Bastia : jusqu'à deux ans de prison requis dans le procès pour "les boules de pétanque explosives"

Le ministère public a requis 2 ans de prison ferme contre Julien Muselli et Adrien Matarise, 10 mois aménageables à domicile pour Jean-Philippe Mei, et 600 euros d'amende pour Maxime Beux. Le délibéré est attendu pour le 7 décembre prochain.

"Ce sont des faits qui auraient pu semer le chaos dans les rues de Bastia. Si ces explosifs avaient été utilisés, et pas retrouvés par les forces de l'ordre, ils auraient pu tuer des gens", rappelle Arnaud Viornery lors de son réquisitoire. "On aurait pu être sur des qualifications beaucoup plus graves, qui auraient pu nous emmener devant une autre nature de juridiction..." L'allusion au Assises est évidente, même pour qui n'est pas un habitué des prétoires.

Le parquet n'a pas de mots assez durs pour qualifier les faits qui sont jugés ce mardi 2 novembre par le tribunal correctionnel de Bastia.

Colère et tension

Arnaud Viornery prend soin de les situer dans leur contexte, et de rappeler les circonstances de la manifestation du 13 février 2016. Une manifestation organisée en soutien à Maxime Beux, blessé très grièvement à l'œil une semaine plus tôt à Reims lors d'affrontements avec les forces de l'ordre.

Un drame qui avait suscité une grande émotion en Corse. "Mais ce contexte de colère, de très haute tension, ne doit pas empêcher de revenir à l'essentiel, la gravité extrême des faits qui ont abouti à cette procédure judiciaire et à ce jugement".

Quelques heures avant la manifestation, des policiers avaient en effet trouvé des explosifs artisanaux cachés dans une cour intérieure de la rue Gabriel Peri, à quelques dizaines de mètres de la préfecture de Haute-Corse"Des éclats de métal auraient pu être projetés à plusieurs mètres, les pains de Nitram auraient pu être mortels... On frémit à l'idée d'un usage dans le cadre d'une manifestation, aussi bien pour les forces de l'ordre que pour les manifestants pacifiques, et même pour les lanceurs."

Poudre de chasse

La tension est palpable dans la salle d'audience, où plus un siège n'est libre. Le ton d'Arnaud Viornery est sévère, et le fait que le procureur de la République lui-même se soit déplacé pour l'affaire laisse penser que le ministère public ne la prend pas vraiment à la légère.

Julien Matarise et Adrien Matarise et Julien Muselli, soupçonnés d'avoir transporté et détenu des boules de pétanque sciées et remplies de poudre de chasse, et de deux pains de 500 grammes de Nitram 9, risquent dix ans de prison. 

Jean-Philippe Mei, lui, est poursuivi pour association de malfaiteurs. Maxime Beux, enfin, n'est plus poursuivi que pour refus de prélèvement d'ADN. Un chef d'accusation auquel font également face les trois autres prévenus. 

Mais à l'énoncé des réquisitions, quelques regards échangés en disent long. "On pensait prendre une gifle, vu le contexte...", confie un supporter venu en soutien, qui s'avoue un peu soulagé, même s'il espère encore une relaxe pour ses amis. 

Arnaud Viornery a en effet demandé deux ans de prison ferme pour Adrien Matarise et Julien Muselli. A l'encontre de Jean-Philippe Mei, le ministère public a requis 10 mois de prison, aménageables en détention à domicile avec un bracelet électronique. 

Et pour Maxime Beux, comme pour les quatre autres, une amende de 600 euros, dont 300 avec sursis, a été demandée pour le refus de prélèvement. 

 Hypothèses

C'est l'ADN qui a été au cœur de l'argumentation du procureur de la République. Il affirmait, en préambule de son intervention, que "si elle n'est pas la reine des preuves, elle est essentielle à la caractérisation de ce dossier"

C'est donc sans surprise autour de l'ADN, également, qu'ont tourné les plaidoiries de la défense. L'ADN qui a été relevée sur les sacs, et les affaires qui étaient entreposées dans la cour intérieure du 2, Gabriel Peri, et qui appartenaient à trois des quatre prévenus, Jean-Philippe Mei, Julien Muselli et Adrien Matarise. L'ADN des deux derniers était même sur les sacs qui contenaient les explosifs.

Mais pas sur les explosifs, martèlent, tour à tour, les cinq avocats qui défilent devant la barre. 

