À Bastia en cette veille de 1er mai, le muguet fleurit déjà dans les vitrines et sur les étals des commerçants. Si le prix du brin est parfois plus élevé en raison de l'inflation, le désir de perpétuer les traditions préserve les ventes de la petite plante aux clochettes blanches. Reportage.
Sur ses étals installés Place du marché, des fruits, des légumes, mais aussi une table où trônent quelques plants d’une fleur emblématique de la période : le muguet. Cette année, Jacques Pronesti, maraîcher originaire de Querciolu à 25km de Bastia, a commandé 500 brins et 72 pots. "Je vends le muguet depuis 1976", explique-t-il, fouillant dans sa mémoire. "Ça a commencé par mes parents. Mon père était agriculteur, on vendait le muguet au rond-point de Casatorra, à Biguglia. On faisait même les chrysanthèmes, les sapins."
Auparavant, il travaillait avec un fleuriste de Lucciana, désormais, il se fournit chez un professionnel à Ajaccio. "Cette année il faut que je l’emballe moi-même, confie-t-il, mais il est beau, il n’était pas fleuri comme ça quand je l’ai eu."
Même constat dans la boutique "Les fleurs", qui borde la place du marché de Bastia. "Le brin de muguet est joli comparé à d’autres années", sourit Oriane Avazeri Cecchi, gérante. Roses, pois de senteur, pivoines, muscaris… les fleurs qui accompagnent le muguet dans les créations de la boutique sont multiples. Devant l’entrée, un stand drapé de rouge regorge de compositions. Installée depuis cinq ans, la fleuriste se réjouit du calendrier de cette année. "Le 1er mai tombe un lundi, ça nous permet de fluidifier la vente sur le week-end". Sur les 3000 brins commandés, "il en reste 1000 non préparés", affirme-t-elle. "On va voir comment la journée se passe, et sûrement refaire des petites choses."
Le muguet, une tradition qui a toujours autant de succès
Car pour l’instant, les clients sont au rendez-vous et la vente porte ses fruits. "La vente marche très bien, confie Oriane, ça a commencé hier doucement, et aujourd’hui on est vraiment dans le week-end du 1er mai." Antoine Mattei, qui habite Bastia, est venu acheter quelques brins pour offrir à des amis. Pour lui, "c’est un symbole de l’amitié, un porte-bonheur". Anne Castelli, une autre cliente, a choisi plusieurs compositions pour sa famille. "Mon père nous a toujours offert du muguet, à ma mère, ma sœur et moi, se souvient-elle. À mon tour, j’en offre à ma mère, ma fille. J’adore les fleurs, et ici, elles sont magnifiques."
Selon Le Monde, l'origine du muguet au 1er mai pourrait remonter au XXIe siècle du temps de Charles IX. Puis, c'est sous le Maréchal Pétain que la fleur aurait officiellement été associée à la "fête du travail". Aujourd'hui,"on offre un brin de muguet pour le bonheur, et en même temps l’amour", souffle Odile Sylvain de la boutique "L’Orchidée", qui souligne le succès des compositions muguet-roses notamment. "Le brin de muguet, c’est une tradition. Ça touche beaucoup de monde, la femme, la mère, les gens avec qui on a des relations, les amis". Jacques Pronesti, lui, a déjà songé à arrêter de vendre du muguet. Avant de se raviser : "Mes enfants ne voulaient pas le faire, alors je fais tout seul... Je l’ai toujours fait, depuis mes 15 ans. On le fait pour les clients. Tant que je serai vivant je le ferai." Depuis hier, il a déjà vendu une cinquantaine de brins.
Le brin est plus cher mais les ventes ne baissent pas
Un attachement aux traditions qui n’a pas de prix, alors que les fleuristes subissent aussi l’inflation de plein fouet. En raison du contexte économique, Oriane, qui achète son muguet à un grossiste de Biguglia, a dû augmenter ses prix. "On se casse la tête pour faire des jolies choses à petit prix", développe-t-elle, mais "le brin qu’on vendait peut-être un euro, un euro cinquante il y a quelques années, on ne peut plus se permettre de le vendre aussi peu cher." Actuellement dans sa boutique, le brin de muguet est à 2 euros, contre un euro cinquante il y a cinq ans. "On est obligés, poursuit-elle, même si on essaye de limiter. On a tout ce qui est emballage, travail en amont… Ce n’est pas juste le brin de muguet."
De son côté, Jacques a aussi revu à la hausse le prix de ses brins. "La fleur, c’est un produit de luxe, et les gens travaillent pour manger", remarque Odile Sylvain. À "L’Orchidée", pas de changement côté tarif, mais même si "les clients sont fidèles" et qu’ils "achètent le muguet", la commerçante remarque des changements de comportements. "Sur le muguet, les gens qui achetaient un pot moyen achètent peut-être plus petit", déclare-t-elle.
Toutefois, selon les professionnels, la journée de demain devrait encore être un succès. "Le muguet pour les fleuristes reste une des grosses fêtes à ne pas louper avec la Saint-Valentin et la Fête des mères", déclare Oriane Avazeri Cecchi. Dans le camion de Jacques, une grande partie du stock est d’ailleurs à l’abri, pour être écoulée demain au rond-point d’Arena à Vescovato. Demain, il ne vendra que du muguet.
Alors que le 1er mai est une journée célébrant les travailleurs, le contexte politique actuel tendu après l’adoption de la réforme des retraites pourrait-il faire exploser les ventes ? "Honnêtement je ne pense pas", avoue Oriane Avazeri Cecchi. "C’est la Fête du Travail, mais je pense que les gens l’offrent pour le côté bonheur. Mais peut-être que je me trompe !"