Jugé pour "enregistrement et conservation de données à caractère personnel sensibles sans le consentement de l'intéressé", un ancien proviseur du collège de l'Ile-Rousse a été relaxé, ce mardi. S'il a reconnu avoir rédigé un fichier comportant des évaluations parfois critiques et personnelles de l'ensemble de ses collègues, il réfute l'avoir conservé ou diffusé à grande échelle.
J-M.A l’admet dès sa première prise de parole à la barre : "Un de mes défauts, c’est d’être un peu provocateur". Provocateur, au point de rédiger un document consignant les comportements professionnels comme personnels d’une quarantaine de ses collègues, en avril 2022... Mais pas de le transférer à l'ensemble des intéressés, ni de le garder en mémoire sur son ordinateur ou une clé USB.
Jugé pour "enregistrement ou conservation de données à caractère personnel sensibles sans le consentement de l’intéressé", l'homme a été relaxé, ce jeudi 9 janvier, par le tribunal correctionnel de Bastia.
Fichier anonyme
L’affaire est révélée par le Canard Enchaîné en juin 2022. Le 22 avril de la même année, l’ensemble de l’équipe pédagogique du collège de l'Ile-Rousse se retrouve destinataire d’un fichier anonyme. À l’intérieur, ils découvrent des notes sur les membres de l’établissement, enseignants, personnels administratifs ou même encore agents techniques.
Dans ces commentaires, sont notamment détaillés les comportements professionnels de ces derniers. Mais aussi des détails plus personnels, tels que pour certains leurs opinions syndicalistes ou politiques : "Très critique sur l’institution, est engagée syndicalement FSU", "un vrai caractère de cochon", "est un agent électoral du PNC", "se sent pousser des dents syndicales cette année, on se demande pourquoi", "ne comprend pas les contraintes du fonctionnement d’un collège, une vraie casse-couilles", ou encore "Prof de Corse… Lol"…
Des appréciations aussi variées que subjectives, et surtout sans fondement académique, qui provoquent un grand émoi au sein de l'établissement.
Une "pratique d’usage" parmi les proviseurs
Les directeurs académiques sont informés, l’affaire remonte jusqu’au recteur de l’Académie de Corse, qui décide d’aviser par le biais d’un article 40 le procureur de la République de Haute-Corse. Une enquête administrative puis judiciaire est engagée pour dénicher le "corbeau", et remonte finalement jusqu’à un homme : J-M.A, l’ex-principal de l’établissement.
Parti en retraite le 1er avril – soit trois semaines avant la réception du fichier en question par le personnel éducatif -, ce dernier a exercé pendant cinq ans la fonction de proviseur du collège de l'Ile-Rousse. Interrogé par les enquêteurs, il reconnaît en être l’auteur.
Un document qu’il a rédigé, réitère-t-il à la barre, "dans le cadre de ses fonctions", et à destination de celui qui devait lui succéder par intérim. Il est ainsi de coutume, assure-t-il, entre chefs d’établissement, de remettre pareilles informations au moment d’une passation de poste. "Dans des formations sur le Continent, on vous indique que ce genre de choses étaient normales", relève le président, Philippe Bergeron, à la lecture du dossier.
"Dans des formations sur le Continent, on vous indique que ce genre de choses étaient normales"
Ce fichier n’était néanmoins destiné qu’aux yeux de celui qui l’a succédé, assure J-M.A, et n’avait pas dessein à être partagé à l’ensemble du personnel. Un point qu’il avait d’ailleurs précisé au destinataire, en lui intimant dans son courriel de supprimer son message dès qu’il l’aurait lu.
J-M.A le répète à la barre : il n’a transmis ce fichier à personne d’autre, et l'a supprimé peu de temps après l'avoir envoyé. Dès son départ de poste, le 1er avril, "j’avais d’autres soucis que faire ce genre de choses là".
Interrogé au cours des investigations, le proviseur par intérim confirme avoir reçu un mail de J-M.A contenant le fichier en question plusieurs semaines avant qu’il ne soit diffusé au reste du collège, et n’avoir pas jugé nécessaire de lui répondre pour lui exprimer son désaccord ou un quelconque retour.
Il indique avoir appris le 22 avril la diffusion du dit tableau d’appréciations au reste du personnel éducatif.
"Vous avez eu un comportement intolérable"
Qui, alors, est responsable d’avoir fait fuiter le fichier ? L'enquête a révélé que celui-ci avait été envoyé depuis une adresse mail créée le 22 avril et supprimée le 23. Mais un an et demi après les faits, l’identité du messager reste floue.
