Le premier couvre-feu à 21 heures a vidé Bastia de sa vie et de ses noctambules, samedi soir. Déambulation dans une ville vide.
Ismaël a le quai des Martyrs pour lui tout seul, alors il en profite pour jouer un peu avec la montre et prendre une dernière respiration, les yeux rivés vers la mer noire et silencieuse comme la nuit qui s’annonce.
"Tant que je les vois pas passer, dit le gaillard de 34 ans à la voix rauque en parlant des patrouilles de police. Mais j’habite juste-là et ce soir, on respecte. Si tu te fais attraper le premier jour à une heure du matin, on va te le faire comprendre."
Bastia n’a pas attendu 21 heures pour se vider. Une heure plus tôt, la place Saint-Nicolas commençait déjà à perdre ses touristes et autres visiteurs du samedi soir. Le café Albert 1er vit sa dernière soirée avant six semaines de tunnel. Brigitte Grimaldi, la patronne, a décidé de fermer. Elle est un "peu blasée, dépitée" et concède que "l’ambiance est mauvaise".
Ici, la majorité des clients est partie plus tôt mais certains profitent d’un dernier verre sous le regard de la propriétaire. Les serveurs rangent les tables qui raclent le sol, les mines sont mornes et bientôt, la place sera vide.On est partis pour six semaines de galère, comme ça on arrivera à Noël avec encore moins de sous.
En attendant, Marie et Ornella s’offrent un dernier repas au restaurant voisin. L’œil attentif à l’heure qui file, les deux jeunes femmes l’ont mauvaise. "Je suis totalement déprimée", souffle Ornella, qui n’a pas envie de passer toutes les soirées à "être dans sa chambre et à regarder la télé".
Il y a de la fatalité dans l'air, et personne dans les rues ce samedi soir. Le vieux port est vide, presque aphone. Ne reste que le bruit des voitures, le tintement des mâts de voiliers et la brise. La Citadelle, le boulevard Paoli, le palais de justice : le paysage est le même, et les voitures se font de plus en plus rare à mesure que la nuit grignote la soirée.