Le procès du cambriolage d’un couple de septuagénaires à leur domicile de Corbara, en mai 2017, a débuté lundi 29 novembre devant la cour d’assises de la Haute-Corse. L'avocat général a requis des peines allant de 4 à 8 ans d'emprisonnement à l'encontre des cinq accusés.
Septième et avant-dernier jour du procès du cambriolage avec violence et séquestration survenu le 26 mai 2017 à Corbara, devant les assises de Haute-Corse. Ce mardi 7 décembre, après le rappel des diverses questions qui seront posées - au nombre de 76 - pour déterminer la culpabilité des cinq jeunes hommes, la parole est donnée à l’avocate des parties civiles, Me Claire Mathieu.
Le "besoin de justice" des parties civiles
"Le 26 mai 2017, entame l’avocate face aux magistrats et jurés, les membres de la famille Romani ont assisté impuissants à la disparition injuste, inexplicable et abominable de la paix de la quiétude qui régissaient jusque-là leur existence. Et c’est mus par un besoin de justice qu’ils se présentent devant vous aujourd’hui."
Avec cette idée, poursuit Me Claire Mathieu, "que la justice doit s’efforcer de trouver les quelques formules qui apaisent l’angoisse des âmes libres, restaurer du sens dans ce qui paraît absurde, tenter de recoudre au mieux ce qui a été déchiré, arraché."
Les membres de la famille Romani ont assisté impuissants à la disparition injuste, inexplicable et abominable de la paix de la quiétude qui régissaient jusque-là leur existence.
D’un lieu de refuge à un lieu d’insécurité
Ces 10 minutes de cambriolage, aussi courtes soient-elles, cette matinée du 26 mai 2017, ont changé la vie du couple Romani. Pour le pire. D’un "lieu de refuge et de paix", leur domicile est devenu "un lieu d’insécurité, froid, abritant l’ombre d’un danger imminent", regrette leur avocate.
Jean-Pierre Romani a été violenté, "roué de coups de pied" alors même qu’il était au sol, ne pouvant qu’implorer ne pas être touché au visage, lui qui se remettait tout juste d’un AIT (accident ischémique transitoire), survenu deux semaines plus tôt. Il a été aspergé d’acétone, et pas par erreur, mais intentionnellement, insiste Me Claire Mathieu.
"Ce ne sont pas des gouttes qu’il a reçues, son t-shirt était trempé. Il disait « ne faites pas ça, ne faites pas ça ! ». Il pensait qu’il allait être immolé, qu’on incendierait avec lui sa maison. Imaginez son état."
"Jean-Pierre Romani dit juste ce qu’il a vécu, ni plus, ni moins"
"Jean-Pierre Romani l’a dit dans sa première déposition : « moi, je n’ai pas le droit de mentir ». Il dit juste ce qu’il a vécu, ni plus, ni moins, avec la franchise qui est la sienne", souligne Me Claire Mathieu.
Cela, aussi bien concernant les faits que les accusés ont admis que les détails qu’aucun n’a reconnus, à savoir la présence des armes, le fusil des Romani disparu, les coups de pied et gifles donnés au septuagénaire avant d’entrer dans la maison, cette aspersion qu’il estime volontaire à l’acétone sur sa personne, donc.
Qui sont ces personnes venues chez moi ? Est ce qu’elles vont revenir ?
Pendant un an, tout le temps des investigations et avant la première interpellation, les Romani vont rester seuls et meurtris, souffle leur avocate. Remplis de questions, "Qui sont ces personnes venues chez moi ? Est ce qu’elles vont revenir ?" L’annonce de l’arrestation de Maxime D’Oriano, par voie de presse, a entraîné une nouvelle stupeur, celle de comprendre que ces jeunes sont issus du même bassin de vie qu’eux.
Des jeunes qu’ils ont pu côtoyer, dont ils connaissent, pour la plupart, les familles. "Et ça, ça fait très mal."
Les parties civiles convaincues de la participation d’Andréa Gagliano
Maxime D’Oriano va désigner ses co-auteurs, détailler les faits, et le long des auditions, les récits des jeunes hommes - hormis Andréa Gagliano, qui nie les accusations portées à son encontre - vont évoluer, jusqu’au jour de comparution. Ils admettent l’existence d’un repérage, mené par Jean-Baptiste Gaffory et une autre personne qu’il refuse de nommer.
