Le procès du cambriolage d’un couple de septuagénaire à leur domicile de Corbara, en mai 2017, se déroule depuis lundi aux assises de la Haute-Corse. Les audiences sont prévues pour prendre place sur huit jours. Cinq hommes sont accusés de vol et séquestration dans ce dossier.
Pour Olga Romani, 74 ans, "il y a un avant et un après". Une cassure nette, un fossé qui s’est creusé le jour de "l’incident", le cambriolage de sa maison et l’agression de son mari, le 26 mai 2017.
"Avant, notre maison était un lieu ouvert, où tout le monde était toujours bien accueilli. Maintenant, j’y suis toujours enfermée. On vit différemment, avec des portails automatiques, des alarmes et des caméras, des tas de protection auxquelles nous n’étions pas habitués. Avant, j’étais heureuse de rentrer chez moi. Maintenant, je suis heureuse quand je m’en vais."
Avant, j’étais heureuse de rentrer chez moi. Maintenant, je suis heureuse quand je m’en vais.
Ce mercredi 1er décembre, c’est avec son témoignage que s’ouvre cette troisième journée de procès. Un récit qui intervient après celui de son mari, qui s’est exprimé devant les magistrats et jurés la veille.
"J’ai tout de suite compris que c’était un braquage"
Ce jour-là, se souvient-elle, le couple s’est levé plus tard qu’à l’habitude. Il n’est pas encore tout à fait 8 heures, et Olga Romani se trouve dans la cuisine, où elle écoute les informations sur sa radio. "Et puis je me suis penchée, et j’ai vu par la fenêtre plusieurs personnes habillées de noir qui marchaient d’un pas rapide. J’ai tout de suite compris que c’était un braquage."
Olga Romani se cache dans un recoin de la cuisine, "à côté du micro-ondes". "Il n’y avait pas beaucoup de place, et je me disais que si quelqu’un passait la tête par la cuisine, on allait forcément me voir."
"Cette voix, je pense l'avoir reconnue"
Là, la septuagénaire entend son mari être sommé de donner de l’argent. "Cette voix, je pense l’avoir reconnue dans les interventions depuis le début du procès, précise-t-elle face à la cour. Mais je n’en suis pas sûre".
"Dites toujours", l’encourage le président de la cour d’assises, Thierry Jouve. "Non, je laisserai la personne qui est concernée le dire elle-même, si elle est assez courageuse", insiste Olga Romani. "Mais cette voix que vous avez entendue, elle fait partie des cinq accusés ?", questionne l’avocat général, Frédéric Metzger. "Oui, c’est le même genre de voix".
Je lui ai dit : Anthony, on est braqués à la maison, appelle vite la gendarmerie !
La commerçante reprend son récit. De sa cachette dans la cuisine, raconte-t-elle, elle aperçoit deux individus monter à l’étage, le dos courbé et la main sur la cuisse, "sûrement pour retenir quelque chose".
"J’ai attendu un petit moment, puis j’ai retraversé la pièce pour saisir mon téléphone, et je suis allée me cacher dans une petite salle attenante à la cuisine pour téléphoner à mon fils. Je lui ai dit : Anthony, on est braqués à la maison, appelle vite la gendarmerie !"
Après elle, Anthony Romani, 40 ans, précise face à la cour. "Il était 8h04, ou peut-être 8h05. J’étais dans ma salle de bain, en train de prendre ma douche, mais j’ai décroché. Ma mère avait une voix complètement sclérosée et paniquée."
"Je me suis dit, ce n’est pas possible, ce n’est pas en train d’arriver"
Camouflée, Olga Romani entend des coups, des cris, et une menace de "couper quelque chose" proférée à son mari.
Dans le même temps, Anthony Romani contacte la gendarmerie, et se met aux fenêtres de sa villa, qui surplombe celle de ses parents pour tenter d’apercevoir "un maximum de choses qui pourraient être utiles à l’enquête". "Ce que j’ai vécu à ce moment-là, je ne le souhaite à personne. J’étais complètement paniqué, et je me suis même dit un instant ce n’est pas possible, ce n’est pas en train d’arriver."
"Si mon père est kidnappé, là, on ne pourra plus rien faire"
S’en suivent pour la mère et le fils de longues minutes d’inquiétudes. En entendant la voiture de son époux démarrer, Olga Romani panique, et rappelle Anthony. Il est alors aux environs de 8h10. "J’ai entendu notre véhicule qui partait en trombe, et j’ai cru qu’ils emmenaient Jean-Pierre". Au même moment, Anthony Romani suit l’avancée du Berlingo depuis ses fenêtres. "Je me suis dit, si mon père est kidnappé, là, on ne pourra plus rien faire."
Peu de temps après, Olga Romani entend, enfin, son mari l’appeler. "J’étais tétanisée, je n’ai pas réussi à bouger. Je ne suis sortie que lorsque j’ai entendu les gendarmes m’appeler à leur tour. Après quoi ils nous ont emmenés rapidement à la gendarmerie, parce qu’ils voulaient prendre nos témoignages à chaud. Nous n’avons même pas eu le temps, ce matin-là, de prendre notre petit-déjeuner."
