L'universitaire et militant nationaliste Sébastien Quenot s'intéresse, à travers son ouvrage "sur les terrains du discours corse", à la question du football sur l'île, caisse de résonnance de revendications qui vont bien au-delà de la question sportive. Et particulièrement dans les tribunes du Sporting club de Bastia.
Le football est le sport le plus populaire, et le plus pratiqué, dans le monde entier, avec 3,5 milliards d'amateurs à travers la planète. L'affirmation ne souffre guère la contestation, et la Corse, où pas un village n'a pas son terrain de foot, municipal ou improvisé sur un terrain vague ou dans un pré, en est un exemple frappant.
Le football corse est un fait social total
Cela n'a pas échappé à Sébastien Quenot, maître de conférence à l'université de Corse, mais également amateur de football, et même supporter revendiqué. "Sur l'île, c'est le spectacle qui réunit le plus grand nombre d'individus et de supporters, dans des proportions très supérieures à celles des clubs européens. Le football corse est un fait social total. Il n'est pas un Corse qui un jour dans sa vie n'ait pas produit un discours, un énoncé, une opinion, un sentiment sur le football en général et sur le Sporting en particulier".
Supportérisme et nationalisme
De cette constatation est né l'ouvrage Sur les terrains du discours corse, publié chez Albiana. Un essai dense, largement documenté, qui plonge au cœur des tribunes d'Armand Cesari, et plus particulièrement de la tribune Est, berceau des supporters les plus engagés et véhéments, pour disséquer les propos, les comportements et les revendications. Et y faire apparaître un discours "miroir et moteur à la fois d'une société en quête de repères".
"A l'heure actuelle, je n'identifie pas d'autres phénomènes transitionnels à même de produire d'avantage de discours et de sentiment d'appartenance relatifs à la Corse", affirme celui qui a également été le directeur de cabinet de Jean-Guy Talamoni lors de sa présidence de l'Assemblée de Corse.
Sans surprise, c'est à travers le prisme du nationalisme que sont examinés, avec minutie, les propos des supporters. Le titre d'une des grandes parties de son ouvrage, "Le match du Sporting comme Kairos et sublimation de la lutte de libération nationale ?" ne dit pas autre chose.
Mais on se gardera bien d'accuser Sébastien Quenot de partialité. D'abord parce que Sur les terrains du discours corse fait preuve d'une indéniable rigueur scientifique. Ensuite parce que, même si nombreux sont les supporters à ne pas partager ces positions, les revendications identitaires et nationalistes, depuis de nombreuses décennies, sont sans conteste indissociables de Furiani.
Et maintenant ?
Au fil des pages de ce travail universitaire, on croise plus souvent Norbert Elias, Ernest Renan, Bourdieu et Donald Winnicott qu'Hamid Bourabaa, Jeannot Vincenti ou Antoine Di Fraya. Et c'est bien naturel : "l'étude de l'individu hypermoderne dans une société de l'imaginaire par la seule sociologie du sport constituerait un prisme trop étroit pour ce travail transdisciplinaire qui relève aussi de la sociologie de la culture, de la jeunesse, de l'éducation, de la sociolinguistique, de la sémiologie, de l'histoire contemporaine, parfois aussi des sciences politiques, des sciences de l'information et de la communication, de la psychanalyse ou bien de la philosophie", reconnaît l'universitaire dès son introduction.
Mais c'est aussi une histoire des supporters bastiais que propose l'ouvrage de Sébastien Quenot. Une histoire aussi passionnante que chaotique. Une histoire bien moins linéaire, et unilatérale, que l'on pourrait le croire. Et dont la suite reste à écrire.
Produire du prosélytisme pour s'acter hors du stade
Au sortir de ce très complet examen du discours des supporters du Sporting à travers les décennies, l'auteur propose une conclusion dans laquelle le militant affleure sous le scientifique : "soit le supportérisme continuera à produire une fiction militante pour déstabiliser les adversaires pendant quatre-vingt-dix minutes , auquel cas il demeurera une fiction politique, soit il s'emploiera à produire du prosélytisme pour s'acter hors du stade en s'éloignant du processus de sportification des sociétés et de marchandisation des émotions, selon des dispositfs de réenchantement du monde et de lutte pour la reconnaissance peut-être encore insoupçonnés".