Le procès du cambriolage d’un couple de septuagénaires à leur domicile de Corbara, en mai 2017, a débuté lundi 29 novembre devant la cour d’assises de la Haute-Corse. Les audiences sont prévues pour se dérouler sur huit jours. Cinq hommes sont accusés de vol et séquestration dans ce dossier.
Planning allégé, pour ce sixième jour du procès du vol avec violence et séquestration survenu à le 26 mai 2017 à Corbara, aux assises de Haute-Corse : ouverte à 10h, l’audience s’est terminée avant 17h, ce lundi 6 décembre.
Une décision du président de la cour, Thierry Jouve, qui aura le mérite de ménager les jurés, après une longue semaine et avant la tenue des plaidoiries des parties civiles et de la défense, et des réquisitions de l’avocat général, Frédéric Metzger.
Seul intervenant de la journée : le psychologue Alain Penin, invité à détailler face à la cour le profil psychologique des cinq accusés, réalisé par ses soins au cours du mois de mai 2018, un mois environ après leur interpellation, et alors que chacun se trouvait en détention provisoire.
L’ensemble des jeunes hommes a accepté de se prêter à l’exercice, indique Alain Penin, qui précise également que tous ont des capacités intellectuelles "supérieures à la moyenne", et ne présentent pas de troubles psychiques ou de la personnalité.
Jean-Baptiste Gaffory
Le psychologue entame par Jean-Baptiste Gaffory, 26 ans. Fils d’un père chef d’équipage et d’une mère sans profession, Jean-Baptiste a eu une "enfance agréable, sans défaut affectif".
L’accusé se dit anxieux, sujet à des crises d’angoisse aiguës. "C’est un jeune homme émotif, poursuit Alain Penin, qui rougit facilement" et a tendance à se renfermer sur lui-même.
Jean-Baptiste Gaffory, précise l’expert, présente ou a présenté deux addictions : la première, aux cigarettes, jusqu’à un paquet par jour, et la seconde, pour le cannabis, dont il a eu une consommation importante à partir de 2017, à raison d’un maximum de 10 joints par jour, mais dont il se serait depuis sevré.
Je n’ai pas le profil de braqueur, mais j’avais besoin d’argent
Concernant le cambriolage du 26 mai 2017, "Jean-Baptiste Gaffory a reconnu qu’on pouvait lui reprocher un vol à main armée", indique l’expert, mais s’est également placé en retrait des faits, estimant "ne pas avoir su dire non" et avoir été influencé par le groupe.
"Selon lui, l’idée du projet n’était pas la sienne, et il a le sentiment manifeste d’avoir été manipulé." L’accusé, estime Alain Penin, n’a pas réfléchi aux conséquences avant son passage à l’acte, signe d’une certaine immaturité, et s’est montré très anxieux immédiatement après les faits, par crainte d’être interpellé.
Le jeune homme, précise le psychologue, a indiqué être honteux et avoir des regrets. Interrogé sur ses raisons d’avoir pris part au cambriolage par l’expert, Jean-Baptiste Gaffory a admis se poser la question : "Je n’ai pas le profil de braqueur, mais j’avais besoin d’argent", le cite Alain Penin.
Anthony Rutily
Second profil présenté par l’expert, celui d’Anthony Rutily, 25 ans. Âgé de deux mois lorsque son père, Dominique Rutily, est assassiné, Anthony Rutily n’a découvert la vérité qu’à ses dix ans, en surfant par hasard sur Internet. Un événement qui a motivé ses premières consultations chez un pédopsychiatre, relate le psychologue.
L’accusé, qui entretient de bonnes relations avec sa mère et son beau-père, a présenté "un blocage affectif" relatif au paternel lors de tests projectifs menés par Alain Penin, indicatif d’une situation "non-résolue", argumente l’expert.
Anthony Rutily se dit "bien dans sa peau", social, extraverti, et estime qu’il "n’y a pas plus calme que (lui)", quoique parfois un peu rebelle. S’il fume "une vingtaine" de cigarettes par jour, il assure n’avoir jamais consommé de produits illicites.
Le jeune homme cite l’accident de voiture, survenu en avril 2018, et au cours duquel l’un de ses amis proches est décédé, comme un fait particulièrement marquant, source, à l'époque de l’entretien avec l'expert psychologue, de cauchemars réguliers et d’une très forte culpabilité. Anthony Rutily était le conducteur du véhicule et avait consommé de l’alcool. Il a depuis été condamné pour homicide involontaire dans cette affaire, et a fait appel de ce jugement.
Je me dégoûte, je regrette.
