Elle a marqué de son empreinte des générations de lycéens à Montesoro, mais aussi le conseil municipal de Bastia, ou encore le palmarès mondial du Twirling. L'énergique sexagénaire ne ressemble à personne d'autre. Raison de plus pour faire connaissance avec "Madame Toussainte".
Ce matin-là, à 8h30, on a rendez-vous en terrasse sur la place Saint-Nicolas. Toussainte s'assoit face à nous, et commande un thé. "Il n'est pas trop tôt pour vous ? Je dors très peu, vous savez. À 6 heures du matin, je suis déjà debout. Avec l'âge, vous verrez, on dort de moins en moins", s'amuse-t-elle.
On acquiesce, mais on sait parfaitement que l'âge n'y est pour rien. On devine que Toussainte Devoti n'a jamais trop dormi. Pas le temps.
Enseignante au lycée de Montesoro, directrice du seul club de twirling de Corse, adjointe communiste d'Emile Zuccarelli à la mairie de Bastia... Toute sa vie, elle l'a passée au service des autres. Et elle a adoré ça.
Madame Toussainte
Toussainte, ou Madame Toussainte, comme certains l'appellent, est une figure bastiaise. Au cours de notre entretien, les passants qui remontent l'allée des bars la saluent de loin, ou l'interpellent joyeusement.
Quand on la taquine sur sa popularité, elle éclate de rire. "C'est surtout ailleurs, qu'on m'appelle Madame Toussainte. Lorsqu'on part avec l'équipe pour les compétitions de Twirling. Parfois les gens s'écartent quand je passe, et moi je me dis : mais c'est des fous !"
Du côté de ses élèves, on confirme pourtant. "Quand elle arrive dans les gymnases, pour les championnats de France, et même d'Europe, c'est un peu une star", s'amuse Lia-Maria, Giovanonni, qui a remporté 80 titres nationaux et européens, au côté de Toussainte Devoti.
Persévérance
Au mois de septembre dernier, l'énergique sexagénaire accueillait une nouvelle les nombreuses filles, et les quelques garçons, qui font partie du club E Marinelle, le seul club de Twirling de Corse.
Elle en est la créatrice, le moteur, et l'emblème. Depuis quarante ans.
Les gens nous voyaient comme des majorettes
Le Twirling, c'est une discipline sportive qui marie gymnastique, danse et maniement du bâton. Toussainte en est tombée amoureuse alors qu'elle était danseuse classique à l'école municipale de danse de Bastia. Malgré l'ignorance du plus grand nombre, et les moqueries de certains, qui les assimilaient à des majorettes, elle se jette à corps perdu dans le twirling, part sur le continent, suit des stages avec des professeurs américains, italiens ou japonais, et se perfectionne.
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En juillet 1984, elle crée son association. "J'aimais tellement cela que j'étais sûre que cela finirait par s'imposer", se souvient-elle.
Et des décennies plus tard, la réputation d'E Marinelle a traversé les frontières. Le club corse a acquis le respect des amateurs et amatrices de Twirling dans le monde entier, à la faveur d'un palmarès impressionnant : d'innombrables titres nationaux, des titres européens et un titre de vice-championne du monde...
Politique
L'enseignement et la transmission, c'est toute la vie de Toussainte Devoti. En parallèle de l'école de Twirling, elle a fait carrière dans l'éducation nationale, au lycée de Montesoro. "J’ai tout enseigné !", s'amuse celle qui regrette encore d'avoir dû prendre sa retraite. "Secrétariat, sténo, dactylo, écriture abrégée, en Français et en Italien ! Mais aussi le droit, l'économie, la compta, l'informatique..."
Et comme elle dort peu et que ses journées ne devaient pas lui sembler assez remplies, en 2008, elle se lance en politique.
"C'est Francis Riolacci qui m'a demandé de rejoindre les rangs des communistes au sein de la liste Union de la gauche conduite par Emile Zuccarelli. Lors de la campagne précédente, on m'avait déjà sollicité, et j'avais refusé. Et puis voyant autour de moi toutes les difficultés que rencontraient les gens, la pauvreté, je me suis dit que je pouvais peut-être apporter quelque chose. Et je me suis lancé dans l'aventure. C'était ma première campagne, et on a gagné", s'amuse celle qui va devenir adjointe aux affaires scolaires de la ville entre 2008 et 2014.