Cette personne, c’est Andréa Gagliano, estime la partie civile. Les victimes en sont convaincues : Andréa Gagliano a aussi pris part au cambriolage.
Mais en réalité, des explications, je n’en ai pas réellement entendues.
"C’est vrai, les accusés se sont excusés à plusieurs reprises, indique l’avocate. Mais ils sont toujours incapables d’analyser en eux-mêmes les ressorts qui les ont motivés à commettre ce crime. Ce sont des garçons intelligents, instruits, on nous l’a dit, qui n’ont pas besoin d’argent. Certains, deux, disent avoir été sous l’emprise d’une certaine personne. Mais en réalité, des explications, je n’en ai pas réellement entendues", tranche Me Claire Mathieu.
"En filigrane, je comprends plutôt l’opportunité de l’argent facile", et l’inconscience qui empêche de se rendre compte qu’en faisant un tel coup, on détruit un autre homme, une famille.
Un crime, et non pas "un simple cambriolage qui a mal tourné"
Aujourd’hui, les Romani souffrent encore des faits, regrette leur avocate. "Que leur reste-t-il ? Un préjudice colossal. Et c’est pour cela qu’ils s’estiment victimes d’un crime, et non pas d’un simple cambriolage qui a mal tourné." Plus encore, et cela rajoute à la douleur, ils ne croient pas à un vol commandé sans savoir les propriétaires de la demeure, comme l’affirment les accusés.
"Ils sont convaincus qu’ils ont été minutieusement sélectionnés parce que c’étaient eux, que c’était un complot. Imaginez-vous à quel point cela doit être désagréable de penser ça, et penser qu’il y a pu avoir un tel déchaînement de violence, à quatre sur une personne de 71 ans !"
Ce que les Romani veulent, c’est retrouver la paix. Ce qu’ils attendent, c’est que justice soit rendue.
L’avocate conclut : ce qui leur est arrivé est "abominable". Le couple est désormais contraint de vivre différemment, "pas parce qu’ils l’ont choisi, mais parce qu’on leur a imposé, en les enfermant dans une prison mentale", peuplée de cauchemars et flash-back des événements, incessamment.
"Ce que les Romani veulent, c’est retrouver la paix. Ce qu’ils attendent, c’est que justice soit rendue."
Me Claire Mathieu retourne au banc des parties civiles, la mine fermée, tandis que le président de la cour, Thierry Jouve, indique une brève suspension d’audience. Jean-Pierre et Anthony Romani, le mari et le fils, enlacent Olga Romani, très éprouvée. "On attend jeudi avec impatience, glisse Anthony Romani. Qu’on puisse enfin passer à autre chose, aller de l’avant. C’est ce qu’on espère tout du moins."
"Il n’y a aucune raison dans ce dossier de penser que Maxime D’Oriano accuse Andréa Gagliano à tort"
La séance reprend avec le réquisitoire de l’avocat général, Frédéric Metzger.
"Ce qu'il est important de constater, c'est la disparité entre le temps du cambriolage, moins de 10 minutes, et la pérennité que l'évenement a eu sur les Romani, à qui on a enlevé le droit de vivre en tranquillité. Dans cette affaire, les Romani, eux, ont pris la perpetuité."
L’objectif pour le ministère public, assure-t-il, n’est pas d’une accusation systématique. S’il était convaincu de l’innocence d’Andréa Gagliano, il aurait plaidé la relaxe, assure-t-il. Ce n’est pas le cas.
"Maxime D’Oriano a reconnu au bout de sa cinquième garde à vue le nom de ses cinq co-auteurs". Des faits que Jean-Baptiste Gaffory, Anthony Rutily, et Jean-Gabriel Del Piero ont par la suite reconnu. "A-t-il menti pour ceux-là ? Non. Et quand il donne aussi le nom d’Andréa Gagliano, il n’y aucune raison dans ce dossier de penser qu’il l’accuse à tort."
Les deux accusés n’étaient pas en conflit, reprend Frédéric Metzger. "Quel intérêt aurait-il eu à impliquer un ami n’était pas présent ? Je n’en vois aucun". Plus encore, Maxime D’Oriano avait déjà mentionné le nom d’Andréa Gagliano auprès d’amis à lui comme membre du cambriolage bien avant son arrestation, insiste le représentant du ministère public.