"C’est une répétition traumatique, c’est le supplice chinois"
Droite et digne à la barre, Olga Romani dévoile, à la demande du président, les séquelles toujours bien présentes de cet événement. "Pendant la première année, avant qu’il n’y ait les interpellations, on se demandait en permanence qui ça pouvait être. Certains venaient nous voir et nous disaient : tu sais, c’est celui-là, c'est celui-ci. Mais on faisait abstraction de tout ça tant que la gendarmerie ne nous confirmait rien."
On vit dans une petite ville, dans un microcosme qui ne nous permet pas d’avoir l’anonymat et la possibilité de ne plus en parler. Tous les jours, depuis quatre ans, ça revient sur le tapis.
Des rappels constants de l’agression de ses parents difficiles à gérer pour Anthony Romani : "On vit dans une petite ville, dans un microcosme qui ne nous permet pas d’avoir l’anonymat et la possibilité de ne plus en parler. Tous les jours, depuis quatre ans, ça revient sur le tapis. On vient me voir, on me dit « au fait, vous en êtes où dans votre affaire ? » « il va mieux ton père ? ». C’est une répétition traumatique, c’est le supplice chinois, tous les jours, tous les jours."
"Cet événement a empoisonné notre famille, continue-t-il. Notre maison, c’était notre sanctuaire, et en faisant ce qu’ils ont fait, ils l’ont souillé. Ce qu’ils nous ont fait, c’est notre 11 septembre, c’est notre Bataclan."
Sentiment d’insécurité
Plus encore, mère et fils admettent ne plus se sentir aussi en sécurité qu’auparavant.
"Je suis arrivée à un stade où j’étais obligée de fermer toutes les portes quand j’étais seule chez moi. J’ai commencé à voir une psychologue parce que je ne m’en sortais pas, je n’arrivais même plus à aller sur ma terrasse (l’endroit par lequel les cambrioleurs sont passés pour rentrer dans le domicile, ndlr) pour étendre mon linge. Je ne peux plus monter dans le bureau où ils ont emmené mon mari, je ne peux plus descendre par là où était garée la voiture, je ne peux plus faire les courses toute seule…", souffle Olga Romani, la voix presque éteinte.
"Après ça, j’ai eu envie de partir, de tout abandonner. Mais comme ma famille est ici, je me suis raisonnée, en me disant que ça passera. Ça ne passe pas."
On se sent obligés de faire attention à tout.
"Pour ma part, poursuit Anthony Romani, étant quelqu’un de très exposé puisque je suis souvent en ville, étant donné que je m’occupe des quatre commerces familiaux, tous les jours, quelqu’un peut potentiellement me tomber dessus. C’est quelque chose auquel on pense, forcément. On se sent obligés de faire attention à tout."
"Ce sont des familles que nous connaissons"
L’annonce des interpellations, en avril 2018, n’a apporté que peu de réconfort à la famille, soupire Olga Romani. "Lorsqu’on a pris connaissance des noms, ça a été un deuxième coup de massue, parce que toutes ces familles, à part celle de monsieur Gaffory, ce sont des familles que nous connaissons. Monsieur Gagliano, je lui ai d’ailleurs présenté mes condoléances lors du décès de son grand-père."
Une découverte qui la plonge dans un grand désarroi, d’autant plus qu’elle s’est effectuée par voie de presse. "Personne ne nous a prévenus avant que ça ne sorte. On a appris ça en même temps que tout le monde."
"Mon père, ils ne l’ont pas braqué, ils l’ont humilié"
Anthony Romani conclut son témoignage en s’adressant aux accusés. "Je veux leur dire que ce qu’ils ont fait, comme j’ai pu l’entendre lors de ce procès, ce n’est pas juste un cambriolage ou une « grosse bêtise ». Mon père, ils ne l’ont pas braqué, ils l’ont humilié et se sont amusés de son désarroi. Est ce que le spectacle de notre effondrement les fait jouir ? Je voudrais bien le savoir."
Le fils des victimes se tourne vers eux. "Si vous n’aviez pas emmagasiné tant d’arrogance et de haine pour accomplir que ce que vous avez fait, si à un moment l’un d’entre vous avait dit : attendez les gars, on est en train de faire n’importe quoi, partons d’ici, vous auriez passé Noël en famille cette année, assène-t-il, avant de conclure : je vous souhaite de guérir du mal qui vous ronge."
Les proches de Maxime D’Oriano à la barre
Outre les parties civiles, c’est toute une série de témoins qui ont été appelés à la barre, pour cette troisième journée d’assises.
Le jardinier des victimes, une voisine ayant vu des jeunes "traîner" autour de l’habitation des Romani la veille des faits, mais l’après-midi a avant tout été consacrée aux témoignages des proches de Maxime D’Oriano.