"Je comprends bien que si je n’avais pas commis l’erreur que j’ai commise, nous ne serions pas là en discuter, glisse J-M.A au président du tribunal correctionnel. Mais je suis aussi victime dans cette histoire." Le personnel éducatif, martèle-t-il, ne devait pas être mis au courant.
"Dès lors que vous mettez un tel est représentant syndical, ou un tel est élu, c’est interdit par la loi."
"Dire que le personnel ne devait pas être au courant, c’est aussi dramatique que de dire qu’il devrait l’être", souffle en réponse le président. "Dès lors que vous mettez un tel est représentant syndical, ou un tel est élu, c’est interdit par la loi. Et pour une raison bien simple : quand on estime la valeur de travail d’un fonctionnaire, c’est par rapport à ses qualités professionnelles."
Ses actions, et la rédaction d’un pareil document, sont "inadmissibles", sermonne le président, Philippe Bergeron. "Vous avez eu un comportement intolérable, et c’est réprimé par la loi".
"Quand j’ai rédigé ce document, je n’étais pas comme je devais être, je n’étais pas bien", se défend l’ex-principal. Qui ajoute tout de même que "les engagements de ces personnes sont publics et étaient connus de toute la commune". "Ce n’est pas pour autant que cela vous autorise à le répertorier dans un fichier", lui répond le président. "C’est vrai. Je n’ai pas fait la carrière que j’ai faite pour me retrouver ici aujourd’hui", souffle J-M.A.
"On a été doublement salis"
Invitées à s’exprimer, les parties civiles – 9 des 18 victimes mentionnées dans l’affaire se sont constituées – expriment tour à tour leur choc, à la réception de ce fichier, et les effets néfastes qu’il a pu avoir sur leur moral comme sur leur travail. "On a été doublement salis, indique une professeure. Ce n’est pas qu’une question d’orgueil. C’est aussi une question de publicité de notre équipe pédagogique."
Des dommages pour lesquels les parties civiles appellent à des dédommagements jusqu'à 5.000 euros. Une demande réitérée par leurs avocates dans leurs plaidoiries.
"Ce n’est pas qu’une question d’orgueil. C’est aussi une question de publicité de notre équipe pédagogique."
Pour la représentante du ministère public, l’argumentaire de J-M.A, indiquant que répertorier de la sorte des informations sur le personnel d’un établissement était monnaie courante parmi les proviseurs, ne tient pas.
Déjà, au vu des informations consignées, qui font parfois état du style vestimentaire, ou des orientations syndicales et politiques des personnes concernées, "je me demande l’intérêt de consigner de telles informations". Aussi, parce que le principal qui a succédé à J-M.A à la tête du collège de l’Ile-Rousse a assuré aux enquêteurs ne pas appliquer de telles pratiques et ne pas en avoir entendu parler, poursuit-elle.
La procureure appelle dans ce cadre à "une condamnation forte de sens, qui doit donner l’exemple, les faits ayant occasionné un trouble très important au sein de l’établissement, et qui le perturbe encore aujourd’hui", et demande ainsi une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une amende de 1500 euros.
"Il faut se méfier de l'exemplarité"
Me Jocelyne Costa, conseil de J-M.A, rappelle que les poursuites se font pour des chefs de conservation et mise en mémoire de ce dossier, et non pas pour sa constitution. "Monsieur Andreani n’a ni conservé ni mis en mémoire le dossier", souligne-t-elle. Pour elle, le dossier en question a sans doute été "piraté" depuis l’ordinateur de son successeur, qui l’avait téléchargé après l’avoir reçu.
"Je comprends la répression, mais il faut se méfier de l’exemplarité. J-M.A est un peu atypique. Il a confessé être un peu provocateur, mais a toujours eu d’excellentes appréciations à son égard". Dans ce cadre, l’avocate demande la relaxe, "au bénéfice des éléments non-présents dans le dossier".
Une dernière demande suivie par le tribunal correctionnel de Bastia, qui relaxe J-M.A, attestant "qu'aucun élément ne démontre que cet envoi par boîte mail le 22 avril 2022" lui est imputable.
"Ce n'est pas forcément facile à comprendre, mais c'est du droit", indique le président à l'attention des parties civiles. Avant de conclure en se tournant vers l'ancien-proviseur : "Cela n'enlève en rien que vos propos étaient choquants et injustifiables. Il est peut-être triste de finir votre carrière sur ce genre de chose. Mais ça, je dirais que cela n'appartient qu'à votre conscience."