Questionné sur les raisons qui l’ont poussé à prendre part au cambriolage, Anthony Rutily a indiqué avoir voulu "rendre service" à une autre personne, et dit avoir campé dans cette affaire un rôle secondaire, retrace l’expert, le citant : "J’ai attendu deux heures avant, j’avais une arme factice et j’étais masqué, pas question de prendre une vraie arme. J’ai été con, ce n’est pas ma vie."
Le jeune homme a indiqué ne pas avoir eu connaissance avant les faits des personnes que le groupe devait cambrioler, et avoir immédiatement regretté en prenant conscience qu’il s’agissait "d’une personne âgée" qui plus est "quelqu’un de chez (lui)". Suite à quoi "il a détourné son agressivité contre « la personne qui l’a envoyé »", détaille Alain Penin. Le psychologue cite l’accusé sur les faits : "Je me dégoûte, je regrette".
Pour le psychologue, Anthony Rutily s’est présenté "dans le repentir. Il dit être prêt à payer les conséquences de ses actes."
Andréa Gagliano
Alain Penin a ensuite détaillé la personnalité d’Andréa Gagliano, 23 ans, seul des cinq jeunes hommes à nier l’ensemble des accusations portées à son encontre. Une situation qui ne l’a pas empêché de se montrer coopératif et dénué d'agressivité lors de son entretien, relève le psychologue.
Son père est ingénieur son, sa mère factrice, le jeune homme a parlé d’une enfance "très belle", sans manque affectif. Indécis et indolent sur ses possibilités de parcours après l’obtention de son baccalauréat, ce qui laisse paraître une forme d’immaturité, tranche le psychologue, Andréa Gagliano avait commencé des démarches pour engager des études à Paris au moment de son interpellation.
Lui se définit comme quelqu’un de droit et correct, apprécié de ses amis, parfois un peu coléreux mais capable de se calmer facilement, nécessitant une certaine indépendance et intolérant à la contrainte et à la frustration.
Je suis totalement étranger à cette affaire.
D’un tempérament social et extraverti, le jeune homme est également discret. Andréa Gagliano a admis au psychologue fumer du tabac depuis ses 16 ans, du cannabis depuis qu’il en a 18, à raison de 5 joints par jour. Une consommation qui a augmenté après l’accident de voiture survenu en avril 2018, - dans lequel il était passager -. Un accident et la disparition d’un ami qui l’a profondément attristé, a-t-il indiqué au psychologue. Il reconnaît également avoir eu quelques consommations de cocaïne en discothèque.
Interrogé par l’expert sur le cambriolage, Andréa Gagliano a maintenu être "totalement étranger à cette affaire", et estimé être "victime d’un système", sans comprendre pourquoi son nom a pu être cité.
Maxime D'Oriano
Vient ensuite le tour du profil de Maxime D’Oriano, 25 ans. Fils d’un père serveur et d’une mère créatrice de mode séparés mais en bons termes, le jeune homme a indiqué au psychologue avoir dû s’occuper très jeune de sa mère, atteinte d’un cancer des ovaires.
Maxime D’Oriano a développé un psoriasis - maladie inflammatoire chronique de la peau - lors de l’enfance qui dure encore aujourd’hui, décrit l’expert psychologue. "Ce sont des affections qui sont réputées pour être liées à des éléments de nature psychologique", glisse Alain Penin.
Les tests projectifs réalisés par le psychologue ont montré l’existence d’une anxiété "assez mal contrôlée", reprend l’expert. Maxime D’Oriano se décrit comme quelqu’un de généreux, et admet une forme de nervosité intérieure qui fait que "le calme qu’il présente n’est qu’apparent", précise Alain Penin. D’où, peut-être, le psoriasis, "qui apparaît souvent chez les personnes qui font parler leur corps quand elles n’arrivent pas à extérioriser leurs émotions."
Je voudrais faire de ces années un temps pour m'instruire et me forger.
Consommateur depuis l’âge de 15 ans de cannabis à raison de "10 pétards par jour", "cette substance me rend con et passe le temps plus vite", a-t-il indiqué au psychologue, son incarcération "aura au moins eu l’effet positif de mettre fin à sa toxicomanie", souligne Alain Penin.
Concernant le cambriolage, Maxime D’Oriano a reconnu sa participation et déploré son comportement. Il dit avoir été approché quelques heures avant par une bande d’amis et avoir bien réfléchi puis accepté.
Une décision facilitée, selon l’intéressée, par le "phénomène de groupe, il voulait plaire et se sentir inclus", mais avec une autre motivation admise : se procurer de l’argent pour se payer une école et les frais d’avocat d’une précédente affaire, un vol en réunion pour lequel il a été condamné.