Toussainte le reconnaît sans peine, elle est venue sur le tard au militantisme. "Je n'étais pas une militante née. Mon mari l'a toujours été, mais moi je me contentais de voter", sourit Toussainte.
"Je suis issue d'un milieu défavorisé. Mes parents avaient quatre enfants. Mon père était imprimeur, il éditait le Courrier de la Corse, et le Petit Bastiais. Et les fins de mois étaient souvent difficiles. Mais mon père était profondément de droite".
Mon père était de droite, et mon oncle communiste. Il valait mieux éviter les discussions politiques à la maison, ça dérivait très vite !
C'est grâce à son oncle Joseph qu'elle a épousé les idées de la gauche. "Il était docker. Et communiste dans l'âme. Quand il venait à la maison, il valait mieux éviter les sujets qui tournaient autour de la politique... Ils avaient tous les deux des convictions bien ancrées, et ça dérivait très vite. Mais j'aimais ce que disait mon oncle, j'y sentais de l'empathie, de l'altruisme... Petit à petit, j'ai commencé à moins voir la gauche à travers les yeux de mon père, je me suis reconnue dans ses valeurs, et dans le Parti communiste".
Écouter, et convaincre
Aujourd'hui encore, Toussainte Devoti parle avec flamme de ses années passées aux affaires scolaires de la ville, se rappelant des combats pour garder les classes ouvertes, de la mise en place de la cuisine centrale, des centres aérés.
Elle se souvient même, parfois avec affection, de tel préfet qu'elle a réussi à convaincre de sauver une classe à Gaudin, ou de tel inspecteur d'académie avec qui elle continue d'échanger avec plaisir.
On est au service d'autrui. C'est ça qui est le plus important. Il ne faut jamais le perdre de vue
Dans une époque où, en politique, on préfère souvent l'invective à l'échange, Toussainte fait figure d’anomalie. "Toute personne a un bon côté. Il ne sert à rien de penser que les gens qui sont nos adversaires sont toujours dans le faux. Il faut apprendre à travailler avec tout le monde, si on veut faire avancer les choses. Après tout, on est au service d'autrui. C'est ça qui est le plus important. Il ne faut jamais le perdre de vue".
Lors de ses deux mandats, dans la majorité et dans l'opposition, Toussainte a continué d'enseigner, et de s'occuper de l'association E Marinelle. "Je vous l'ai dit, j'ai la chance de ne pas avoir besoin de beaucoup de sommeil ! Je me couchais à 1 heure tous les soirs, et le matin je me levais à 5h40, pour mettre les plats au four, afin que tout soit prêt à midi, avant de quitter la maison. Je n'ai jamais manqué un entraînement, même pendant les campagnes. Et si je devais m'absenter au lycée, je rattrapais mes heures !"
Comme au premier jour
Aujourd'hui, Toussainte Devoti ne mène plus de campagnes politiques, et elle a pris sa retraite. Elle l'affirme, "je resterai toujours communiste. Il faut rester fidèle à soi-même". Mais elle ne regrette guère les empoignades et les chausse-trappes des conseils municipaux.
Il en va autrement de son métier de professeure : "Il me manque énormément. Les élèves me manquent. Quand je voyais qu'ils comprenaient ce que je leur enseignais, c'était fabuleux. Vous vous rendez compte ce que l'on peut apporter aux autres ? C'est merveilleux !"
Heureusement, il lui reste le twirling. Aujourd'hui encore, même si Toussainte est secondée avec brio par ses deux filles, Eugénie et Mélanie, elle ne manque pas un entraînement. Tous les samedis, elle est présente au complexe sportif de Borgo, animée par la même passion et la même énergie qu'à ses débuts. "Toute ma vie, j'ai travaillé pour les autres, pas pour moi. Et je n'ai jamais rien demandé. Ce sera ainsi jusqu'à la fin de mes jours".
La grasse matinée, apparemment, ce n'est pas pour demain...