Quel intérêt aurait-il eu à impliquer un ami n’était pas présent ? Je n’en vois aucun
Quant aux déclarations d’Anthony Rutily, indiquant qu’Andrea Gagliano ne se trouvait pas sur les faits, "elles sont intervenues un mois et une semaine après que le nom de son ami comme participant au cambriolage ait été donné. Il le savait, et n’a rien fait pendant tout ce temps."
"Andréa Gagliano est bien coupable des faits qui lui sont reprochés, tout comme le sont les autres accusés", tranche l’avocat général.
La complicité de Jean-Gabriel Del Piero, précise Frédéric Metzger - qui plaide la bande organisée, soit une circonstance aggravante - doit être constituée dans l’ensemble des circonstances aggravantes survenues. Cela qu’il l’ait su à l’avance ou non, aussi bien le cambriolage à main armée que la séquestration.
Des enquêtes de personnalité "ni à charge, ni à décharge"
Concernant la personnalité des accusés, les enquêtes de personnalités détaillées au cours des derniers jours ne sont "ni à charge ni à décharge" contre les jeunes hommes, estime Frédéric Metzger.
"Nous avons des jeunes hommes qui ont fait face à des difficultés, dans leur vie. Mais rien qui ne puisse expliquer, en sorte, les évenements. J’aurai aimé vous servir sur un plateau l’histoire d’hommes victimes de viols, d’abus, quelque chose qui me permettrait de dire « voilà, ils ont reproduits les violences connues dans leur enfance », mais ce n’est pas le cas".
En même temps, l'avocat général souligne les possibilités de réinsertion sociale pour chacun des accusés, et une dangerosité non-avérée pour la sécurité publique.
La demande d’une peine à la hauteur "de la sauvagerie des actes"
Frédéric Metzger revient sur l'ensemble des accusations portées contre les cinq jeunes hommes.
Jean-Baptiste Gaffory, accusé d’avoir pris part au repérage, à la réunion préparatoire, et au cambriolage ; d’avoir bailloné la victime pour la faire taire, lui avoir attaché les mains au serflex, et l’avoir potentiellement frappé - accusation qu’il nie -, d’avoir séquestré Jean-Pierre Romani, puis dérobé l’argent et la voiture des Romani, avant d’incendier le véhicule.
Anthony Rutily, accusé d’avoir pris part à la réunion préparatoire, au cambriolage avec une arme - qui s’il assure qu’elle était factice, "ne l’était pas aux yeux de Jean-Pierre Romani, qui assure même en avoir vu plusieurs" -. Accusé, également, d’avoir séquestré Jean-Pierre Romani, dérobé l’argent et la voiture, et d’avoir incendié le véhicule.
Maxime D’Oriano, accusé d’avoir pris part à la réunion préparatoire et au cambriolage ; d’avoir fouillé le domicile des Romani, porté des coups à Jean-Pierre Romani, et d’avoir dérobé l’argent. Pour son cas, le représentant du ministère public a demandé à la cour de prendre en considération, dans son jugement, la collaboration avec les enquêteurs de Maxime D’Oriano, sans qui "il n’y aurait eu que deux accusés à la barre".
Andrea Gagliano, accusé d’avoir pris part à la réunion préparatoire et au cambriolage, d’avoir fouillé le domicile des Romani et d’avoir dérobé l’argent.
Et enfin Jean-Gabriel Del Piero, accusé d’avoir pris part à la réunion préparatoire, et accusé de complicité des infractions de cambriolage, violences et séquestration.
Pour chacun, la cour doit prendre en compte pour décider des peines de la "sauvagerie des actes", appelle l'avocat général. "Une peine trop faible, qui ne sanctionne pas à juste mesure des faits, ne sera pas comprise par les victimes venues chercher justice."
Jusqu’à 8 ans d’emprisonnement requis
Frédéric Metzger requiert 8 ans d’emprisonnement pour Anthony Rutily, Jean-Baptiste Gaffory et Andrea Gagliano, 6 ans pour Maxime D’Oriano, et 4 ans pour Jean-Gabriel Del Piero.
Des réquisitions qui ont fait place aux plaidoiries de la défense, qui se poursuivront jusqu'à ce mercredi 8 décembre matin. Le verdict est attendu dans la journée.