Et si le parquet, un peu plus tôt, avait affirmé qu'il n'était pas étonné de cela, "puisque l'on prend ce genre de précautions quand on manipule ce genre de choses", Jean-Sébastien de Casalta, conseil d'Adrien Matarise, s'interroge, avec une certaine irritation : "on prend ce genre de précautions et ensuite, dans la foulée, on laisse dans le même sac ses propres vêtements ?" La défense n'en démord pas, le dossier est truffé d'approximations, et d'"hypothèses", un mot qui reviendra à de multiples reprises lors de l'après-midi. 

ADN

Maître Benjamin Genuini, qui représente Maxime Beux et Julien Muselli, et maître Jean-André Albertini, qui défend Julien Muselli, dénoncent la manière dont s'est déroulée la procédure lors de la découverte des sacs. Me Genuini parle de "pollution de tous les éléments", tandis que Me Albertini dénonce la manière dont les sacs auraient été transportés jusqu'au commissariat, peu orthodoxe selon lui, et qui aurait permis de contaminer des vêtements, ou des anses de sac, qui ne l'étaient pas à l'origine.

Les prévenus, au cours de leur passage à la barre, dans la matinée, avaient été pour la plupart brefs, voire laconiques. Ne dissimulant pas leur méfiance, voire leur "dégoût" des institutions judiciaires, après l'affaire de Reims. Une réponse de Jean-Philippe Mei à une nouvelle demande d'explication de la présidente du tribunal résume la position des prévenus : " vous me demandez de réfléchir, mais je ne peux pas vous parler de choses qui me sont étrangères"

Tous nient les faits qui leur sont reprochés, mais ils reconnaissent que les sacs, et certains vêtements leur appartiennent. En revanche, pas les lunettes de natation, les masques de protection, les explosifs, et les cagoules qui se trouvaient dedans. Devant les photos que lui présente la présidente du tribunal, Adrian Matarise a toujours la même réponse. "Je ne comprends pas".

Ils l'affirment, ils n'ont pas la moindre idée de comment leurs affaires sont arrivées là. 

Une découverte "opportune"

Maître François Fabiani, avocat de Jean-Philippe Mei, n'hésite pas à tourner en dérision certains des éléments du dossier. "On a trouvé des chaussures Salomon, dans le sac de mon client, avec son ADN. Mais ce n'est même pas sa pointure ! Il fait du 44,5, et ces chaussures sont du 43 1/3 ! " Avant de glisser, l'air de rien : "Je ne veux pas penser qu'on a fabriqué des preuves, je ne veux pas le penser... Mais opportunément, ou inopportunément, on a trouvé un carton avec des sacs, quelques heures avant la manifestation".

Et l'avocat de rappeler au tribunal, que, à l'en croire, "le prédécesseur du procureur de la République [Nicolas Bessone - NDLR] avait une vision particuliere de l'association Bastia 1905, il en a fait un cheval de bataille qui a conduit que dans certains dossiers, les hypothèses policieres devaient etre considérées comme des évidences. Tout ce que faisait l'association était scruté, analysé..."              

Et Me Fabiani, comme sa consœur maître Stella Canava, d'évoquer un tweet d'Europe 1 qui, alors que la manifestation n'avait même pas commencé, faisait état des découvertes des policiers. 

"Ca ne choque personne ?", interroge Maître François Fabiani. 

Maxime Beux, le premier à s'exprimer, le matin, rappelait les appels au calme qu'il avait envoyé, de son lit d'hôpital, la veille de la manifestation. Des messages relayés par Bastia 1905. "Je doute de beaucoup de choses, cette affaire a jamais été très claires. je ne dis pas qu'on n'a pas retrouvé ces explosifs. Mais qui, comment, quoi, la réponse je l'ai pas..."

Profil

L'idée de complot, ou à tout le moins de manipulation, est à peine esquissée par la défense. Cette dernière apporte d'autres explications sur la présence d'affaires des prévenus sur les lieux, sans qu'ils en soient responsables. 

Maître de Casalta soulève une hypothèse à son tour : "Ce matin, vous avez demandé à mon client, monsieur Matarise, comment il expliquait la présence de son sac Adidas sur place, il vous a répondu : "si je vous disais que je l'ai prêté, est-ce que vous me croiriez ?"". Selon l'avocat, peut-être qu'il n'en a pas dit plus pour ne pas qu'on lui demande de donner un nom. 

Maître Fabiani conclut, de son côté : "est-ce que vous devez condamner ces hommes, dans le doute, juste parce que ce n'est pas des perdreaux de l'année et parce qu'ils ont le profil ?" 

Le délibéré a été fixé au 7 décembre prochain. 

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