D’Oriano, 25 ans. Moins loquace qu’au cours des jours précédents, le jeune homme affirme avoir entendu, lors de la réunion préparatoire tenue la veille du cambriolage "que l’idée de cette atrocité venait d’une autre personne". Cette personne, assure-t-il, il ne la connaît pas, et n’a pas non plus envie de la connaître.
Il ne sait pas non plus s’il s’agit vraiment d’un commanditaire, ou d’un simple indicateur, ajoute-t-il.
Moi, j’émets l’hypothèse que vous avez peur d’évoquer la présence d’un commanditaire.
Un détail qu’a du mal à concevoir Me Pierre Bruno, conseil d’Anthony Rutily, qui pointe qu'un proche a pourtant abordé, dans des écoutes et à la barre du procès, l'hypothèse d'un commanditaire. "Vous allez essayer de me faire croire que vous n’en avez pas parlé avec [ce proche], que [ce proche] était plus renseigné que vous ?" "C’est exactement ce que je dis", lui répond Maxime D’Oriano. "Moi, j’émets l’hypothèse que vous avez peur d’évoquer la présence d’un commanditaire", reprend Me Pierre Bruno.
Dangereuse influence
Interrogé à la suite, Jean-Baptiste Gaffory l’assure : oui, il y avait bien un commanditaire. L’histoire remonterait à presque un an avant le cambriolage. "Je suis approché par une personne qui n’est pas ici, qui commence à exercer une emprise sur moi. Au début, nos rencontres étaient amicales, il venait tout le temps nous voir avec Anthony. C’était une personne plus âgée que moi, avec laquelle j’aimais bien traîner, et dont je ne donnerais pas le nom, parce que j'en ai peur."
"Partout où nous étions, il l’était aussi", confirme Anthony Rutily. Mais peu à peu, le comportement de l’homme en question commence à changer : aux bons gestes amicaux font place des remarques dépréciatives appuyées sur les insécurités de Jean-Baptiste Gaffory et Anthony Rutily.
"Il disait du mal du mode de vie que je menais à l’époque, me faisait des piques… souffle Jean-Baptiste Gaffory, la tête entre les mains. À Anthony, il lui disait : ton père, il ne serait pas comme toi, ton père il serait plus courageux."
Cela fait 5 ans que je me demande comment on a pu écouter ces ordres-là.
"Vous savez, analyse Anthony Rutily face aux magistrats et aux jurés, cela fait 5 ans que je me demande comment on a pu écouter ces ordres-là. Je pense que la réponse c’est qu’il a planté une petite graine et l’a laissé mûrir, pendant des mois et des mois, jusqu’à ce qu’on finisse par accepter de faire quelque chose d’aussi horrible."
"Vous idéalisiez cette personne ?", demande le président. "Bien sûr. Il était plus âgé que nous, et avait une certaine aura. Et puis avant la prison, avant l’accident de voiture, je n’étais pas le même, j’étais beaucoup plus influençable."
200.000 euros espérés
Un an à peu près après leur première rencontre, l’homme en question approche Jean-Baptiste Gaffory, "en me parlant d’un cambriolage dans lequel il y aurait de l’argent facile à se faire. La somme de 200.000 euros a été avancée, et puis il m’a parlé de la situation géographique de la maison. C’était quelques jours seulement avant les faits."
L’homme, poursuit-il, lui demande d’effectuer un repérage du domicile des victimes. "Ce coup, vous deviez le faire seul ?", l’interroge Thierry Jouve. "Non. On en discute et il me dit que je peux y aller avec qui je veux, qu’il faut que je prenne 4 personnes et qu’on ramène l’argent. À ce moment-là, il me donne beaucoup de directives, mais on ne parle pas de l’organisation du braquage ou quoi que ce soit."
On en discute et il me dit que je peux y aller avec qui je veux, qu’il faut que je prenne 4 personnes et qu’on ramène l’argent.
Le repérage est organisé la veille du cambriolage, "nous étions deux, avec une autre personne dont je souhaiterais ne pas donner le nom. Au retour, je donne les indications au commanditaire, en lui parlant notamment de l’homme d’une quarantaine d’années que je pensais être monsieur Romani. Et là, il commence à nous parler des kits de braquage." L’individu lui décrit également le mode opératoire à mettre en oeuvre, et la façon d’utiliser de l’acétone pour effacer leurs traces, affirme Jean-Baptiste Gaffory.
"L'idée, c'était de lui ramener à la fin les 200.000 euros, et il en prendrait 50%. Le reste, on le partagerait entre nous", détaille Anthony Rutily.
Un coup à cinq
À ce stade, précise Jean-Baptiste Gaffory, trois personnes sont déjà mobilisées pour le commando : Anthony Rutily, lui-même, et Jean-Gabriel Del Piero.
Ce dernier admet avoir été attiré par l'appât du gain. "Je me souviens qu’on me parle d’une très grosse somme d’argent, même si j’ai été étonné de voir que l’idée émanait des personnes qui m'abordent avec ce projet, parce que cela ne leur ressemblait pas."
Ne manque alors plus que deux personnes pour compléter l’équipe. "Elles sont recrutées le soir même", indique Jean-Baptiste Gaffory. "Mais qui les recrute exactement ?, reprend le président. Parce qu’il s’agirait du second meneur." "Je ne sais pas vraiment", souffle le jeune homme.
Parmi les deux derniers membres recrutés, Maxime D’Oriano. "On me parle de 200.000 euros au total, et que le partage serait fait après", indique-t-il. "Vous y êtes allé sans négocier un prix ? Vous pensiez que ce serait un partage égalitaire ?" s’étonne le président. "Je ne sais pas. Nous n’en n’avions pas parlé."