Deux amis d’enfance parisiens, dans un premier temps. Le soir même du cambriolage, le jeune homme les a appelé et leur a confié avoir commis les faits. Interrogés séparément, tous deux à distance par vidéo, les deux jeunes hommes l’affirment, Maxime D’Oriano "n’était pas fier du tout de lui", "on sentait qu’il avait des remords, qu’il ne se sentait pas bien".
"On sentait qu’il n’aimait pas avoir cet argent, que c’était de l’argent sale pour lui"
L’un comme l’autre indique ignorer ce que leur ami a fait de l’argent touché des suites de l’attaque, 2000 euros. "Mais on sentait qu’il n’aimait pas avoir cet argent, assure l’un, que c’était de l’argent sale pour lui"."Cet argent, il aurait pu le donner à sa mère ?", questionne l’avocat général. La réponse est catégorique : "Non, jamais."
La Corse, assure le second jeune homme, c’était "les origines" de Maxime D’Oriano, "il en était fier". Mais depuis le cambriolage, "ça l’avait dégoûté, de tout ça et des mentalités de malfrats", plus spécialement des personnes qu’il y fréquentait.
Les deux amis parisiens détaillent, chacun durant leur témoignage respectif, être venus en vacances en Corse quelques années plus tôt aux côtés de Maxime D’Oriano, et y avoir rencontré Andréa Gagliano, une fois chacun, et Anthony Rutily, plus souvent.
"L’impression qu’il m’a donné, indique le second témoin au sujet de ce dernier, qui l’a rencontré en 2013, c’était qu’il avait une attitude de meneur, avec son argent et sa réputation. Mais c’est normal, dans un groupe, il y a toujours un meneur."
Un garçon "aimant" et "gentil"
Aux amis font suite, les uns après les autres, des membres de la famille de Maxime D’Oriano. Sa mère, son père, son cousin et sa tante. De tous, c’est la première, Michelle D’Oriano, qui restera le plus longtemps à la barre.
Maxime D’Oriano, assure-t-elle, est un enfant gentil, d’une certaine fragilité, qui partageait son temps depuis l’enfance entre Paris avec sa mère et la Corse, où réside son père. "Maxime a recréé une seconde famille ici", commence-t-elle, avant d’expliquer que très tôt, plusieurs membres de sa famille lui ont déconseillé de le laisser fréquenter Anthony Rutily.
"Ils n’avaient qu’autour de 10 ans l’époque, et moi je disais vous plaisantez, c’est un enfant. Cette stigmatisation, moi, je ne voulais pas. Si elle n’avait pas existé, on ne serait peut-être pas arrivés à ce point."
L’interpellation de son fils dans le cadre de cette affaire, dit-elle, a été un moment terrible, d’autant plus qu’elle ne disposait, au début, que de peu d’informations. Elle se rend à l'Ile-Rousse, et y rencontre là-bas plusieurs personnes, une vingtaine estime-t-elle, "qui viennent [la] voir et [lui] disent « Oh Michelle, courage, ne t’inquiète pas, ce sont des petits jeunes qui se sont laissés embringués là dedans, on sait qu’il y a quelqu’un au-dessus »".
La piste d'un commanditaire de nouveau au centre des débats
Cette "personne au-dessus", entend-elle dire, c’est Laurent Emmanuelli. Un délinquant défavorablement connu de la police et visé par plusieurs enquêtes la Jirs, dont le nom avait déjà été évoqué la veille lors des débats, là encore en tant que potentiel commanditaire, sans qu'aucune preuve matérielle sur ce point n'ait été délivrée.
Cet homme, Michelle D’Oriano "ne le connaît pas". "Mais vous savez quand vous avez une personne, deux personnes, trois, qui en plus ne se fréquentent pas qui vous en parle, ça vous interpelle", explique-t-elle au président de la cour. Une information qu’elle a fait remonter auprès des enquêteurs le 26 avril 2018, précise-t-elle, et que Me Pierre Bruno, conseil d’Anthony Rutily, invite à inscrire dans le marbre de la procédure.
Pour moi, mon fils, c’est quelqu’un de très aimant et très protecteur.
"Pour moi, mon fils, c’est quelqu’un de très aimant et très protecteur", insiste Michelle D’Oriano. "S’il n’avait pas admis sa participation au cambriolage, je ne l’aurais pas accepté", conclut-elle, le visage marqué par l’émotion.
Assis à un petit mètre d’elle, sur le banc des accusés, Maxime D’Oriano, les larmes qui roulent sur les joues, l’écoute sans un mot. Comme l’ensemble des accusés, il risque dans cette affaire jusqu’à la peine maximale.
Ce jeudi 2 décembre, la parole devrait être donnée aux accusés. L'occasion pour la cour de revenir avec eux sur leur version respective du déroulé des faits.
Le procès d’assises est prévu pour se tenir jusqu’au mercredi 8 décembre.