Maxime D’Oriano s’est dit face au psychologue prêt à assumer les conséquences de ses actes. Il a évoqué son malaise au moment des faits, s’est dit soulagé de son interpellation, et a indiqué vouloir faire des années de condamnations auxquelles il s’attend un temps "pour se construire, s’instruire et se forger".
Jean-Gabriel Del Piero
Dernier des cinq accusés : Jean-Gabriel Del Piero, 24 ans. Son père est responsable d’animation dans un camp de vacances, sa mère aide-soignante, et n’a pas eu de troubles durant l’enfance, hormis une maladie pour laquelle il est traité.
Passionné de musique et de sonorisation, le jeune homme, indique le psychologue, joue plusieurs instruments et souhaite travailler dans le domaine.
Alain Penin le décrit comme plutôt indépendant, un peu émotif, et "pas particulièrement narcissique". Lui se considère "bien dans sa peau et content de sa vie".
C’est l’inconscience qui a pris le dessus. J’ai accepté de participer à quelque chose que je savais inutile et pas bien.
Le cambriolage, a-t-il assuré au psychologue, il en accepte la responsabilité, et reconnaît une grosse erreur de sa part. "C’est l’inconscience qui a pris le dessus, le cite Alain Penin. J’ai accepté de participer à quelque chose que je savais inutile et pas bien."
Jean-Gabriel Del Piero a indiqué avoir été stressé lors de toute la tenue de l’opération, et très triste après les faits, notamment après avoir appris que la victime était monsieur Romani, "un très bon ami de sa grand-mère". Il a éprouvé des regrets, continue l’expert, estime sa détention justifiée, et souhaite que cette incarcération ait des effets positifs et qu’elle l’oriente vers plus de stabilité.
Plusieurs mois après le vol, et avant son incarcération, Jean-Gabriel Del Piero a restitué 1500 euros aux victimes par le biais de trois enveloppes postales non-signées., soit le montant qu'il aurait selon lui touché. Interrogé sur ce point par l’un de ses conseils, Me Marc Antoine Luca, l’expert psychologue a reconnu ne s’être "jamais retrouvé en présence d’un tel comportement au cours de sa pourtant longue carrière."
Jean-Pierre Romani, en "état d'alerte permanent"
Le résumé des portraits psychologiques des accusés étant terminés, Alain Penin s’est penché sur ceux de Jean-Pierre et Olga Romani, le couple de septuagénaires victimes du cambriolage. Leur entretien s’est déroulé individuellement en avril 2019.
Pour Jean-Pierre Romani, l’expert psychologue a noté des troubles anxieux du sommeil liés à un état d’anxiété majeur "qui cohabite avec un état d’alerte". "Le psychisme est en permanence préoccupé par l’idée qu’il pourrait se passer quelque chose".
Depuis le cambriolage, Jean-Pierre Romani a installé des alarmes et caméras partout dans son domicile, relève Alain Penin, reliées à son téléphone, qu’il consulte très fréquemment.
Le septuagénaire a témoigné de cauchemars réguliers qui lui faisaient se sentir "détraqué" par l’événement. IL présente un stress post-traumatique, une réaction dépressive, des flash-backs et un état d’alerte permanent avec "des comportements ritualisés de protection presque obsédants".
L’expert n’a noté aucune théâtralisation dans le récit de ses souvenirs, précis et corroborants au dossier d’enquête, "je n’ai à priori aucune raison de douter de l’authenticité de ses paroles".
Olga Romani, profondément choquée par les événements
Olga Romani, poursuit Alain Penin, a également été profondément choquée par les événements, dit avoir été tétanisée au moment des faits, ressentir des baisses d’énergie importante dues à des insomnies.
Ils m'ont pris ma tranquillité.
Elle se dit oppressée, reproche à ses agresseurs de lui avoir "pris sa tranquillité", et affiche une incompréhension sur ce qui s’est passé, évoque sa panique et fait état d’existence d’idées noires, qui lui ont par ailleurs fait envisager de quitter la Corse, alors qu’elle ne se sent "plus du tout" en sécurité.
Le cambriolage a créé des difficultés relationnelles importantes avec son époux, poursuit le psychologue. "Son récit était cohérent, et conforme aux éléments dans la procédure. Ni mythomanie, ni troubles d’affabulation n’ont été relevés", conclut Alain Penin.
Ce mardi 7 décembre devrait s'ouvrir avec la plaidoirie de l'avocate des parties civiles, Me Claire Mathieu, suivie des réquisitions du représentant du ministère public.
Après quoi viendront les plaidoiries des conseils des accusés, qui se prolongeront selon toute vraisemblance jusqu'à mercredi, date d'annonce du verdict.