Partage inéquitable
L’argent du braquage et le fusil airsoft emprunté est transporté par Anthony Rutily au commanditaire. Sur cette somme, l’accusé indique conserver pour lui, avant de déposer les enveloppes, 2000 euros.
Maxime D’Oriano repart lui de Corse quelques jours après le cambriolage avec 2000 euros en poche. Un argent qu’il dépense pour sa propre personne, admet le jeune homme, sans en donner à sa mère, comme il a pu l’indiquer lors d’auditions menées par les enquêteurs. "Je disais ça pour me donner bonne conscience", soupire-t-il.
Jean-Gabriel Del Piero empoche 300 euros, qu’il a subtilisés sans la connaissance de ses camarades qu’il venait de récupérer, alors qu’ils remplissaient sa voiture de leurs matériels et des enveloppes d'argent, une fois le crime accompli. Il assure également avoir retrouvé dans la boîte à gant, des mois après le cambriolage, une enveloppe contenant "autour de 1200 euros". Deux sommes qu'il assure avoir restituées en intégralité aux victimes, par le biais de trois courriers contenant 500 euros chacune, et marquées, en gros, d’un mot : "PARDON".
J’avais déjà pris conscience de la gravité des faits, et je n’en avais plus rien à foutre de l’argent.
"Vous n’avez rien touché directement du partage ?", s’étonne le président. "Non. Mais à ce moment-là, j’avais déjà pris conscience de la gravité des faits, et je n’en avais plus rien à foutre de l’argent."
Jean-Baptiste Gaffory indique lui ne pas avoir reçu le moindre centime, "juste un peu de shit (sic)" : 100g de cannabis "de mauvaise qualité". "C’est ce qui était prévu ?", s’étonne le président. "On m’avait fait miroiter beaucoup plus d’argent." "Comment expliquez-vous d’avoir été aussi mal traité ?", insiste le magistrat. "Parce que je suis un guignol, c’est tout !", s'exclame l’accusé.
André Gagliano, interrogé, continue de son côté de nier l'ensemble des accusations à son encontre. "Je ne sais pas si je dois le dire en pleurant ou en étant catégorique, mais je n'y étais pas. Je ne peux pas vous aider. Je découvre en même temps que vous des choses dans ces débats."
La mise au point des parties civiles
Outre la poursuite des interrogatoires des accusés, et au lendemain du récit des faits tenu par les accusés, les parties civiles ont également eu la possibilité de revenir, face à la cour, sur les points de discordances entre les déclarations entendues, et ce qu’ils affirment avoir vécu.
Un épisode engage un long débat : celui survenu juste avant le départ des cambrioleurs du domicile, et après la découverte des enveloppes dans le bureau de Jean-Pierre Romani.
Le septuagénaire se trouve alors au sol, les mains attachées par des serflex, et en dessous des poutres dans lequel a été trouvé une partie de l’argent.
Jean-Pierre Romani a-t-il volontairement été aspergé d’acétone ?
Jean-Pierre Romani, revenu à la barre, affirme avoir été aspergé d’une grande dose d’acétone, liquide qui est par ailleurs rentré dans sa bouche, lui endommageant les cordes vocales. Une déclaration en directe contradiction avec celle de Jean-Baptiste Gaffory, l’un des accusés, la veille, qui indiquait avoir uniquement utilisé le produit sur la poutre pour effacer ses empreintes et sur les lieux alentours, sans jamais viser la victime.
Le détail a son importance : car à cet instant, Jean-Pierre Romani en était convaincu, on allait "lui mettre le feu". Une crainte qui rajoute à l'horreur vécue par la victime.
"Si je peux me permettre, je n’ai jamais voulu… Je n’ai pas fait exprès de vous asperger, monsieur Romani", sanglote le jeune homme, assis directement sur la chaise à côté de la barre des témoins.
À ce moment-là, moi, j’étais au sol, je t’ai dit « Chì fate ? Qu’est-ce-que tu fais ? », et là, j’ai été aspergé.
"Allez, allez", murmure Jean-Pierre Romani, qui tend la main vers Jean-Baptiste Gaffory, comme pour le consoler, avant de la rétracter sans l’avoir touché. "À ce moment-là, moi, j’étais au sol, je t’ai dit « Chì fate ? Qu’est-ce-que tu fais ? », et là, j’ai été aspergé. J’en ai même avalé, regarde, tu vois je parle encore mal à cause de ça maintenant."
Là encore, Jean-Baptiste Gaffory insiste : il n’a jamais sciemment tenté d’asperger la victime du produit. Une réponse qui peine à convaincre les parties civiles.
Les coups et les gifles
Autre point de désaccord : les coups et les gifles que Jean-Pierre Romani se souvient avoir reçu, à l’entrée de sa maison. Si Maxime D’Oriano a reconnu les "deux ou trois" coups de pied assenés à la victime lorsqu’elle se trouvait dans le bureau, à l’étage, aucun des accusés n’a admis avoir frappé Jean-Pierre Romani à aucun autre moment.
Jean-Baptiste Gaffory et Anthony Rutily, chargé de "prendre en compte" le septuagénaire a leur arrivé sur les lieux, ont préféré parler d’une chute accidentelle. Une version fermement niée par la victime.
Le fusil disparu
Troisième sujet de discorde : la mystérieuse disparition du fusil des Romani, placé dans la chambre à coucher, et devenu introuvable selon les victimes des suites du cambriolage. Les quatre accusés reconnaissant les faits insistent : ils n’ont ni volé, ni même vu l’arme à feu en question.
Des divergences et flous que le procès devra, dès sa reprise lundi 6 décembre, s’atteler à éclaircir.
Le procès d’assises est prévu pour se tenir jusqu’au mercredi 8 décembre.